Problème au foie et Covid : risques, séquelles, vaccination
Les personnes atteintes de maladies du foie comme la cirrhose, la NASH ou un cancer sont plus susceptibles de développer une forme grave de la Covid-19. Quels signes en cas de complications ? Quels risques de séquelles au foie ? Quelles précautions prendre ? Eclairage de trois experts des maladies du foie.
Environ un million de personnes auraient un foie malade en France, estiment les hépatologues. Les personnes atteintes d'une maladie chronique du foie comme une cirrhose ou une NASH seraient beaucoup plus à risque à développer des formes graves de Covid-19. Comme pour toutes les pathologies, les diagnostics et les prises en charge ont été retardés par la pandémie de Covid-19. Le dépistage et la prévention ont été freinés, voire mises à l'arrêt. Quels sont les risques pour ces patients ? Doivent-ils se faire vacciner et sont-ils prioritaires ? Quelle est la prise en charge recommandée en pleine pandémie ? Quelles sont les séquelles sur le foie sur le long terme ? Réponses de trois experts des maladies du foie, rencontrés lors du 14e Congrès annuel international sur les maladies du foie qui a eu lieu le 8 mars 2021.
Maladie du foie et Covid : quels sont les risques ?
D'une part, le fait d'avoir une maladie chronique au niveau du foie expose à un risque de développer une forme grave à la Covid-19. "Ce risque est particulièrement élevé pour les patients au stade de cirrhose, ceux qui sont atteints d'une NASH (stéatohépatite non alcoolique) ou d'un cancer du foie. Pire encore, il y a pas mal d'études qui ont montré que lorsqu'on a une maladie du foie, quelle qu'elle soit, une pathologie alcoolique du foie, une NASH ou une cirrhose, il y a une mortalité plus forte", prévient d'emblée le Pr Patrick Marcellin, hépatologue.
► Cirrhose et Covid : une mortalité augmentée de 32%
Selon un avis de la Haute Autorité de Santé du 10 avril 2020, les patients atteints de cirrhose au stade B ou C de la classification de Child-Pugh (autrement dit, les cirrhoses décompensées : une cirrhose caractérisée par des défaillances hépatiques plus sévères) sont à risque de développer une forme grave de Covid-19. "L'infection de Covid aggrave les maladies du foie et représente notamment une cause de la décompensation de cirrhose, avec un risque d'encéphalopathie ou d'hémorragie digestive", alerte le Pr Patrick Marcellin, avant d'évoquer une étude internationale à grande échelle ayant montré que :
- Le risque de mourir de la Covid-19 est de 32% pour les personnes atteintes d'une cirrhose. "La mortalité est entre 2 et 5 fois plus importante en cas de cirrhose décompensée", précise le Dr Pascal Melin, hépatologue à l'hôpital CH Saint-Dizier et président de SOS Hépatites.
- Le risque de mourir de la Covid-19 est de 8% pour les personnes atteintes d'une maladie chronique du foie sans cirrhose.
► Nash et Covid : un risque plus élevé de forme sévère
L'infection par le SARS-Cov-2 peut contribuer à déclencher une véritable Nash chez une personne atteinte d'une simple stéatose.
Selon les derniers chiffres de l'Inserm, environ 16 000 Français souffriraient d'une NASH (aussi appelée "foie gras"). Une grand majorité d'entre eux vivent sans le savoir. "Or comme ils ont souvent plus de 50 ans et des comorbidités associées (le plus souvent, un diabète et une surcharge pondérale), ils sont plus à risque de développer des formes sévères de la Covid, indique le Dr Laurent Castera, gastro-entérologue et hépatologue. Par ailleurs, l'infection par le SARS-Cov-2 et le syndrome hyper-inflammatoire associé peuvent contribuer à déclencher une véritable Nash chez une personne atteinte d'une simple stéatose." Jusqu'à présent, seules les mesures hygiéno-diététiques (régime hypocalorique et exercice physique) ont fait la preuve de leur efficacité. Celles-ci sont d'autant plus difficile à appliquer dans un contexte de pandémie qui favorise la sédentarité et la malbouffe ainsi que la consommation d'alcool. Même dans un contexte sanitaire compliqué, les médecins recommandent aux patients atteints d'une NASH de :
- Manger moins gras, moins sucré,
- Limiter sa consommation d'alcool
- Faire de l'activité physique et/ou marcher au moins 30 minutes par jour
- Solliciter si besoin l'aide d'un nutritionniste ou d'un diététicien, en plus de l'hépatologue et de son médecin généraliste, pour une prise en charge pluridisciplinaire.
- Consulter leur médecin pour maintenir leur suivi médical au moins tous les 6 mois.
► Cancer du foie et Covid : plus vulnérables
D'une manière générale "la pandémie a retardé le suivi et la prise en charge des patients atteints d'un cancer du foie. On a observé des retards d'hospitalisation, notamment dans les transplantations du foie et des soins qui ont été interrompus", s'indigne le Pr Marcellin. C'est d'autant plus problématique qu'en cas de contamination à la Covid-19, les patients atteints de cancer et qui suivent un traitement contre celui-ci (hors hormonothérapie) altérant leurs défenses immunitaires sont plus vulnérables et plus à risque de développer une forme sévère de la maladie.
