Mémoire traumatique : symptômes, traitements, c'est quoi ?
La mémoire traumatique est provoquée par un traumatisme. On revit à l'identique l'évènement traumatique dès lors qu'un lien déclenche cette mémoire traumatique. Quand est-elle réactivée ? Peut-on en guérir ? Réponses avec le Dr Muriel Salmona, psychiatre spécialisée dans les psychotraumatismes.
Lorsqu'une victime revit les sensations d'un évènement traumatique qu'elle a subi comme si elle y était à nouveau, on parle de mémoire traumatique. Elle se déclenche aussitôt qu'un lien rappelle l'évènement. Quels traumatismes sont à l'origine d'une mémoire traumatique ? Quand est-elle réactivée ? Peut-on en guérir ? Les réponses avec le Dr Muriel Salmona, psychiatre spécialisée dans la prise en charge des évènements traumatiques et Présidente de l'association Mémoire traumatique et victimologie.
Définition : c'est quoi la mémoire traumatique ?
La mémoire traumatique est une conséquence d'un évènement traumatique se traduisant par des réminiscences (retour à l'esprit d'un souvenir non identifié comme tel, "flash-back" et cauchemars) qui font revivre à l'identique le contexte d'un évènement traumatique à sa victime. Ces épisodes surgissent sans contrôle de la conscience du patient. "En termes neurobiologiques, la mémoire a été piégée à partir du moment où le traumatisme a fait disjoncter les circuits émotionnels (la dissociation traumatique). L'évènement est bloqué dans l'amygdale cérébral et n'est pas intégré par le système d'exploitation et de repérages spatio-temporel de la mémoire qu'est l'hippocampe" indique le Dr Muriel Salmona. Dès lors, lorsque la personne revit le traumatisme, il est déconnecté de son contexte et c'est une sorte de magma mélangé où rien n'est identifié ni décrypté. "La mémoire mélange même les paroles, sentiments et ressentis de l'agresseur aux propres paroles, sentiments et ressentis de la victime" ajoute la psychiatre. Par l'intermédiaire de la mémoire traumatique la victime peut être colonisée par les phrases culpabilisantes ("c'est de ta faute", "tu l'as mérité"), le mépris ("tu ne vaux rien"), la haine, voire même l'excitation perverse de l'agresseur. Elle peut croire qu'il s'agit de ses propres pensées se sentir coupable.
Quels traumatismes entraînent la mise en place de la mémoire traumatique ?
Un évènement traumatique est susceptible de produire un état de sidération et provoquer une mémoire traumatique dès lors que la situation dépasse la capacité d'entendement de l'individu. Ces traumatismes peuvent être de l'ordre de :
- violences sexuelles (viol, attouchement, etc)
- agressions
- violences physiques et verbales
- maltraitance de l'enfant (physique, psychique)
- attentats
- Accidents, incendie et catastrophes naturelles
- décès violent d'un proche
Comment se manifeste la mémoire traumatique ?
► La victime revit malgré elle par des flash-backs ou des réminiscences l'évènement traumatique comme s'il se reproduisait à nouveau avec la même détresse et les mêmes sensations. C'est un symptôme central des troubles psychotraumatiques. "On peut revivre pendant des mois voire des années le traumatisme. La plupart du temps, ce ne sont pas des scènes complètes mais plutôt des sensations comme une peur envahissante, une douleur soudaine, une impression de suffoquer, un dégoût, un malaise, des bruits et des odeurs qui peuvent être beaucoup plus difficiles à relier au traumatisme" développe le Dr Muriel Salmona. La mémoire traumatique se manifeste également par des phobies, des crises d'angoisse et des cauchemars. "Les victimes de violences sexuelles peuvent avoir l'impression que la nuit on entre dans leur chambre, qu'une main les touche alors que non. Les victimes de violences physiques peuvent ré-entendre des cris. Or, face à des professionnels de santé non formés aux psychotraumatismes, cela peut conduire à un diagnostic erroné de psychose ou d'hallucinations" note la psychiatre. La victime est transportée mentalement à l'endroit et à l'âge où s'est produit le traumatisme. "Un adulte qui ne savait pas encore parler quand il a vécu le traumatisme dans son enfance ne pourra plus articuler une parole au moment du surgissement de la mémoire traumatique, un adulte au volant qui ne savait pas conduire au moment du traumatisme risque l'accident etc" précise notre interlocutrice.
► Chez les jeunes enfants, la mémoire traumatique peut se manifester différemment. "Ils rejouent l'évènement lorsque la mémoire traumatique les envahit. Un enfant exposé à des violences conjugales durant lesquelles le père casse tous les meubles en hurlant des injures et proférant des menaces, et sa mère a pousser des cris, sera terrorisé, se cachera ou se mettra à tout casser à l'école, à crier comme une femme ou hurler des injures avec une voix d'homme, de même un enfant victime de violences sexuelles peut remettre en scène ce qu'il a subi sur lui-même ou sur un autre enfant" illustre notre experte. Cette gestion de la mémoire traumatique en rejouant l' évènement s'observe également chez les enfants et adultes en situation de handicap, beaucoup plus vulnérables face aux violences. "Or ce comportement est souvent mal identifié et mis sur le compte du handicap. 70% des personnes en situation d'hospitalisation en psychiatrie sont en réalité des victimes de violences subies pendant l'enfance" regrette le Dr Salmona.
► Tant que la victime reste exposée au danger, à l'agresseur ou au contexte de l'agression, son cerveau pour la protéger la maintient dans un état de dissociation qui la déconnecte et l'anesthésie émotionnellement et peut être à l'origine d'une amnésie traumatique : les évènements ne sont plus accessibles et la mémoire traumatique sera revécue sans émotion ni repérage temporo-spatial lorsqu'elle
s'activera, elle semblera être une production de l'imagination.
