Comment se sortir d'une addiction : alimentaire, jeu, sport, alcool...
Tabac, alcool, drogue, sport... Une addiction est une pathologie qui peut toucher tout le monde et concerner diverses substances ou comportements. Comment s'en sortir ? Le Dr Bruno Leroy, médecin addictologue, répond au Journal des Femmes.
Tabac, alcool, drogue, sport... "L'addiction c'est comme une perte de la liberté de s'abstenir dans un comportement ou dans une consommation. C'est une pathologie biologique, psychologique et sociale" explique le Dr Leroy, médecin addictologue. "Etymologiquement, addiction vient du latin ad-dicere, soit 'dire à', et exprime une appartenance, une dette dont les personnes sont esclaves." Une personne peut avoir plusieurs addictions. "Les causes diffèrent en fonction de l'addiction" indique le Dr Leroy. Sur le plan biologique, "on peut être plus ou moins 'fragile' selon notre constitution. Par exemple, nous ne sommes pas toutes et tous égaux face à l'alcool et nous n'avons pas les mêmes enzymes au niveau du foie, c'est génétique : il y a des gens qui sont des cataboliseurs lents et qui mettent beaucoup de temps à assimiler l'alcool et ne le supportent pas et d'autres qui sont des cataboliseurs rapides qui sont stimulés de façon positive par l'alcool. Ces gens-là sont plus à risque car ce sont de bons candidats à la dépendance." Socialement, "dans certaines cultures, telle ou telle pratique peut être soit interdite, soit encouragée. Par exemple, en France, beaucoup de gens boivent du vin à table. Cette habitude peut emmener vers une addiction, surtout si biologiquement, le terrain est propice" indique l'addictologue. Enfin psychologiquement, "lorsqu'on ne va pas bien, on a tendance à se réfugier dans des comportements qui procurent du bien-être et on risque de tomber dans l'addiction." Comment reconnaître une addiction et arriver à s'en sortir ? Thérapie, cure, médicaments... Tour des solutions possibles.
Quels sont les 11 critères d'une addiction ?
"On diagnostique une addiction grâce à un manuel, le Diagnostic and Statistical manual of Mental disorders (DSM)." Ce dernier regroupe plusieurs critères qui peuvent orienter le diagnostic. "Quand on coche 4 ou 5 critères sur les 11, l'addiction est modérée, au-delà de 6, l'addiction est sévère."
- Le besoin impérieux et irrépressible de la substance ou la pratique du jeu, aussi appelée "craving" en anglais.
- La perte de contrôle sur la quantité et le temps dédié à la prise de substance ou au jeu.
- Beaucoup de temps consacré à la recherche de substances ou au jeu.
- L'augmentation de la tolérance au produit addictif.
- Présence d'un syndrome de sevrage, c'est-à-dire de l'ensemble des symptômes provoqués par l'arrêt brutal de la consommation ou du jeu : "Dans le cas de l'alcool, il peut s'agir de tremblements, dans le cas du tabac de l'irritabilité" explique le Dr Leroy.
- Incapacité de remplir des obligations importantes.
- Usage même lorsqu'il y a un risque physique.
- Problèmes personnels ou sociaux.
- Désir ou efforts persistants pour diminuer les doses ou l'activité.
- Activités réduites au profit de la consommation ou du jeu.
- Poursuite de la consommation malgré les dégâts physiques ou psychologiques.
Addiction ou dépendance ?
"La dépendance est un des critères de l'addiction, ce sont des notions qui se recouvrent" explique l'addictologue. "La dépendance peut être physique ou psychologique selon les produits. Par exemple, la cocaïne provoque une dépendance psychologique avec un craving très puissant, mais il n'y a pas de signe de sevrage physique. La dépendance à l'alcool aura une incidence physique avec symptômes de sevrage comme des tremblements, mais aussi des conséquences psychologiques avec de l'anxiété…"
Quels sont les effets sur le cerveau ?
