Greffe du visage : entier, résultat, risques, quand ?
Les greffes de visage sont des opérations chirurgicales exceptionnelles. Il n'y en a eu qu'une cinquantaine dans le monde depuis le début des années 2000. Les patients qui ont des tumeurs bénignes défigurantes ou ont subi un accident. Seules 2 équipes en France sont autorisées à la pratiquer. Le point avec le Pr Bernard Devauchelle.
Définition : c'est quoi une greffe de visage ?
"Le terme "greffe de visage" est aujourd'hui passé dans le langage courant, reconnait le Professeur Bernard Devauchelle, chef du service de chirurgie maxillo-faciale au CHU d'Amiens-Sud Picardie. Mais en 2005, lorsque j'ai réalisé la première opération de ce type au monde, le Comité consultatif national d'éthique nous obligeait à utiliser le terme d' "allotransplantation de tissu composite au niveau de la face". Aujourd'hui, on utilise le terme de "greffe de visage" pour désigner une opération qui consiste à reconstruire tout ou partie d'un visage, à l'aide d'un don d'organe effectué par un donneur vers un receveur ". La graisse et la peau du visage d'un donneur récemment décédé sont prélevées tout comme les os, les muscles de la face, puis sont greffés sur le receveur. Vaisseaux sanguins et terminaisons nerveuses doivent ensuite être reconnectés. Il s'agit d'une opération extrêmement complexe qui n'est pas sans entraîner des risques de rejet mais également des conséquences psychologiques. La greffe totale du visage pose également un souci éthique.
En France, seules deux équipes sont autorisées à pratiquer la greffe de visage
Quand a été faite la première greffe de visage en France ?
Une greffe du visage partielle a été réalisée pour la première fois le 27 novembre 2005, sur le sol français, par l'équipe de chirurgie maxillo-faciale du Professeur Devauchelle au CHU d'Amiens. La patiente, Isabelle Dinoire, âgée de 38 ans lors de l'intervention, était défigurée après la morsure de son chien. La greffe concernait le nez, les lèvres et le menton de la patiente. Isabelle Dinoire meurt des suites de la récidive d'une tumeur maligne en 2016. Depuis, moins de 50 greffes ont été réalisées dans le monde. "10 décès ont été enregistrés ce qui pose la question de la légitimité de la greffe du visage", reconnait le Professeur. En France, seules deux équipes sont autorisées à pratiquer cette intervention : le service de chirurgie plastique du Professeur Laurent Lantieri du CHU Pompidou à Paris, et le service de chirurgie maxillo-faciale du Professeur Bernard Devauchelle, au CHU d'Amiens. "Nous avons des autorisations (10 au total) pour mener des greffes de visages, dans le cadre d'un protocole hospitalier de recherche clinique, détaille le Professeur Devauchelle. Chaque année, une évaluation est organisée par l'Agence de la biomédecine en présence des représentants de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM)".
Quelles sont les indications d'une greffe de visage ?
"Au départ, la greffe de visage a été pensée en termes d'"esthétique" pour les grands brulés et les grands défigurés, poursuit le chirurgien. Mais rapidement la restauration des fonctions (mastication, respiration, élocution, exprimer des émotions...) disparues s'est imposée comme argument majeur à son indication". Les patients ayant bénéficié d'une greffe de visage sont victimes :
► De tumeurs bénignes défigurantes (maladie de Von Recklinghausen, malformations vasculaires étendues…), qui constituent sans doute la meilleure indication ; alors que les tumeurs malignes, au contraire, sont des contre-indications en raison du risque de cancer lié aux traitements immunosuppresseurs nécessaires
► De défigurations traumatiques : grands brulés, brulures profondes de la face, blessures balistiques (blessures de guerre ou tentative de suicide), blessures suite à une attaque par un animal…
"En France, on pourra bien sûr s'interroger sur ce qu'est l'entièreté du visage, explique le Professeur. Normalement la partie transplantée répond à la taille de la perte de substance, l'important étant de cacher au mieux les traces cicatricielles et d'éviter l'effet patchwork". La tendance de certaines équipes est d'étendre, notamment sur le plan cutané, la surface de la zone transplantée pour cacher au mieux les cicatrices.
Comment se déroule une greffe de visage ?
"Contrairement aux greffes d'organes (cœur, foie, rein), dont la remise en fonction ne requiert aucune réinnervation, la greffe de la face et des mains obligent le chirurgien à rétablir la continuité nerveuse si l'on souhaite redonner sensibilité et motricité). Pour cela, le temps entre le prélèvement sur le donneur et la transplantation sur le receveur ne peut pas dépasser 6 heures". L'opération est ensuite délicate et l'intervention peut durer plus d'une vingtaine d'heures. Une greffe de visage nécessite en général le travail d'une trentaine de personnes comprenant des médecins chirurgiens senior, des médecins anesthésistes et des infirmiers. Les patients qui ont été greffés du visage doivent prendre un traitement immunosuppresseur à vie. "Nous devons également rendre le corps du donneur à la famille. Une équipe de prothésiste va devoir réaliser un masque en silicone".
Qui sont les donneurs lors d'une greffe de visage ?
"Avant de réaliser la greffe, il faut trouver un greffon, c'est-à-dire un donneur en état de mort cérébrale". La loi stipule que nous sommes tous donneurs potentiels sauf à avoir exprimé son refus sur un registre tenu à l'Agence de la Biomédecine. Néanmoins, les équipes de coordination chargées d'organiser les prélèvements d'organe prennent contact avec la famille. "On rappellera que le prélèvement des mains ou du visage ne survient que quand une demande a été formulée près de l'Agence. Ces prélèvements ne doivent pas empêcher le prélèvement des organes profonds. Souvent c'est en cas d'acceptation des organes profonds que, quand la chose est nécessaire, les équipes de coordination sollicitent les familles pour les prélèvements nécessaires des tissus composites".
Quels sont les risques et complications d'une greffe de visage ?
"Il existe plusieurs types de complications, conclut notre interlocuteur : Un rejet aigu à 3 semaines, que l'on arrive à bien gérer avec des doses d'immunosuppresseur. A plus long terme, on a constaté des cas de tumeur maligne (lymphome, léïomyosarcome…) secondairement apparus, en rapport direct avec l'immunosuppression. A beaucoup plus long terme (huit à dix ans), des phénomènes de rejet chronique aboutissant à la nécrose partielle, voire totale, du transplant, pouvant amener à proposer une retransplantation".
Merci au Professeur Bernard Devauchelle, chef du service de chirurgie maxillo-faciale au CHU d'Amiens-Sud Picardie.