Rétinopathie diabétique : symptômes, stades, réversible ?
La rétinopathie diabétique est une complication oculaire spécifique du diabète de type 1 ou 2. Elle concerne environ 1 patient sur 3 diabétique en France. Quels sont les symptômes ? Les causes ? Les stades ? Est-elle réversible ? Eclairage du Dr Sylvie Feldman-Billard, endocrinologue-diabétologue à l'hôpital des 15-20 (Paris).
La rétinopathie diabétique est une complication oculaire spécifique du diabète de type 1 ou de type 2. Près d'un patient sur trois atteint de diabète développera au cours de sa vie une rétinopathie diabétique, la complication microvasculaire (atteinte des petits vaisseaux) la plus fréquente du diabète. C'est d'ailleurs la première cause de cécité dans le monde avant l'âge de 50 ans. Ainsi, parmi les 3,5 millions de patients traités pour un diabète en France (source : le diabète en France : les chiffres 2020 de Santé publique France), on estime à 1 million le nombre de personnes atteintes de rétinopathie diabétique (chiffres recueillis par l'Assurance maladie). Pourtant, cette complication oculaire et ses conséquences visuelles sont en grande partie évitables, à la fois par le contrôle des facteurs de risque et une prise en charge précoce de la rétinopathie diabétique. Quels sont les symptômes d'une rétinopathie diabétique ? Quels sont les différents stades de cette complication oculaire ? Pourquoi et comment survient-elle ? Est-elle réversible ? Comment la soigner ? Explications du Dr Sylvie Feldman-Billard, endocrinologue-diabétologue à l'hôpital des 15-20 (Paris).
Définition : qu'est-ce qu'une rétinopathie diabétique ?
"La rétinopathie diabétique est une manifestation ophtalmologique d'une maladie systémique qu'est le diabète", indique d'emblée le Dr Sylvie Feldman-Billard. Il s'agit d'une atteinte du complexe neurovasculaire de la rétine (la fine membrane tapissant le globe oculaire), qui peut entraîner, lorsqu'elle évolue, une perte de la vision. "Le risque de développer une rétinopathie diabétique (ou un œdème maculaire diabétique) est fortement influencé par les facteurs systémiques et en premier lieu le contrôle du diabète, mais aussi celui de l'hypertension artérielle et du taux de cholestérol même si ce dernier facteur a un impact moindre sur le risque de rétinopathie diabétique", précise notre interlocutrice.
La Fédération internationale du diabète estime à 463 millions le nombre de personnes diabétiques dans le monde (rapport publié en 2019). Parmi ces patients, 103 millions avaient une rétinopathie diabétique (tous types confondus) en 2020. Pour 29 millions, cette rétinopathie était sévère (source : Diabetes Atlas 9th Edition IDF 2019, META-EYE Study Diabetes Care 2012). |
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Quelle est la cause d'une rétinopathie diabétique ?
Plus on passe de temps en hyperglycémie, plus le risque est élevé.
Le diabète n'est pas sans conséquence sur la vision. En effet, "trop de sucre dans le sang (hyperglycémie) peut endommager les petits vaisseaux de la rétine et conduire à une rétinopathie diabétique", explique la diabétologue. Cette complication survient après plusieurs années d'évolution du diabète. Ainsi, plus la durée du diabète est longue, plus le contrôle glycémique est mauvais et plus le risque de développer une rétinopathie diabétique augmente. "Autrement dit, plus on passe de temps en hyperglycémie, plus le risque est élevé", détaille notre interlocutrice
Quels sont les stades d'une rétinopathie diabétique ?
Cette complication oculaire se développe selon deux modes évolutifs, qui peuvent être associés :
► Soit une ischémie rétinienne : les petits vaisseaux de la rétine se bouchent et le sang ne peut plus arriver à la rétine.
► Soit un œdème maculaire : l'excès de sucre dans le sang fragilise la paroi des vaisseaux entraînant une perte d'étanchéité. Du liquide peut alors s'échapper et s'accumuler dans la rétine provoquant son épaississement. Si cela se produit au niveau de la macula, partie centrale de la rétine, on parle d'œdème maculaire diabétique.
La rétinopathie diabétique évolue par stade. La classification de la rétinopathie diabétique selon la Société francophone du diabète est la suivante :
- Rétinopathie diabétique non proliférante minime
- Rétinopathie diabétique non proliférante modérée
- Rétinopathie diabétique non proliférante sévère
- Rétinopathie diabétique proliférante
- Rétinopathie diabétique proliférante à haut risque (avec un risque de perte visuelle de 25 à 40% à 2 ans)
- Rétinopathie diabétique compliquée
"La rétinopathie diabétique débute par un stade de RD "non proliférante" (RDNP) qui comprend 3 niveaux de sévérité par ordre croissant : la RDNP minime (micro-anévrismes et/ou micro-hémorragies rétiniennes) qui peut évoluer vers une RDNP modérée puis sévère (ou pré-proliférante). Ce stade correspond à un tournant évolutif dans l'évolution de la rétinopathie. En effet, il peut évoluer vers la RD "proliférante" (RDP) caractérisée par l'apparition de néovaisseaux en réponse à l'ischémie rétinienne étendue. Des signes de gravité caractérisent la RDP à "haut risque". Enfin, le dernier stade correspond à la RDP "compliquée" défini par la présence d'une hémorragie intra-vitréenne étendue, d'un décollement de rétine, d'une rubéose irienne et/ou d'un glaucome néovasculaire", détaille notre interlocutrice.