Qu'est-ce qui réactive la mémoire traumatique ?
La mémoire traumatique se déclenche aussitôt qu'un lien ou un contexte rappelle l'évènement. Cela peut être une odeur, un bruit, un lieu, une date ou une heure, des sensations (comme des doigts collants), une parole, une personne qui ressemble à l'agresseur ou qui a un de ses comportements, etc. "La mémoire traumatique des victimes de l'attentat était déclenchée par une odeur de poudre brûlée ou le bruit des sirènes des ambulances" souligne notre experte.
Qu'est-ce que la mémoire traumatique du corps ?
La mémoire traumatique du corps fait partie de la mémoire traumatique : elle se manifeste par l'intégration de ce qu'a subi son corps, celui d'autres victimes ou le corps de l'agresseur. "Les victimes peuvent avoir l'impression de voir l'agresseur quand elles se regardent dans la glace, souffrir de dysmorphobie, parce qu'elles sont colonisées par l'agresseur. Une patiente se percevait avec un gros ventre alors qu'elle était mince parce que son agresseur avait un gros ventre et que sa mémoire traumatique s'était inscrite sur son corps" développe le Dr Salmona.
Quelles conséquences pour les victimes de mémoire traumatique ?
Les patients atteints de mémoire traumatique sont très vulnérables au stress et ont en permanence des sentiments de peur et d'insécurité, ils sont contraints de mettre en place des mécanismes de survie :
► stratégies d'évitement et de contrôle : éviter certains endroits, certaines personnes et certaines situations. "Une patiente agressée dans une baignoire ne pouvait plus rentrer dans une salle de bain, une autre victime d'un viol contre un frigo ne pouvait pas rentrer dans une cuisine et n'avait pas de frigo dans la sienne" précise notre experte. Les victimes peuvent se replier sur elles-mêmes et les enfants traumatisés se créer un monde imaginaire parallèle. Le moindre changement, même s'il est positif est source de d'angoisses, tout doit être contrôlé avec des TOC, toute situation de stress évitée ce qui réduit considérablement les possibilités et les projets de vie.
► stratégies de conduites dissociantes : lorsque la mémoire traumatique envahit la victime, c'est une situation intolérable. Elle se met de nouveau en situation de stress extrême via des conduites à risque (alcool, drogue, médicaments, pratiques sexuelles à risque, automutilations etc). Il s'agit d'anesthésier de force cette mémoire traumatique pour à nouveau déclencher le mécanisme de sauvegarde du cerveau qui fait disjoncter le circuit émotionnel et crée une dissociation traumatique.
La mémoire traumatique engendre de lourdes conséquences sur la vie et la santé mentale et physique des victimes avec des troubles somatiques lié au stress (cardio-vasculaires, endocriniens, immunitaires, etc.), des troubles anxieux généralisés, des dépressions et des troubles phobo-obsessionnels dont des phobies d'impulsion. "Une femme victime de violences physique ou sexuelle lors de sa petite enfance peut avoir peur faire du mal à son enfant, de le faire tomber, de l'agresser sexuellement alors qu'elle ne veut surtout pas le faire et que cela lui fait horreur par exemple" souligne le Dr Salmona. Les stratégies de survie sont souvent incompréhensibles et semblent paradoxales pour son entourage alors que ce sont des conséquences normales des traumatismes. Elles sont sources de souffrance, de honte, de culpabilité et d'une estime de soi catastrophique pour la victime, et souvent de jugements négatifs et de maltraitance de la part de proches et de professionnels qui ne sont pas formés.
Être informé sur les mécanismes post traumatiques représente presque 50% de la prise en charge
Comment guérir d'une mémoire traumatique ?
Pour guérir d'une mémoire traumatique, il faut intégrer celle-ci dans l'hippocampe et la débloquer de l'amygdale. C'est en cela que consiste le travail psychothérapique. "La séquelle de la mémoire traumatique nécessite une prise en charge par des soins spécialisés. Pour commencer, il faut mettre la personne en sécurité. Il est ensuite primordial de l'informer en lui délivrant les outils de compréhension de l'évènement. Être informé sur les mécanismes post traumatiques représente presque 50% de la prise en charge" rappelle le Dr Salmona. "Les victimes doivent être informées afin qu'elles puissent réclamer des soins pris en charge à 100% par la Sécurité sociale" ajoute notre experte. Un travail de retour sur l'évènement en décryptant chaque détail, en mettant en lien chaque symptôme avec les violences subies, supprimera la sidération et permettra aux circuits du cerveau de fonctionner normalement à nouveau. Il est très important pour que la mémoire traumatique soit intégrée de séparer ce qui appartient à la victime de ce qui appartient à l'agresseur (sa violence, sa haine, sa mise en scène, ses paroles, son excitation perverse, etc). Les médicaments que l'on prescrit de manière ponctuelle ou
transitoire ne traitent pas la mémoire traumatique mais diminuent le stress (bêtabloquants) ou la douleur mentale (anxiolytiques et/ou antidépresseurs). Les techniques par hypnose ou EMDR soulagent les symptômes mais ne sont pas des traitements de fond. "Aujourd'hui en France, les professionnels du soin ne sont pas suffisamment formés. On dispose seulement d'une quinzaine de centres de prise en charge du psychotraumatisme, il en faudrait au moins 100" soutient notre interlocutrice.
Merci au Dr Muriel Salmona, psychiatre spécialisée dans la prise en charge des évènements traumatiques et Présidente de l'association Mémoire traumatique et victimologie.