Vous êtes considéré comme vulnérable à très haut risque en cas de :
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Recommandations : quelle prise en charge pendant la Covid-19 ?
En cas de non contamination à la Covid-19 : la Haute Autorité de Santé recommande de "réaliser le suivi des patients atteints de pathologie du foie chronique au maximum hors des établissements de soins et privilégier la téléconsultation en veillant à l'absence de rupture de suivi".
→ Pour les patients avec une maladie du foie avancée, elle recommande de réaliser les examens de surveillance si possible en ville ou de les reporter maximum d'un à 2 mois :
- bilans biologiques avec prélèvements à domicile par un infirmier diplômé d'Etat
- élastométries impulsionnelles ultrasonores,
- examens d'imagerie du foie de dépistage du carcinome hépatocellulaire (CHC) une fois par semestre
→ Pour les autres patients : il convient de limiter ses déplacements à l'extérieur de son domicile et de solliciter l'aide d'un voisin ou d'un proche pour les courses. Ces personnes ne doivent en aucun cas arrêter leurs traitements habituels sans un avis médical. Pour toute question et en cas de doute, il faut prendre contact avec son médecin par téléphone, mail ou téléconsultation. Si des symptômes inhabituels apparaissent : fièvre, toux, fatigue, perte de goût ou d'odorat, diarrhée, difficulté à respirer, mal-être, etc. il peut s'agir d'une aggravation de votre maladie, d'un COVID-19 ou d'une autre maladie : il faut appeler son médecin. En cas de difficultés respiratoires ou de signes d'étouffement, il faut appeler le SAMU (15) et ne pas prendre de nouveaux médicaments sans un avis médical.
En cas de Covid-19 suspecté ou confirmé, ou si l'hospitalisation d'un patient atteint d'une maladie du foie est indiquée:
- le patient doit être orienté vers un secteur COVID-19, avec gestion médicale coordonnée associant l'hépatologue référent habituel,
- le patient doit limiter la posologie quotidienne de paracétamol à 2 g/jour,
- une prise en charge nutritionnelle peut être proposée du fait du risque important de dénutrition,
- le maintien des traitements antiviraux en cours doit être privilégié
- dans les formes sévères de COVID-19, les modifications éventuelles doivent être discutées au cas par cas, en concertation avec les praticiens prenant en charge le COVID-19 et l'hépatologue référent.
Quelles sont les séquelles de la Covid-19 sur le foie ?
"Le foie est un organe capable de se régénérer, il n'y aurait donc probablement pas de dommages hépatiques sur le long terme"
Le Sars-CoV-2, virus responsable de la pandémie de la Covid-19, touche habituellement les poumons. Néanmoins, les scientifiques ont prouvé qu'il pouvait également entraîner des lésions hépatiques, même chez des personnes ayant un foie sain. Une étude menée par des chercheurs du Yale Liver Center publiée le 29 juillet 2020 dans la revue Hepatology a montré que parmi les personnes diagnostiquées positives à la Covid-19, entre 41.6% et 83.4 % d'entre elles présentaient des lésions hépatiques, autrement dit, une destruction des cellules du foie. Ces lésions ont été mises en évidence après avoir examiné 5 tests du foie :
- l'augmentation des transaminases (ASAT), d'aspartate-aminotransférase et d'alanine (ALT) qui indiquent une inflammation des cellules du foie
- l'augmentation en bilirubine qui indique un dysfonctionnement du foie
- l'augmentation de phosphatase alcaline (ALP) qui indique une inflammation des voies biliaires principales.
Les lésions hépatiques peuvent se caractériser par des hématomes, des petites déchirures au foie ou des hémorragies graves. Elles peuvent entraîner des symptômes plus ou moins bénins : douleurs et lourdeurs à l'abdomen, troubles digestifs (nausées, vomissements...), augmentation du volume abdominal, coloration jaune de la peau et du blanc de l'œil, grande fatigue... Toutefois, "le foie est un organe capable de se régénérer, il n'y aurait donc probablement pas de dommages hépatiques sur le long terme", tient à rassurer le Eric Cioe-Peña, médecin des urgences et directeur de la santé mondiale chez Northwell Health à New York, qui codirige également un hôpital de traitement des coronavirus dans l'établissement psychiatrique de South Beach à Staten Island. En effet, les lésions hépatiques guérissent souvent sans traitement ou dans certains cas, elles nécessitent un traitement chirurgical pour réparer ou enlever une partie du foie.
Merci au Pr Patrick Marcellin, hépatologue à l'hôpital Beaujon et Président de l'association de lutte contre les maladies du foie (APHC), au Dr Pascal Melin, président de SOS Hépatites, au Dr Laurent Castera, gastro-entérologue et hépatologue à l'hôpital Beaujon à Clichy, rencontrés lors de la 14e Paris Hepatology Conference (PHC), Congrès annuel international sur les maladies du foie.