Etat de sidération : symptômes, traumatique, en sortir

Un choc émotionnel conséquent (viol, agression, deuil, attentat...) provoque parfois un état de sidération qui paralyse la victime. Quels sont les symptômes ? Les répercussions psycho-traumatiques ? Comment sortir d'un état de sidération ? On fait le point avec le Dr Muriel Salmona, psychiatre.

Etat de sidération : symptômes, traumatique, en sortir
© bialasiewicz

Un événement traumatisant peut créer une effraction psychique qui provoque un état de sidération. La victime est comme paralysée, elle n'est plus en capacité de réagir. La méconnaissance de ce mécanisme universel de sidération fait que l'on reproche souvent aux victimes de violences de ne s'être pas défendue ou de n'avoir pas fui. Les conséquences sont lourdes et l'on n'est pas toujours conscient des effets psychotraumatiques liés à cet évènement. Retour sur ce phénomène avec Muriel Salmona, psychiatre spécialisée dans les psychotraumatismes. 

Définition : qu'est-ce que l'état de sidération ? 

L'état de sidération traumatique se manifeste par un blocage de toutes les représentations mentales face à une situation très choquante. Il entraîne une paralysie des fonctions supérieures psychiques (parler, penser, se mouvoir etc). La personne sidérée est dans l'incapacité d'analyser la situation et d'y réagir de façon adaptée. Elle est comme pétrifiée, elle ne peut pas crier, ni parler, ni organiser de façon rationnelle sa défense. "Les polices politiques dans les états totalitaires utilisent la sidération pour soumettre les individus. Ils entrent chez des gens à 5h du matin, avec des chiens, en faisant du bruit pour les terroriser. Les victimes, sidérées, résistent beaucoup moins" illustre le Dr Muriel Salmona, psychiatre.

Qu'est-ce qui provoque un état de sidération traumatique ?

Un évènement traumatique est susceptible de produire un état de sidération dès lors que la situation dépasse la capacité d'entendement de l'individu (intégrer l'évènement dans le rationnel). Cet état de sidération traumatique se retrouve particulièrement dans les cas de violences (violences physiques, psychologiques, agressions sexuelles, viol, attentat etc). "Les violences sexuelles font partie des violences qui ont un pouvoir sidérant le plus important, 70% des femmes victimes de viol présentent un état de sidération et près de 100% chez les enfants victimes de viol" indique la psychiatre.

Causes : comment expliquer le mécanisme d'état de sidération ?

"La sidération est déclenchée par une situation de danger qui provoque un état de choc, de terreur et/ou d'incompréhension totale" précise la psychiatre. C'est le caractère particulièrement cruel, inhumain, impensable qui est le plus souvent à l'origine. Lors de violence c'est l'attitude de l'agresseur et "sa volonté de détruire qui est à l'origine de l'état de sidération" souligne le Dr Salmona. Les agresseurs provoquent cette sidération pour paralyser leurs victimes. "Pour sidérer une victime, il faut : soit la terroriser par la soudaineté et la brutalité de l'agression, la réduire à l'impuissance ; soit la paralyser par le caractère choquant de l'agression et de sa mise en scène mensongère, qui est alors impossible à intégrer" ajoute notre experte. "Les violences les plus sidérantes sont celles qui sont les plus injustes, celles qui n'ont aucun sens par rapport au contexte et à la victime."

Quels sont les symptômes d'un état de sidération ?

La paralysie mentale et physique est le symptôme le plus manifeste, la victime est immobilisée. Parfois, on observe également des comportements irrationnels et dangereux ; la personne se retrouve en mode automatique, elle court dans le vide, elle tente d'attraper l'arme de quelqu'un qui la menace... "La sidération est d'autant plus importante que la victime est jeune, vulnérable et dans l'incapacité de comprendre ce qui se passe", indique le Dr Salmona.

Quelles sont les conséquences de l'état de sidération ?

L'état de sidération entraîne presque toujours des troubles psycho-traumatiques qui s'installent dans la durée avec comme symptômes principaux une dissociation traumatique qui anesthésie la victime et une mémoire traumatique.

► "En situation de danger, une alarme sous corticale se met automatiquement en marche, elle alerte le cerveau afin qu'il réagisse et elle fait sécréter des hormones de stress, l'adrénaline et le cortisol pour augmenter les réserves d'énergie de l'organisme" développe la spécialiste. Mais quand la victime est en état de sidération, le cerveau ne réagit pas au signal et l'alarme continue de monter en puissance avec des taux d'hormones de stress de plus en plus importants jusqu'à provoquer un taux d'adrénaline et de cortisol dangereux pour l'organisme (risques cardio-vasculaire et neurologiques, on peut faire un arrêt cardiaque lors d'un stress extrême). "Pour échapper à ce risque, l'organisme met en place un mécanisme de sauvegarde que l'on peut comparer à une disjonction du circuit émotionnel (comme dans un circuit électrique en surcharge) ce qui crée un état de dissociation traumatique. La victime dissociée se retrouve déconnectée de ses émotions et de ses perceptions physiques. Elle est comme anesthésiée et spectatrice de la situation. La victime reste dissociée tant qu'elle est exposée aux violences et à l'agresseur" explique le Dr Salmona.