"Le mécanisme à l'origine de l'addiction est celui du centre de récompense. Il est normal et est présent chez tous les animaux" définit le Dr Leroy. Qu'est-ce que le système de récompense ? "Quand on a un comportement de récompense, on aura une sensation de bien-être. Nos cerveaux sont faits pour s'adapter en cas de carences mais il n'y a rien pour réguler l'excès. Dans notre société, on a tendance à se récompenser à l'excès : une cigarette après un coup de stress, un petit verre d'alcool après une journée de travail chargée ou encore un achat compulsif… Le problème s'installe lorsque cela devient pathologique, de l'ordre de l'addiction" explique l'addictologue.
Comment ne plus être addict ?
"Il est important de se faire accompagner par un médecin spécialisé ou dans un centre de soin spécialisé, afin de se débarrasser d'une ou plusieurs addictions" averti le Dr Bruno Leroy. "En tant que professionnel, on connaît les stratégies qui fonctionnent, celles qui ne fonctionnent pas… Le patient est expert de sa vie et nous experts en addiction. Les deux peuvent permettre d'établir une stratégie individualisée selon le parcours et les ressources de la personne présentant une addiction."
Addiction à l'alcool : comment s'en sortir ?
"Il n'y a pas de recette miracle, un accompagnement par des professionnels des addictions peut être aidant et permettre de trouver des solutions adaptées" indique le médecin addictologue. "Il peut être aidant de se référer aux recommandations officielles." Santé Publique France recommande de limiter sa consommation à deux verres par jour maximum et de ne pas consommer d'alcool tous les jours : maximum 2 verres par jour et pas tous les jours.
Addiction à la/aux drogue(s) : comment s'en sortir ?
Tout dépend de la substance consommée et de la fréquence de cette consommation. "Là aussi comme pour l'alcool, il est conseillé de se faire accompagner par un professionnel pour établir une stratégie et d'envisager des solutions car les drogues comme le cannabis, mais aussi comme la cocaïne peuvent être à l'origine d'une souffrance profonde" indique l'addictologue.
Addiction au tabac : comment s'en sortir ?
"Dans le cas ou l'addiction au tabac entraîne une dépendance physique, c'est-à-dire dans la majorité des cas, il existe des traitements qui peuvent aider" indique le Dr Leroy, addictologue. Lesquels ?
- Des substituts nicotiniques : "Il s'agit des patchs, des chewing-gum… que l'on peut trouver en pharmacie."
- Le Champix : "Il s'agit d'un médicament pour aider à se passer du tabac."
"Si ces traitements sont disponibles en pharmacie, se faire accompagner d'un addictologue potentialise la réussite des traitements et accroît de 20 % à 30 % les chances de réussir à vaincre l'addiction."
Addiction au jeu : comment s'en sortir ?
Les addictions au jeu d'argent concernent aussi bien les jeux à gratter que les jeux au casino ou en ligne comme le poker. "Une addiction au jeu d'argent survient souvent après un gain important. Une fois cette sensation d'adrénaline ressentie, on essaye de la ressentir à nouveau" indique l'addictologue. A partir de quand peut-on parler d'addiction au jeu ? "Les recommandations indiquent que lorsque le budget s'élève à plus de 500 euros par an, on peut considérer cela comme une addiction" informe le Dr Bruno Leroy. "Mais tout dépend des moyens de la personne. En effet, alors que 500 euros par an peuvent avoir des conséquences sur les finances d'une personne mais ne pas avoir d'impact sur une autre." Comment en sortir ? Selon le spécialiste, un accompagnement avec un médecin addictologue est vivement conseillé. Ensuite, plusieurs solutions existent pour que le patient s'en sorte :
- Mettre en place un plafond sur la carte de crédit.
- Ne pas donner accès à une carte bancaire : "C'est une solution radicale, mais efficace. Les finances, gérées par une autre personne, ne seront pas impactées par le jeu."
- "Dans certains cas, nous conseillons de placer les patients sous tutelle, mais il s'agit d'une mesure extrême."
- "Les personnes addicts peuvent se faire interdire l'accès aux casinos en France."
- "Des traitements peuvent aussi être mis en place avec le patient si nécessaire" indique le Dr Leroy.
Addiction aux jeux vidéos : comment s'en sortir ?
