Sexualité des séniors : âge, pratique, orgasme, quel changement ?
Faire l'amour à 60, 70, 80 ans... et même plus ! La sexualité n'a pas d'âge mais elle devient pourtant taboue en vieillissant. Qu'est-ce qui change pour la femme et l'homme ? Quel orgasme ? Désir sexuel ? Quelles sont les pratiques privilégiées ? Quelles difficultés ? Avantages ? Réponses avec le Dr Céline Candillier, sexologue.
40% des hommes de 60 à 69 ans ont un rapport sexuel par semaine (25% entre 70 et 79 ans) et 25% environ des femmes de 60 à 79 ans, selon une étude américaine publiée en 2008 et menée auprès de 26 000 personnes dans 29 pays. Pourtant la sexualité des seniors est un sujet tabou. "Personne n'en parle car la société et son idéalisation des corps jeunes et parfaits rendent la sexualité taboue chez les personnes vieillissantes. On pense qu'ils n'ont plus de désir, ou de plaisir liés au corps. Ce n'est pas normal, il faut lever ce tabou car certains seniors font d'eux-mêmes une croix sur leur sexualité à cause de l'influence normative de la société. La sexualité conditionne une grande part de notre accès au bonheur et au bien vieillir" déplore le Dr Céline Candillier, sexologue. A partir de quel âge est-on considéré comme sénior ? Quels sont les avantages de la sexualité des seniors ? Qu'est-ce qui change ? Éclairage.
Définition : à quel âge est-on considéré comme sénior ?
"L'âge chronologique (en lien avec notre date de naissance) n'est pas obligatoirement en adéquation avec notre âge biologique (celui de notre corps) et notre ressenti psychique (l'âge dans notre tête)" informe la sexologue. "En généralisant, on peut diviser les séniors en catégories d'âge chronologique : les personnes de 60 à 80 ans et les personnes de 80 ans et plus." indique le Dr Céline Candillier. Toutefois, il serait préférable de parler d'un autre critère différenciant, celui de la dépendance. "C'est l'accentuation de la dépendance qui fait basculer la personne dans un quatrième âge, un âge où le désir sexuel existe toujours mais où les relations sexuelles peuvent être plus difficiles à avoir sans aide d'un assistant sexuel comme cela existe dans d'autres pays européens." Les assistants ou "aidants" sexuels sont des hommes et des femmes formés-es et employés-es pour fournir des "prestations" sexuelles à des personnes en situation de handicap, comme le rappelle le Haut Conseil à l'égalité entre les hommes et les femmes (HCE). En France, les aidants sexuels-elles ne sont pas autorisés car la profession est considérée comme une "forme de légalisation de la prostitution." Les aidants ou assistants sexuels sont autorisés en Suisse, en Belgique, au Danemark et en Allemagne.
Qu'est-ce qui change dans la sexualité chez les seniors ?
"La sexualité est un indicateur de bonne santé physique et psychique" rappelle la sexologue. Or "le sexe n'est plus le même à 60 ans qu'à 20 ans". Ce qui change :
- Une période d'excitation plus longue : "Avec le temps, il faut plus de temps au corps pour être excité et cette excitation passe davantage par des stimulations corporelles plus longues (caresses, massages). Lorsqu'on est "jeune", le fantasme peut suffire. Cette modification de l'excitation que l'on retrouve chez l'homme comme chez la femme est essentiellement due à des modifications physiologiques liées à l'âge comme par exemple la perte d'élasticité de la peau qui diminue la sensibilité aux stimulations. Ainsi, les caresses ne sont plus perçues de la même façon."
- Il faut prendre son temps. "Avec l'âge, le slow sex est une bonne solution. Il s'agit de prendre son temps et de communiquer avec son ou sa partenaire mais également d'adapter sa vie sexuelle à son mode de vie." Ainsi, le couple peut par exemple préférer avoir des rapports la journée plutôt que le soir, puisqu'il en a davantage le temps.
- La communication joue un rôle important. "Il faut pouvoir discuter avec son ou sa partenaire car ce qui était évident à 20 ans en terme de pratique ne l'est pas à 60 ans, les corps ne réagissent pas de la même façon."
- Les érections. "Il est normal qu'avec l'âge, des troubles érectiles puissent survenir. Les pannes sexuelles sont plus fréquentes en vieillissant. Mais cela ne doit pas être perçu comme anormal. Si les séniors avaient accès à l'éducation sexuelle, ils pourraient différencier ce qui est normal de ce qui peut être pathologique et ainsi être plus détendus et épanouis dans leur sexualité" déplore le Dr Candillier.
- Assèchement et atrophie de la muqueuse vaginale. "Avec l'âge, les parois vaginales perdent de leur souplesse et s'amincissent, et cela s'accompagne souvent d'une sécheresse pouvant être source d'irritations et de douleurs. Il faut donc prendre l'habitude d'utiliser des lubrifiants, ce qui peut d'ailleurs devenir un jeu intime entre les partenaires."
