C'était quoi le scandale de l'hormone de croissance ?

Dans l'affaire de l'hormone de croissance, plus de 100 enfants sont morts de la maladie de Creutzfeldt-Jakob après avoir reçu, entre 1983 et 1985, des injections d'hormone de croissance contaminée par des prions. Retour sur l'un des scandales sanitaires les plus tonitruants de France.

C'était quoi le scandale de l'hormone de croissance ?
© AP/SIPA (publiée le 24/01/2023)

Début des années 1990, l'un des scandales sanitaires les plus retentissants du XXe siècle éclate en FranceEntre 1983 et 1985, plus de 800 enfants, développent la maladie neurodégénérative dite de Creutzfeldt-Jakob. suite à une ou plusieurs injections d'hormone de croissance, un traitement qui leur permet de grandir. Problème : ces hormones de croissance de synthèse sont élaborées à partir des hypophyses prélevées sur des cadavres qui sont contaminés par des prions (des protéines infectieuses). 115 enfants en décèdent. Après un très long parcours judiciaire, un premier procès s'ouvre seulement 17 ans plus tard, en 2008. Sept prévenus comparaissent devant la 31e chambre du Tribunal Correctionnel de Paris, poursuivis pour "homicides involontaires" et "tromperie aggravée". Mais que s'est-il réellement passé ? A qui la faute ? Retour sur l'affaire de l'hormone de croissance

Résumé de l'affaire : dates-clé pour comprendre

De 1983 à 1985 : 1 698 enfants reçoivent une ou plusieurs injections de lots d'hormones de croissance récoltée par France Hypophyse en collaboration avec l'Institut Pasteur. Ces enfants ont besoin de ces injections destinées à favoriser leur croissance (autrement dit, ils en ont besoin pour grandir) car ils sont en insuffisance hormonale. Au cours des années qui suivent, environ 800 enfants parmi eux développent la maladie de Creutzfeldt-Jakob, sans qu'on puisse identifier la cause. Le lien entre les injections d'hormones de croissance et le développement de la maladie de Creutzfeldt-Jakob commence à se faire. Ces traitements à l'hormone de croissance proviennent en effet de glandes hypophysaires prélevées sur des cadavres qui étaient potentiellement contaminés par des prions, des protéines responsables de la maladie de Creutzfeldt-Jakob. "Tous les stocks ont été détruits et l'on n'utilise plus qu'une hormone encore plus purifiée. On peut penser que la contamination s'est arrêtée en Mai-Juin 1985 (..) A partir de 1992, on ne devrait plus voir apparaître de nouveaux cas", déclare le Pr Jean-Claude Job, Président de l'Association France-Hypophyse dans une interview relayée par l'INA. Restent néanmoins les enfants traités avant 1985 dont certains ont reçu un produit contaminé.

 En décembre 1991, les parents d'Ilyiassil Benziane, un enfant emporté par la maladie de Creutzfeldt-Jakob, après avoir reçu de l'hormone de croissance depuis 1983, portent plainte avec constitution de partie civile. Une première information judiciaire est ouverte.

Un traitement qui a coûté la vie à plus de 100 enfants

► Au cours des années qui suivent, les décès d'enfants se succèdent (environ une dizaine chaque année). Les plaintes des parents également. L'affaire éclate médiatiquement et la justice se saisit de l'affaire. L'enquête judiciaire et un rapport de l'Inspection générale des affaires sociales daté de 1992 rendent publiques de graves dysfonctionnements autour de France Hypophyse. Néanmoins, l'affaire se heurte pendant des années à des difficultés juridiques liées à l'enchevêtrement des responsabilités médicales et administratives.

En 2008, soit 17 ans après que l'affaire fut rendue publique, un procès s'ouvre devant la 31e chambre du Tribunal Correctionnel de Paris. 7 prévenus sont jugés pour "homicides involontaires" et "tromperie aggravée". Tous sont des personnalités du monde médical :

  • Le Pr Jean-Claude Job, président de France-Hypophyse (l'Association qui collecte les hypophyses)
  • Le Pr Fernand Dray, ancien responsable de l'extraction de l'hormone à l'Institut Pasteur
  • Le Dr Henri Cerceau, ancien directeur de la pharmacie centrale des hôpitaux (PCH)
  • Le Dr Elisabeth Mugnier, responsable de la collecte des hypophyses dans les morgues
  • Le Pr Jacques Dangoumau, ancien directeur de la pharmacie et du médicament du ministère de la Santé
  • Le Dr Marc Mollet, autre cadre de la pharmacie centrale des hôpitaux
  • Le Dr Micheline Gourmelen, médecin

Lors de ce procès, le Professeur Luc Montagnier, célèbre biologiste surnommé "le découvreur du Sida", est attendu comme témoin à charge. Il explique notamment au tribunal qu'il avait alerté dès 1980 des possibles risques sanitaires de l'hormone de croissance. "Le problème de cette catastrophe, c'est qu'il y a eu une dilution des responsabilités. Il aurait été nécessaire à l'époque qu'il y ait une sorte de directeur, de chef, qui suive toutes les étapes", raconte-t-il. 