L'addiction aux jeux vidéo ou plutôt le "trouble du jeu vidéo" a été reconnue comme maladie en 2019 par l'Organisation mondiale de la Santé (OMS) mais "il n'y a pas de consensus" informe le Dr Leroy, addictologue. Selon l'OMS, on peut poser un diagnostic de trouble lié au jeu vidéo, lorsque, sur une période d'au moins 12 mois, une personne présente un comportement qui se caractérise par une perte de contrôle sur le jeu, une priorité accrue accordée au jeu, au point que celui-ci prenne le pas sur d'autres centres d'intérêt et activités, et par la poursuite du jeu en dépit de répercussions dommageables. "Il n'y a pas de seuil d'addiction fixé concernant les jeux vidéo, explique notre addictologue. Il faut veiller à ce que la pratique des jeux vidéos n'ait pas de répercussions néfastes sur la vie et la santé de la personne."
Addiction au sport : comment s'en sortir ?
L'addiction au sport, ou bigorexie n'est "pas considérée comme une addiction, il n'y a pas de consensus. Cependant, il existe des gens qui s'en rendent malades, mais logiquement lorsqu'ils sont blessés ou fatigués, ils s'arrêtent." Si la bigorexie n'est pas considérée comme une addiction à proprement parler, le Dr Leroy conseille tout de même de se faire accompagner et "de consulter un addictologue pour faire le point et résoudre ce souci."
Addiction alimentaire : comment s'en sortir ?
L'addiction à l'alimentation se différencie des autres troubles du comportement alimentaire décrits dans le DSM-5 (manuel de diagnostic et de classification des troubles mentaux). "Prendre conscience qu'il y a un problème est la première étape qui doit conduire à faire appel à son médecin traitant, à un médecin addictologue ou à un médecin nutritionniste. Après avoir posé le diagnostic, il est impératif de déculpabiliser les patient.e.s , de leur expliquer le mécanisme de l'addiction et que ce n'est pas un manque de volonté qui explique leurs difficultés à changer de comportement alimentaire. Aider les patient.e.s à comprendre pourquoi ils n'arrivent pas à s'empêcher de manger est un premier pas vers la guérison." indique le Dr Juliette Hazart, médecin addictologue nutritionniste et praticienne en cohérence cardiaque.
L'addiction étant une pathologie médicale, psychologique et sociale, l'accompagnement doit être pluridisciplinaire. Celui-ci s'organise en plusieurs volets :
- La prise en charge psychologique se base sur la psychothérapie individuelle centrée sur les vulnérabilités psychologiques
- La thérapie cognitivo-comportementale (TCC)
- Les entretiens motivationnels pour la motivation au changement et la psychothérapie collective avec les groupes de patients.
- Le soutien social est primordial dans cette pathologie avec la participation à des groupes de parole. "Un accompagnement social peut s'avérer très intéressant en particulier en prévention afin de travailler sur les représentations sociales, la disponibilité et l'accessibilité des aliments" précise le Dr Juliette Hazart.
- Les thérapies psychocorporelles comme la méditation de pleine conscience peuvent aussi s'avérer efficaces car la prise alimentaire est souvent modulée par les ressentis émotionnels plutôt que par ceux de la faim ou de la satiété. "Dans ma pratique, j'utilise des techniques de cohérence cardiaque couplées à la pleine conscience. C'est un moyen de modifier les comportements addictifs dans la durée en diminuant les compulsions alimentaires. Les sensations de faim et de satiété sont mieux perçues, l'appétence pour une alimentation intuitive, variée et autorégulée est retrouvée. Ces pratiques permettent également de diminuer les ruminations à l'origine d'anxiété et de dépression, de mieux réguler les émotions et de diminuer le niveau de stress."
- "L'addiction à l'alimentation étant souvent associée à une problématique psychiatrique (dépression…) ou à d'autres troubles du comportement alimentaire, il est essentiel de les dépister et de les prendre en charge afin d'espérer une évolution favorable du trouble addictif. Chez les patient.e.s atteint.e.s d'obésité, la prévalence de l'addiction à la nourriture est élevée et requiert une évaluation psychiatrique et addictologique systématique."
Merci au Dr Bruno Leroy, médecin addictologue et au Dr Juliette Hazart, médecin addictologue nutritionniste et praticienne en cohérence cardiaque.