Quels sont les symptômes d'une rétinopathie diabétique ?
"Au début, il y a très peu de symptômes. Lorsqu'ils apparaissent, c'est que la rétinopathie diabétique est déjà évoluée", indique notre interlocutrice. En effet, la baisse visuelle ne survient qu'après une très longue période d'évolution silencieuse pendant laquelle il est fondamental de dépister, de traiter et de surveiller les lésions de la rétinopathie diabétique avant que ne surviennent les complications. Ainsi, il ne faut pas attendre l'apparition de symptômes visuels pour consulter car ils témoignent déjà en général d'une atteinte oculaire sévère. "Lorsque la rétinopathie devient proliférante, cela signifie qu'il y a des nouveaux vaisseaux (néovaisseaux) particulièrement fragiles qui risquent de saigner, ce qui peut entraîner une hémorragie intravitréenne (dans la cavité vitréenne, qui occupe la plupart du globe oculaire) et un risque de baisse visuelle brutale. Quant à l'œdème maculaire, il entraîne essentiellement une baisse progressive de la vision centrale, notamment des difficultés à lire."
La rétinopathie est déjà présente chez 6 à 8% des patients lors du diagnostic du diabète de type 2.
Comment dépister une rétinopathie diabétique ?
Le dépistage permet un diagnostic précoce de l'atteinte rétinienne et une prise en charge adaptée avant l'apparition des complications qui peuvent conduire à la cécité. Il s'inscrit dans la prise en charge globale du diabète et doit être pratiqué systématiquement lors de toute découverte de diabète, même en l'absence de symptômes visuels. Cet examen permet de déceler avec une grande sensibilité la présence d'une rétinopathie alors même que le patient ne se plaint d'aucune baisse visuelle. "Ce dépistage est notamment essentiel au moment du diagnostic du diabète de type 2, une rétinopathie diabétique étant déjà présente chez 6 à 8% des patients. En effet, l'ancienneté du diabète de type 2 n'est pas connu avec précision car la maladie évolue de façon insidieuse", précise-t-elle.
La Haute Autorité de Santé préconise une surveillance annuelle du fond d'œil pour tout patient diabétique.
En France, les recommandations, émises par la Haute Autorité de Santé reposent sur la réalisation de photographies du fond d'œil et préconisent une surveillance annuelle du fond d'œil pour tout patient diabétique. "Or, des études ont montré que seuls 65% environ des patients diabétiques en France ont bénéficié d'un examen ophtalmologique dans les deux années qui ont précédé. C'est trop peu et c'est notamment pour cette raison que s'est développée la télémédecine, aidée de l'intelligence artificielle, au service du dépistage de la rétinopathie diabétique". Chez les patients diabétiques de type 2, indemnes de RD, non traités par insuline et dont les objectifs de contrôle glycémique et de pression artérielle sont atteints, un examen de dépistage tous les deux ans est suffisant. "Le dépistage concerne les patients sans RD connue ou ayant une RD non proliférante minime. En cas d'atteinte plus sévère, les patients doivent bénéficier d'un examen ophtalmologique complet. D'autres examens tels que la tomographie en cohérence optique ou OCT peuvent être nécessaires pour affiner le diagnostic. Des séances de laser ou des injections intravitréennes en cas d'œdème maculaire peuvent être proposées pour freiner l'évolution de la maladie. Même si ces traitements ont largement contribué à améliorer le pronostic oculaire, ils ne doivent pas faire oublier l'importance de contrôler les facteurs de risque."
Quel contrôle pour les facteurs de risque ?
Il est essentiel aussi de maintenir la pression artérielle à 13/8
A côté de l'ancienneté du diabète, principal déterminant de la rétinopathie diabétique, les deux principaux facteurs de risque modifiables sont : le diabète et l'hypertension artérielle (META-EYE Study Diabetes Care 2012). "En effet, le risque de RD est multiplié par 3 chez un patient avec un taux d'hémoglobine glyquée > 9% comparé à celui dont le taux est < 7%. Le risque d'OMD est, quant à lui, double chez un patient hypertendu. Ainsi, un taux d'hémoglobine glyquée proche de 7% dès la découverte du diabète permet de prévenir la survenue mais aussi l'aggravation de la rétinopathie diabétique. Il est essentiel aussi de maintenir la pression artérielle à 13/8", insiste le Dr Sylvie Feldman-Billard. Le contrôle du cholestérol et plus globalement du bilan lipidique est aussi important couplé au respect des règles hygiéno-diététiques (perte de poids si nécessaire, pratique d'une activité physique régulière, arrêt du tabac...). Enfin, des études ont rapporté que près de 50% des patients atteints d'œdème maculaire diabétique présentaient des apnées du sommeil qui pourraient aggraver l'OMD par le biais de l'hypertension artérielle nocturne qu'elles génèrent. Il est ainsi recommandé de dépister un syndrome d'apnée du sommeil chez tout patient atteint de complication oculaire du diabète.
