Oropharyngectomie : technique, indications, risques

Une oropharyngectomie est intervention chirurgicale généralement réalisée pour le traitement d'un cancer de l'oropharynx. Quelles sont les indications ? La technique ? Comment s'y préparer ? Et après l'opération ? Le point avec le Dr Paul Mazerolle, chirurgien ORL.

Oropharyngectomie : technique, indications, risques
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Définition : qu'est-ce qu'une oropharyngectomie ?

"Une oropharyngectomie est une opération consistant en l'ablation d'une partie (plus ou moins importante) de l'oropharynx. Il s'agit donc en réalité d'une grande famille d'opérations, pouvant correspondre à des interventions très différentes", définit le Dr Paul Mazerolle, chirurgien ORL à l'Institut Universitaire du Cancer de Toulouse Oncopole (IUCT Oncolope). L'oropharynx est une des localisations des Voies Aéro-Digestives Supérieures (VADS), qui comprend les organes de la déglutition, de la respiration et de la phonation au niveau de la tête et du cou. Elles comprennent :

Schéma de l'oropharynx
Schéma de l'oropharynx © normaals - 123RF
  • Le nez et les sinus ;
  • La cavité buccale ;
  • Le larynx
  • Le pharynx, lui-même divisé en trois étages : le rhinopharynx (en arrière des fosses nasales), l'oropharynx (en arrière de la cavité buccale) et l'hypopharynx (en arrière du larynx, se prolongeant par l'œsophage)

"L'oropharynx est en partie visible en regardant à travers la bouche. Il comprend notamment les amygdales, le voile du palais et l'arrière de la langue (appelée base de la langue). Ces deux dernières structures ayant un rôle important dans la déglutition et la parole, ceci explique que ces opérations n'étaient souvent pas privilégiées lorsque qu'un traitement conservateur (par radiothérapie) était possible", complète-t-il.

Quelle est la technique ?

Cela peut être relativement simple et rapide, quasiment sans séquelle

"Les oropharyngectomies peuvent être des interventions très variées. Si elles sont réalisées quasi-systématiquement sous anesthésie générale, cela peut être relativement simple et rapide, quasiment sans séquelle si l'on se contente de réaliser l'ablation d'une amygdale par exemple, mais cela peut parfois s'avérer extrêmement long et complexe s'il s'agit de tumeurs étendues, infiltrant la langue ou la mandibule par exemple." On peut grossièrement distinguer :

► Les interventions se pratiquant par voie trans-orale, (c'est-à-dire en passant par l'intérieur de la bouche, sans cicatrice extérieure), permettant l'exérèse de petites tumeurs par les voies naturelles (dont l'amygdalectomie est un exemple) ;

► Les interventions plus invasives nécessitant d'ouvrir le cou (voie trans-cervicale), voire la mandibule ou la lèvre (voie trans-mandibulaire) pour accéder à la tumeur.

Leur point commun : "elles ôtent une structure de l'oropharynx. Simplement, elles vont être différentes en fonction de l'étendue de l'intervention, de la ou les structure(s) retirée(s) et de la voie d'abord utilisée par le chirurgien".

Quelles sont les indications ?

"Historiquement, les cancers de l'oropharynx étaient traités en priorité par radiothérapie ou radiochimiothérapie chaque fois que possible. En effet, la difficulté d'accès de l'oropharynx et l'importance des structures impliquées dans la déglutition et la phonation rendaient ces chirurgies lourdes et pourvoyeuses de séquelles importantes. On réalisait donc une oropharyngectomie lorsque la tumeur était de petite taille et facilement accessible par voie trans-orale, ou en cas d'échec de radio(chimio)thérapie, puisqu'il n'y a dès lors plus d'alternative", raconte le Dr Mazerolle. Il précise tout de même que "ces 20 dernières années ont toutefois vu s'étendre les indications grâce à deux évolutions importantes de la chirurgie cancérologique ORL, permettant de minimiser les séquelles postopératoires : l'amélioration des techniques de reconstruction en chirurgie réparatrice ; le développement de la chirurgie assistée par robot, qui se démocratise doucement, et permet de réaliser plus d'opérations par voie trans-orale"

Comment ça se passe ?

Une oropharyngectomie nécessite quasi-systématiquement une hospitalisation de plusieurs jours, voire jusqu'à quelques semaines

"En plus de l'exérèse de la tumeur, en cas de 'perte de substance modérée ou importante, il peut être nécessaire de reconstruire la zone retirée, faisant alors intervenir des techniques de reconstruction par lambeau" explique le Dr Mazerolle, ce qui consiste à remplacer les structures retirées par d'autres tissus, pouvant être prélevés à proximité (dans la bouche ou le pharynx) ou à distance, comme de la peau du bras ou du thorax par exemple. Par ailleurs, il est souvent nécessaire lors de la même intervention de réaliser l'ablation des ganglions du cou (appelé curage ganglionnaire cervical). De plus, il est parfois nécessaire de mettre en place une sonde d'alimentation dans l'estomac pour protéger la zone opérée des aliments pendant la cicatrisation. Dans les cas les plus avancés, il peut être réalisé une trachéotomie, dans le but de protéger les patients des risques d'inhalation de sang, de salive ou de gonflement qui pourrait les gêner pour respirer. "Lorsque réalisée, la trachéotomie est retirée rapidement après l'intervention dans l'immense majorité des cas", rassure toutefois le Dr Mazerolle. Ainsi, une oropharyngectomie nécessite quasi-systématiquement une hospitalisation de plusieurs jours, voire jusqu'à quelques semaines, dont la durée dépend du type exact d'intervention et des suites opératoires (notamment de la bonne évolution de la cicatrisation).