"La relation sexuelle est davantage perçue comme une relation intime et rapprochée que comme une performance physique"
- La nature de la relation. "La relation sexuelle est davantage perçue comme une relation intime et rapprochée avec quelqu'un que comme une performance physique : elle n'est pas obligatoirement synonyme de pénétration, mais plutôt d'intimité partagée et de complicité. Cette dernière est très importante."
Est-ce que le désir sexuel disparait avec l'âge ?
"Le désir sexuel varie en fonction des évènements de vie, des périodes de célibat ou de vie en couple, mais il ne disparaît pas avec l'âge comme tentent de l'imposer les normes de la société. En effet, certains seniors (davantage les femmes) ne s'autorisent plus à écouter leur désir car la société ne l'autorise pas" indique la sexologue qui rappelle que "le désir sexuel apparaît à l'adolescence et disparaît avec la mort".
Peut-on toujours avec des orgasmes ?
"Oui, les seniors peuvent atteindre l'orgasme et les femmes peuvent même l'atteindre plusieurs fois" indique la sexologue. "Des études montrent que chez la femme, l'orgasme à 60 ans est de meilleure qualité que celui à 40 ans. En effet, les femmes qui ont une vie sexuelle active à 60 ans sont des femmes qui se connaissent davantage, et c'est en se connaissant mieux et en acceptant son corps qu'on améliore les sensations." Lors de l'orgasme, la dopamine (hormone du plaisir) est sécrétée avec une décharge d'autres endorphines. L'ocytocine est elle aussi produite lors de l'orgasme, "il s'agit de l'hormone dite "de l'attachement", c'est elle qui permet d'être en relation intime avec les autres, de créer des liens et de transformer le plaisir en amour."
Est-ce que les pratiques sexuelles changent avec l'âge ?
"Je ne dirai pas qu'il y a des pratiques moins réalisées ou plus réalisées avec l'âge" répond la sexologue. "La chose la plus importante c'est de prendre son temps. La période d'excitation doit souvent durer plus longtemps et la relation sexuelle ne se termine pas obligatoirement par la pénétration. Il s'agit de créer une intimité." Le Dr Candillier rappelle que la communication est fondamentale pour ajuster ses pratiques au nouveau fonctionnement des corps.
Quels sont les avantages de continuer à faire l'amour ?
Peu importe l'âge, la sexualité fait toujours du bien. "Si les seniors ont du désir et qu'on les prive de cette sexualité, on les prive de bien-être." Le Dr Candillier détaille les bienfaits de la sexualité chez cette tranche d'âge :
- Elle donne une opportunité d'exprimer de l'affection, de la passion pour une personne.
- Elle permet d'affirmer que son corps fonctionne et qu'il peut donner du plaisir, ce qui a un impact positif sur le sentiment d'estime de soi.
- La proximité sexuelle permet de défier les stéréotypes de l'âge qui veulent que les seniors ne bougent pas et soient incapables de ressentir du désir.
- Elle a un impact positif sur l'humeur des gens et leur bien-être.
- Elle est bénéfique pour le "bien vieillir" car elle est gage d'une bonne santé physique et psychique.
- La sexualité protège des troubles cognitifs tels qu'Alzheimer grâce aux hormones qui sont libérées pendant l'amour.
"De nombreux couples de 60 ans ont deux à trois rapports par semaine car ils ont plus de temps pour cela"
Quelles sont les difficultés rencontrées ?
Tout est une question d'adaptation. "Il faut adapter ses pratiques aux changements de son corps et de son esprit en optant par exemple pour des positions soulageant le dos si on a mal au dos" informe la sexologue. "Il existe aussi des positions qui sont préconisées si l'érection ne tient pas bien." Chez la femme senior, la difficulté est principalement causée par la sécheresse vaginale : "Avec l'âge, la peau est plus fine et la muqueuse du vagin est plus sèche. L'utilisation de lubrifiant est conseillée afin de rendre le rapport plus agréable."
Quelle est la fréquence des rapports à 60 ans, à 70 ans, après 80 ans ?
40% des hommes de 60 à 69 ans ont un rapport sexuel par semaine (25% entre 70 et 79 ans) et 25% environ des femmes de 60 à 79 ans, selon une étude américaine publiée en 2008 et menée auprès de 26 000 personnes dans 29 pays. Mais "il n'y a pas de normalité en ce qui concerne la fréquence des rapports sexuels. Certains seniors font le choix de ne plus avoir de vie sexuelle et sont épanouis. Alors que de nombreux couples de 60 ans ont deux à trois rapports par semaine car ils ont plus de temps pour cela et sont aussi épanouis comme ça." Ce n'est pas une question de fréquence, mais d'équilibre : "L'important est de trouver un équilibre personnel et relationnel et ce, quel que soit l'âge. Le besoin, s'il s'exprime, est normal. Il faut respecter son corps, et se respecter, c'est répondre à ce désir."
Merci au Dr Céline Candillier, sexologue.
Source : Sexual dysfunction among older adults: prevalence and risk factors from a nationally representative U.S. probability sample of men and women 57-85 years of age, Edward O Laumann, Linda J Waite, Pub Med, 2008.