Des distorsions de la mémoire empêchent la personne d'accéder à l'évènement

L'amygdale cérébrale est le premier filtre de réception d'un évènement. L'hippocampe permet ensuite de poser un contexte spatio-temporel au souvenir de cet évènement. L'état de dissociation bloque le souvenir dans l'amygdale. Dès lors, l'évènement est présent dans le cerveau mais comme il n'est pas intégré, il est incompréhensible et non contextualisé. Aussitôt qu'une situation fait lien avec l'évènement traumatisant, la victime le revit à l'identique de façon incontrôlable sous forme de flash back comme s'il se reproduisait avec les mêmes émotions et perceptions : elle peut revivre une mort imminente, une sensation d'asphyxie, des douleurs…La mémoire traumatique qui contient ce qui s'est passé sous forme brute comme un magma crée des distorsions qui empêchent la personne d'accéder à l'évènement. "Par exemple, en cas d'agression, il arrive que les paroles, la violence, la haine et l'excitation de l'agresseur se mélangent avec la peur de la victime. Une confusion s'installe alors entre ses sentiments et ceux de l'agresseur et elle risquera de ressentir de l'excitation dans une situation effrayante sans comprendre pourquoi" précise notre experte. 

► Crises d'angoisse et cauchemars.

► Conduites d'évitement et de contrôle (phobies, TOC) pour échapper à la mémoire traumatique ou des comportements à risque pour l'anesthésier (drogues, alcool, mises en danger, auto-mutilations)

La phobie d'impulsion : après un état de sidération, certains individus souffrent de phobie d'impulsion, c'est-à-dire d'une peur de provoquer de la violence à leur tour. "Certaines victimes de l'attentat du Bataclan à Paris ont été colonisés par la pulsion meurtrière des terroristes (la mémoire traumatique provenant de l'agresseur) et imaginent qu'ils vont vouloir tuer des gens" soutient la psychiatre. 

► La reproduction. Si la plupart des personnes victimes de violences dans l'enfance ont de grands risques de subir de nouvelles violences (du fait de la dissociation traumatique qui les rend très vulnérables) certaines reproduiront la violence subie à l'encontre d'autrui.

Comment diagnostiquer l'état de sidération ?

Le diagnostic se pose essentiellement en consultation avec la victime. "On lui demande si elle a subi des violences et traumatismes parce que la plupart des individus sont conscients qu'il y a eu un traumatisme. Pour identifier les troubles psychotraumatiques, on leur demande de décrire leur vie et leurs symptômes afin de déceler un éventuel état de dissociation, des signes d'une mémoire traumatique et des stratégies de survie (conduites d'évitement ou conduites à risque)" souligne le Dr Salmona. Chez les patients victimes de psychotraumatisme durant l'enfance, le travail est plus long parce qu'ils sont parfois totalement inconscients de la cause de leur mal-être (l'évènement traumatique peut être difficilement accessible voir oublié ou négligé du fait d'une amnésie liée à l'état dissociatif). 

Lorsque l'état de dissociation prend fin, la victime revit l'évènement

Peut-on et comment sortir d'un état de sidération ?

"Les atteintes neuro-psychologiques provoquées par le psychotraumatisme sont traitées par une psychothérapie, associée à un traitement du stress (avec des bêtabloquants notamment) et/ou un traitement antalgique si le patient a des douleurs mentales et physiques" soutient le Dr Salmona. Il faut avant tout que les personnes traumatisées soient informées et protégées de toutes formes de violences et de stress trop important, cela permet de les faire sortir de leur état de dissociation et de limiter les réactivations de la mémoire traumatique. Lorsque l'état de dissociation prend fin, la victime revit à l'identique (couleurs, odeurs, bruits...) ce qu'il s'est passé. C'est la raison pour laquelle il est préférable d'être accompagné par un spécialiste. L'objectif est de désenclencher le système en réintégrant dans la mémoire autobiographique (dans l'hippocampe) l'évènement qui est bloqué dans l'amygdale. "Pour cela, le patient doit revisiter les évènements, les analyser, identifier les stratégies sidérantes de l'agresseur, comprendre ses réactions et comment fonctionne la mémoire traumatique afin de pouvoir faire des liens et de décrypter ses symptômes" développe le Dr Salmona. Le traitement est efficace. Il permet au cerveau de se réparer et réduit toutes les conséquences psycho traumatiques (dépression, envies suicidaires, troubles alimentaires, troubles du sommeil, conduites addictives, mises en danger) et les troubles somatiques (stress continuel, risques cardiovasculaires, risques de diabète etc). "En France, les psychiatres manquent de formation autour des psycho traumatismes et la population n'est pas encore assez informée sur le sujet" regrette notre experte. 

Merci au Dr Muriel Salmona, psychiatre, fondatrice et présidente de l'association Mémoire traumatique et victimologie.