Papillomavirus et chirurgie robot-assistée

Dans les cancers de l'oropharynx, on retrouve historiquement les cancers liés au tabac et à l'alcool, "mais on constate depuis une vingtaine d'années une importante émergence de cancers induits par le papillomavirus au niveau des amygdales et de la base de langue", de manière analogue aux cancers du col de l'utérus chez la femme. "Cette nouvelle entité de cancer de l'oropharynx touche indifféremment les hommes et les femmes, et souvent à un âge plus jeune, à partir de 40 ans", regrette le Dr Mazerolle. Ces cancers HPV-induits présentent la spécificité de sembler plus avancé lors du diagnostic, mais répondent cependant mieux aux traitements "avec de très bons taux de guérison dans l'ensemble des études récentes. Il se trouve que ces cancers répondent mieux à l'ensemble des traitements, et l'enjeu est actuellement de trouver comment modifier nos protocoles thérapeutiques pour minimiser les séquelles des traitements chez ces patients jeunes. Ainsi, de nombreux essais de désescalade thérapeutique sont en cours, dont beaucoup d'entre eux font une place de choix à la chirurgie robot-assistée en première intention", explique le Dr Mazerolle. De nombreuses études sont actuellement en cours et pourraient ainsi modifier prochainement les standards de traitement. L'oropharyngectomie par voie trans-orale robot-assistée fait clairement partie des pistes pour l'avenir.

Comment s'y préparer ?

"Il est important qu'avant l'opération, les patients arrivent à maintenir leur poids. Les cancers de l'oropharynx peuvent induire des troubles de la déglutition et des dégoûts alimentaires, ainsi la plupart des patients sont dénutris lors du diagnostic. Pourtant, la manière dont ils vont cicatriser et se remettre de l'opération est étroitement liée à leur état nutritionnel. Nous avons besoin qu'ils arrivent à stabiliser leur poids, voire qu'ils en reprennent en vue de l'intervention", précise-t-il. Il s'agit de la meilleure manière de se préparer à cette opération spécifique. En cas de difficultés alimentaires, votre médecin peut vous prescrire des compléments nutritionnels, voire mettre en place une sonde d'alimentation en attendant le traitement.

Quels sont les risques et complications ?

Il existe comme pour toutes les interventions chirurgicales des complications non spécifiques, principalement à type d'infection, d'hématome ou d'allergie à un produit anesthésique. "Le risque spécifique à court terme après une oropharyngectomie réside en la cicatrisation. Les muqueuses sont fragiles et les points de suture, en permanence exposés à la salive, peuvent parfois lâcher, et ce d'autant plus lorsqu'il existe un antécédent de radiothérapie, car les tissus sont encore plus fragiles dans ce cas", déclare le Dr Mazerolle. Ceci peut ainsi aboutir à des retards de cicatrisation, pouvant parfois occasionner des douleurs et/ou saignements, et ainsi nécessiter une ré-opération. "Cette complication est assez fréquente (20 à 25% des cas), mais rentre dans l'ordre spontanément dans la plupart des cas. Il est généralement nécessaire d'intervenir si la salive ou les aliments s'insinuent à travers cette désunion de la cicatrice, car cela occasionne alors une surinfection", précise le chirurgien. Lorsqu'une reconstruction par lambeau a été réalisé, il faut également surveiller que celui-ci reste bien vascularisé, et ne présente pas de nécrose, auquel cas il peut également être nécessaire de réopérer. A moyen et long terme, le risque principal est d'avoir des séquelles concernant la déglutition ou la parole. "Les oropharyngectomies, lorsque étendues ou touchant la base de langue par exemple, font partie des opérations qui laissent le plus de séquelles sur la déglutition, et il est parfois très difficile d'acquérir une ré-alimentation normale"  déclare le Dr Mazerolle. Dans les cas extrêmes, l'alimentation ne peut se faire que mixée, voire nécessiter une sonde d'alimentation au long cours. "Heureusement, ces séquelles sont loin d'être systématiques : nous adaptons nos techniques de reconstruction, et nous faisons un grand travail avec les orthophonistes", ajoute-t-il.

Quel suivi et suite opératoire ? 

"Après l'opération, votre chirurgien et son équipe vérifiera jour après jour la bonne évolution de la cicatrisation, et autorisera la reprise de l'alimentation par la bouche lorsqu'il jugera celle-ci suffisamment avancée (ainsi que l'ablation de la sonde d'alimentation et la trachéotomie le cas échéant)", précise le Dr Mazerolle. Les premières semaines, la déglutition et la parole vont être impactées. "La rééducation, idéalement avec un orthophoniste, commence dès l'hospitalisation. Dès lors que le patient parle et qu'il peut bouger la langue, la rééducation commence immédiatement et de manière naturelle. Des exercices plus spécifiques et plus poussés selon les cas de figure peuvent être proposés par la suite, dès que la cicatrisation le permet, explique le Dr Mazerolle. Nous faisons en sorte qu'au moment de sa sortie, le patient n'ait plus de trachéotomie ni de sonde d'alimentation si cela a été nécessaire, qu'il puisse ainsi parler et manger à peu près correctement et continuer la rééducation orthophonique près de chez lui. C'est évidemment très variable en fonction du degré d'intervention".

Quelles sont les contre-indications ?

Les oropharyngectomies peuvent présenter des contre-indications :

► Strictes : en cas de cancer trop étendu localement (atteignant par exemple l'artère carotide) ou disséminé, présentant des métastases à distance ;

► Relatives : si l'intervention est jugée trop étendue ou comportant de trop lourdes séquelles, notamment chez des patients à l'état général altéré.

Merci au Dr Paul Mazerolle, chirurgien oncologue à l'Institut Universitaire du Cancer de Toulouse Oncopole (IUCT Oncolope).