Comment faire le deuil d'un proche décédé du Covid-19 ?
L'épidémie de coronavirus fait de nombreuses victimes chaque jour. Cérémonies restreintes, impossibilité de voir le corps, obsèques et enterrements reportés... Faire son deuil d'un proche décédé du Covid-19 est particulièrement douloureux et difficile en période de confinement. Quelles sont les phases du deuil ? Comment le surmonter ? Conseils du psychothérapeute Bruno Vibert.
La pandémie de coronavirus fait de nombreuses victimes chaque jour. Des décès qui surviennent dans la plupart des cas brutalement et qui bouleversent nos traditions funéraires. Mais comment parvenir à faire son deuil dans ce contexte de crise sanitaire d'ampleur mondiale ? Comment se reconstruire psychologiquement ? A qui demander de l'aide ? Les outils d'un psychothérapeute pour surmonter cette dramatique épreuve.
Les phases du deuil
Le processus du deuil se fait globalement en 5 étapes, auxquelles sont successivement confrontées les personnes qui subissent une perte :
- La phase d'annonce ou de choc "qui survient lorsqu'on apprend la perte et qui va créer un véritable traumatisme", explique Bruno Vibert, psychothérapeute.
- La phase de déni ou de refus "qui est particulièrement longue et psychologiquement douloureuse lorsque le décès est brutal, comme c'est le cas en pleine épidémie du Covid-19, lorsque la personne n'a pas pu voir le corps du défunt et qu'elle n'a rien pour concrétiser le décès", poursuit notre interlocuteur.
- La phase d'acceptation "qui permet de faire sortir toute sa tristesse et de se dire que la personne défunte souhaite que la vie continue", détaille-t-il. C'est une sorte de résilience : la personne est certes affectée par un traumatisme, mais va pouvoir sortir de ce malheur et se reconstruire d'une façon qui est socialement acceptable.
- La phase de pardon "qui permet d'une part de pardonner au monde extérieur et de se pardonner à soi-même de n'avoir rien pu faire pour empêcher le décès. La perte de quelqu'un nous ramène souvent à nous-même et réveille en nous un certain égoïsme ou égocentrisme qu'il faut progressivement faire taire"
- La phase de quête de sens "dans laquelle on se sent prêt à avancer, à retrouver progressivement une certaine sérénité et à donner un nouveau sens à sa vie", précise le psychothérapeute.
Comment faire le deuil sans voir le corps ?
Certaines personnes ont perdu un proche à cause du Covid-19 quasiment du jour au lendemain, sans un adieu ou un moment de recueillement possible. "Le décès d'un être cher survient toujours trop tôt. Mais dans ce contexte épidémique où voir le corps du défunt est compliqué (comme dans les Ehpad par exemple), le deuil est particulièrement douloureux. Or, pour concrétiser le décès, l'être humain a besoin de voir le corps inerte, d'un moment pour tenir sa main et/ou ressentir l'émotion en présence du défunt. Autrement dit, un deuil ne peut pas se faire uniquement dans la tête ou mentalement. Pour faire son deuil et intégrer le décès, l'esprit a besoin de preuves visuelles qui marquent une vraie séparation physique et concrète avec le défunt. Sans ça, il refuse d'y croire et peut rester dans une phase de déni et d'incrédulité pendant très longtemps, indique Bruno Vibert. On le voit bien dans le cas des personnes disparues : l'absence de confrontation avec le corps du défunt rend le deuil particulièrement compliqué pour les proches qui peuvent parfois passer toute leur vie dans une phase de déni".
"Si on ne peut pas voir le corps du défunt, il ne faut pas hésiter à demander une photo ou une vidéo du défunt, de la mise en bière ou du cercueil."
En pleine épidémie de Covid-19, il faut donc essayer de ramener la situation au concret en essayant dans la mesure du possible de voir le corps du défunt avant sa mise en bière, tout en respectant bien sûr les consignes sanitaires. "Je conseille aux familles de voir avec l'équipe de soignants ou le personnel funéraire ce qu'il est possible de faire pour voir le corps. Si cela n'est vraiment pas envisageable, il ne faut pas hésiter à demander une photo ou une vidéo du défunt, de la mise en bière ou du cercueil. C'est un conseil qui peut paraître incongru, mais cela peut aider certaines personnes à matérialiser le décès et à surmonter plus facilement la perte", recommande Bruno Vibert.
Comment faire son deuil en confinement ?
Le sentiment de colère va au-delà de toute attitude raisonnée.
Le confinement rend le deuil encore plus difficile et renforce notre sentiment de colère. "Dans ce contexte, la douleur et le chagrin priment sur la raison : on est très en colère contre le monde entier, particulièrement les autorités gouvernementales qui nous interdisent de voir notre proche. Et même si on a conscience que le virus est dangereux et que le risque de contagion existe bel et bien, le sentiment de colère va au-delà de toute attitude raisonnée", observe le psychothérapeute. En parallèle, vient le sentiment de culpabilité : "on en veut à soi-même, de ne pas avoir pu se rendre au chevet de la personne que l'on aime et de ne pas fait quoi que ce soit pour empêcher le décès. D'autant plus que l'isolement renforce encore plus ce sentiment de solitude : confinées, certaines personnes vont avoir tendance à davantage se replier sur elles-mêmes, à refuser de sortir ou de continuer à vivre. On constate parfois une volonté de se réfugier dans sa souffrance, comme s'il y avait une sorte de résignation", indique notre interlocuteur. Ainsi, si on en ressent le besoin, il ne faut pas hésiter à demander l'aide et le soutien de son entourage ou d'un professionnel de santé. en effet, le travail d'un psychologue, par le biais d'un travail individuel d'accompagnement de soutien psychologique ou d'une psychothérapie (en téléconsultation pendant le confinement ou de visu lorsque ce sera possible), peut aider à surmonter cette épreuve.
Comment faire son deuil sans enterrement ?
En attendant, il faudra réinventer des rituels et trouver les gestes symboliques qui apaiseront les souffrances et feront le plus de bien.
"Dans ce contexte épidémique, le deuil est d'autant plus difficile que la volonté du défunt ne peut pas toujours être respectée", souligne le psychothérapeute. Et à la douleur incommensurable s'ajoutent des procédures administratives compliquées et la privation de rituels, pourtant nécessaires au deuil : la cérémonie religieuse ne peut pas avoir lieu ou en très petit comité (moins de 20 personnes, employés des pompes funèbres compris), les rites funéraires sont très restreints, assister à la mise en bière ou à la crémation n'est pas toujours possible, bénir le cercueil est interdit, il y a un manque de place dans les chambres froides, le choix de la pompe funèbre peut être limité, les cimetières sont fermés, il n'y a pas de registre de condoléances... "Autant de gestes concrets dont l'entourage a besoin pour faire son deuil. Sans ça, le deuil est possible, mais plus long et compliqué à envisager, regrette notre expert. Heureusement, la levée du confinement permettra à l'entourage d'avancer dans le deuil : on va pouvoir réorganiser des cérémonies funéraires ou se rendre au lieu où a été enterré le défunt. Cela va permettre de poser ses émotions ailleurs et de lâcher toutes ses peurs et ses souffrances, Quand cela sera possible, il faut tout faire pour organiser un hommage ou une réunion de famille". En attendant, il va falloir réinventer des rituels et trouver les gestes symboliques qui apaiseront les souffrances et feront le plus de bien : se réunir en famille à travers un écran, confectionner un album photo, écrire des chansons en mémoire de la personne décédée, se remémorer des souvenirs, allumer des bougies, faire une vidéo de la vie du défunt...
Merci à Bruno Vibert, psychothérapeute.