A l'issue du procès, une ordonnance de renvoi a lieu, pour que l'affaire soit traitée à une prochaine audience. Dans son ordonnance de renvoi, la juge relève que la contamination des enfants traités "n'a été possible qu'en raison des multiples fautes caractérisées à tous les stades de l'organisation française du traitement par l'hormone de croissance extraite d'hypophyses humaines. Les graves fautes d'imprudence et de négligence ont été révélées avec un effet cumulatif".

Entre 2010 et 2011, un deuxième procès s'ouvre, mais là non plus, il ne permet pas de désigner les coupables. Une relaxe générale est prononcée, ce qui provoque la colère des familles. 

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Quelques familles de victimes décédées de la maladie de Creutzfeldt-Jacob © DURAND FLORENCE/SIPA (publiée le 24/01/2023)

► Le 7 janvier 2014 : saisie par des victimes, la Cour de cassation annule l'arrêt d'audience de mai 2011. Un nouveau procès doit se tenir pour déterminer s'il y a une responsabilité civile des personnes poursuivies. Les parties civiles font appel après cassation partielle d'un arrêt de la cour d'appel, pour le "préjudice irrémédiable" subi. Elles réclament un montant total d'environ 10 millions d'euros. Mais la demande est refusée par la justice. L'Etat décide toutefois de prendre en charge les indemnités dont le montant est nettement inférieur à celui demandé par les familles.

En octobre 2015, la cour d'appel de Paris ré-examine -près de 30 ans après les faits- la responsabilité civile d'un directeur d'un laboratoire de l'Institut Pasteur et d'un médecin, les deux dernières personnes encore en vie poursuivies dans l'affaire. La plupart des protagonistes du drame étant morts. Il s'agit du Pr Fernand Dray chargé d'élaborer la poudre d'hypophyse (glande contenant l'hormone de croissance) et l'ancienne pédiatre Élisabeth Mugnier qui assurait la collecte des hypophyses pour France Hypophyse.

Le 25 janvier 2016 : fin de l'épilogue judiciaire. La cour d'appel de Paris met hors de cause les deux dernières personnes poursuivies : les "fautes d'imprudence et de négligence" constatées ayant été commises "dans le cadre de leur mission professionnelle", leur responsabilité civile n'a pu être engagée. Ils ne doivent pas de réparation aux familles des victimes.

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A gauche, Elisabeth Mugnier, pédiatre à la retraite. à la 1ère chambre de la cour d'appel de Paris. A droite : Fernand Dray, ancien directeur d'un laboratoire de l'institut Pasteur charge de fabriquer le traitement. © STEVENS FREDERI/ SIPA (publiée le 24/01/2023)

Pourquoi n'y a-t-il pas eu de coupable dans l'affaire de l'hormone de croissance ?

A l'issue des procès, aucune condamnation individuelle n'a jamais été retenue. Pourquoi ? Tout simplement à cause de l'état des connaissances scientifiques à l'époque concernant le risque de contamination, jugé insuffisant. La justice a considéré que les professionnels impliqués dans l'affaire n'avaient pas de responsabilité individuelle dans l'organisation des prélèvements et qu'il n'y a eu qu'un "effet cumulatif" autrement dit, "des multiples fautes caractérisées à tous les stades de l'organisation française du traitement". 

Quel est le nombre de victimes et de morts dans l'affaire de l'hormone de croissance ?

Difficile de définir avec précision combien de victimes, l'affaire de l'hormone de croissance a fait. Au début du procès de 2008, le nombre d'enfants ayant développé la maladie de Creutzfeldt-Jakob a été estimé à 800 et parmi eux, 115 enfants en seraient décédés. D'autres demeurent encore aujourd'hui sous la menace de développer la maladie dont le temps d'incubation peut dépasser les 30 ans.

Quelle est la maladie associée au scandale de l'hormone de croissance ?

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Schéma des prions, qui causent une encéphalopathie © maniki81 - 123

Il s'agit de la maladie de Creutzfeldt-Jakob, une maladie neurologique incurable. Elle est due à des prions, des protéines infectieuses responsable d'encéphalopathie qui provoque une dégénérescence rapide et fatale du système nerveux central. Cette maladie débute souvent par des troubles non spécifiques, comme des symptômes dépressifs ou anxieux. Ensuite, des troubles de la mémoire, de l'orientation ou du langage s'installent. Puis apparaissent une démence, des troubles de l'équilibre ou de la vue, des tremblements, des crises épileptiques. Son évolution est rapidement et systématiquement fatale, rapporte Santé publique France. Sa cause peut être génétique (une mutation du gène de la protéine prion, la mutation E200K étant la plus fréquente), ou d'origine sporadique (de survenue aléatoire, sans mutation ni exposition à un prion exogène retrouvée). Mais dans le cas de l'affaire de l'hormone de croissance, la cause est infectieuse, autrement dit, secondaire à une contamination.

Sources : Institut national de l'audiovisuel (INA) / L'hormone de croissance, Soir 3 (23 avril 1990) / Santé publique France "Maladie de Creutzfeldt-Jakob", 2 janvier 2023 / Inserm "Maladies à prions & Maladie de Creutzfeldt-Jakob"

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