Quelles sont les personnes à risque de développer une rétinopathie diabétique ?
Tous les patients diabétiques sont à risque de développer une rétinopathie. Mais, certaines situations ou périodes de la vie sont associées à un risque d'évolution rapide et justifient une surveillance ophtalmologique plus rapprochée. Cela concerne essentiellement :
► Les patients dont le diabète est ancien et très déséquilibré et chez lesquels le traitement hypoglycémiant est intensifié. "Lorsque le diabète est ancien, très déséquilibré et la rétinopathie déjà présente, il faut éviter de baisser trop brutalement la glycémie ce qui pourrait avoir comme conséquence une aggravation paradoxale de la rétinopathie diabétique dans certaines situations. L'objectif glycémique doit être fixé en accord avec le diabétologue, le médecin généraliste et l'ophtalmologiste", explique le Dr Feldman-Billard.
► Les femmes enceintes diabétiques sont plus à risque de développer une rétinopathie ou d'aggraver leur atteinte oculaire. "Avant la conception, la patiente doit bénéficier impérativement d'un fond d'œil pour dépister une rétinopathie diabétique et son taux d'hémoglobine glyquée doit être inférieur à 6,5%. Ensuite, elle doit s'astreindre durant sa grossesse et après l'accouchement à un suivi conjoint chez son diabétologue et chez son ophtalmologiste car il y a un risque d'aggravation."
► Les adolescents ou jeunes adultes atteints de diabète sont aussi à haut risque de développer des complications oculaires. Cela concerne les jeunes patients diabétiques de type 1 mais aussi ceux de type 2 dans le nombre ne cesse d'augmenter parallèlement à l'augmentation de l'obésité.
Quel traitement pour soigner une rétinopathie diabétique ?
Face à des complications rétiniennes, le patient doit bénéficier d'une prise en charge globale de son diabète et de ses complications. Le stade de rétinopathie diabétique détermine la fréquence de surveillance et les indications thérapeutiques. L'ophtalmologiste proposera ainsi une prise en charge de la rétinopathie diabétique, soit par des séances de laser, soit par des injections intravitréennes en cas d'œdème maculaire afin de freiner l'évolution de la maladie. L'injection intravitréenne consiste à injecter un médicament directement dans l'œil à l'aide d'une fine aiguille. L'injection est réalisée en ambulatoire sous anesthésie locale. "Il est essentiel que le patient adhère au programme de prise en charge qui lui est proposé. Les injections intravitréennes indiquées en cas d'œdème maculaire peuvent nécessiter un suivi mensuel, du moins au début du traitement, et l'assiduité du patient aux consultations d'ophtalmologie conditionne le bénéfice oculaire", indique notre interlocutrice.
Un patient atteint d'une rétinopathie diabétique proliférante a 2 fois plus de risque de faire un infarctus du myocarde et 2,5 fois un accident vasculaire cérébral.
Quels sont les risques cardiovasculaires en cas de rétinopathie diabétique ?
La rétinopathie diabétique, notamment dans ses formes sévères, est associée à une augmentation du risque de maladie cardiovasculaire ou cérébrovasculaire. "Un patient atteint d'une rétinopathie diabétique proliférante a 2 fois plus de risque de faire un infarctus du myocarde et 2,5 fois un accident vasculaire cérébral (AVC) comparé à celui indemne de complication oculaire (Modjtahedi B Ophthalmology 2021). Pour cette raison, ces patients doivent être surveillés et dépistés sur le plan cardiovasculaire", insiste le Dr Sylvie Feldman-Billard.
La rétinopathie diabétique est-elle réversible ?
Lorsque la rétinopathie diabétique est installée, il est très difficile de revenir en arrière. Pour préserver au mieux la fonction visuelle, le meilleur traitement est préventif et repose sur le contrôle des principaux facteurs de risque identifiés (diabète, hypertension artérielle, dyslipidémie, apnée du sommeil…) assorti d'un dépistage annuel. "Dès que la rétinopathie atteint le stade "non proliférante modérée", on ne peut que freiner son évolution. La prévention de la rétinopathie diabétique, comme celles des autres complications du diabète, repose, au-delà du contrôle glycémique et tensionnel optimal, sur une bonne hygiène de vie, notamment la pratique d'une activité physique régulière et une alimentation adaptée, l'éviction du tabac et un contrôle du bilan lipidique, conclut notre interlocutrice. La diabétologie a connu ces cinq dernières années une véritable révolution aussi bien sur le plan technologique que thérapeutique. Toutes ces innovations contribuent déjà largement à réduire le fardeau du diabète et favorisent l'adhésion au traitement."
Merci au Dr Sylvie Feldman-Billard, endocrinologue-diabétologue à l'hôpital des 15-20.