Amnésie rétrograde et antérograde : c'est quoi, causes
L'amnésie est un trouble neuropsychologique désignant la perte partielle ou totale de la mémoire. Elle peut être rétrograde ou antérograde. Quelles significations ? Quelles causes ? Suite à Alzheimer ? Quels traitement ? Peut-on en guérir ? Le point avec le Dr Hugo Bottemanne, psychiatre.
Quels sont les différents types d'amnésie ?
En neuropsychologie, on différencie les amnésies en fonction du type de souvenir impliqué. Selon le Dr Hugo Bottemanne, psychiatre, on peut ainsi distinguer :
- L'amnésie rétrograde, ou amnésie de la mémoire à long terme : perte des anciens souvenirs, acquis avant le début de l'amnésie ;
- L'amnésie antérograde, ou oubli à mesure : perte des nouveaux souvenirs, acquis après le début de l'amnésie.
"Par exemple, un patient avec une amnésie rétrograde peut oublier le nom de ses enfants (souvenir ancien), tandis qu'un patient avec une amnésie antérograde sera incapable de se souvenir du nom de la personne qu'il vient de rencontrer (nouveau souvenir)", décrit-il.
Qu'est-ce qu'une amnésie rétrograde ?
L'amnésie de la mémoire à long terme, appelée amnésie rétrograde, est la forme d'amnésie la plus célèbre, celle à laquelle on pense spontanément lorsque l'on parle d'un trouble de la mémoire. "Elle désigne la perte des souvenirs anciens appartenant à la mémoire sémantique (mémoire des connaissances générales) et épisodique (mémoire des événements vécus), détaille le médecin. Elle se manifeste lorsque l'on perturbe l'activité d'un réseau cérébral complexe comprenant l'hippocampe". Appelée aussi corne d'Ammon et situé dans le lobe temporal, l'hippocampe est une structure majeure pour de nombreuses fonctions cognitives comme l'apprentissage de nouveaux souvenirs, et la récupération de souvenirs anciens. "Curieusement, la mémoire procédurale impliquée dans l'apprentissage comportemental (faire du vélo, jouer de la trompette) est généralement préservée lors des amnésies rétrogrades provoquées par une lésion de l'hippocampe. Par exemple, un patient peut oublier le nom de son épouse mais continuer à jouer au violon comme un virtuose".
Qu'est-ce qu'une amnésie antérograde ?
L'oubli à mesure, appelé amnésie antérograde, est une forme moins connue d'amnésie. Elle désigne la perte des souvenirs acquis au fil du temps, au fur et à mesure de leur apprentissage. Ainsi, les informations apprises sont progressivement oubliées, limitant l'acquisition de nouveaux souvenirs. "Elle se manifeste lorsque l'on perturbe l'activité d'un réseau cérébral complexe comprenant le cortex préfrontal, occipital, pariétal, et l'hippocampe, poursuit le psychiatre. Ces différentes zones sont impliquées dans la mémoire de travail, une forme de mémoire permettant de manipuler des informations sur une période courte, en vue d'une action ou d'un apprentissage". L'amnésie antérograde peut perturber la lecture, la conversation, ou l'orientation. "Les patients qui en souffrent ne parviennent parfois plus à mémoriser un nom, un chiffre, ou un énoncé, limitant leur possibilité d'interaction et d'adaptation, pouvant aller jusqu'à un syndrome dysexécutif (impossibilité d'organiser leur comportement ".
Quelles sont les causes des amnésies ?
On différencie aussi les amnésies selon leurs causes, c'est-à-dire les processus neurocognitifs impliqués. On distingue alors :
- Les amnésies lésionnelles, provoquées par une lésion neurologique, c'est-à-dire une détérioration anatomique du cerveau ;
- Les amnésies fonctionnelles, provoquées par un trouble de l'activité cérébrale, modifiant la manière dont les informations sont traitées par le cerveau.
"On retrouve ainsi parmi les amnésies lésionnelles l'ensemble des maladies neurodégénératives, tandis que les amnésies fonctionnelles regroupent les amnésies traumatiques et dissociatives, ajoute le Dr Bottemanne. Toutefois, la distinction entre ces deux types d'amnésie est souvent complexe, et il se pourrait qu'un certain nombre d'amnésie comprennent à la fois une dimension lésionnelle et une dimension fonctionnelle".
Qu'est-ce qu'une amnésie lésionnelle ?
Dans les pathologies neurodégénératives, les souvenirs les plus récents disparaissent en premier, et les souvenirs les plus anciens restent les mieux conservés.
Lorsque l'amnésie est lésionnelle, l'hippocampe ou les structures associées à la mémoire sont directement détériorés, et les lésions cérébrales provoquent des troubles de la mémoire qui sont parfois définitifs. On retrouve ainsi parmi les amnésies lésionnelles :
- Les maladies neurodégénératives comme la maladie d'Alzheimer ;
- Les traumatismes crâniens consécutifs à un accident ou une agression ;
- Les accidents vasculaires cérébraux d'origine ischémique ou hémorragique ;
- Les infections cérébrales, comme l'encéphalite herpétique ;
- Les crises épileptiques, même lorsqu'elles n'induisent pas de lésion cérébrale ;
- Les tumeurs cérébrales d'origine bénigne ou maligne, comme les glioblastomes ;
- Les lésions cérébrales secondaires à des prises de substances médicamenteuses ;
- Les lésions cérébrales dues à des carences, comme le syndrome de Korsakoff ;
"La maladie d'Alzheimer est la cause la plus célèbre de trouble de la mémoire rétrograde, mais d'autres pathologies neurodégénératives comme la démence fronto-temporale, la maladie de Parkinson, ou la démence à Corps de Levy peuvent également provoquer des troubles de la mémoire au fil de leur évolution, ajoute le spécialiste. Dans les pathologies neurodégénératives, l'amnésie rétrograde s'installe progressivement en suivant généralement le gradient de Ribot : les souvenirs les plus récents disparaissent en premier, et les souvenirs les plus anciens restent les mieux conservés. A l'inverse, les amnésies secondaires à des lésions cérébrales provoquées par des accidents vasculaires cérébraux, des traumatismes crâniens, ou des infections sont généralement d'apparition brutale, et associées à d'autres symptômes neurologiques".
Qu'est-ce qu'une amnésie fonctionnelle ?
Contrairement aux amnésies lésionnelles, les amnésies fonctionnelles se caractérisent par l'absence de lésions cérébrales identifiables. Ces amnésies sont provoquées par la perturbation de l'activité des réseaux cérébraux, et peuvent survenir suite à :
- Un événement traumatique, provoquant un psychotraumatisme ;
- Une cause psychologique, parfois sans que le patient n'en ai conscience ;
- Un épisode de dissociation, souvent associé à un événement traumatique ;
- La prise d'une substance psychotrope, comme le gamma-hydroxybutyrate (GHB) ;
"On associe généralement les amnésies fonctionnelles aux troubles neurologiques fonctionnels (TNF), désignant des troubles neurologiques sans cause organique retrouvée, rappelle le Dr Bottemanne. Toutefois, la prise ponctuelle de substance psychotrope comme la kétamine, le LSD, ou le GHB peut provoquer des amnésies sans lésion organique ".
Parmi les amnésies fonctionnelles, on retrouve en premier lieu les amnésies traumatiques consécutives à un choc émotionnel (agression sexuelle, victime d'accident, ou de violence). Ces psychotraumatismes peuvent également survenir lorsque l'on est témoin d'une scène violente, sans nécessairement être impliqué directement dans l'événement.
" Parmi ces amnésies traumatiques, l'amnésie dissociative est un type spécifique d'amnésie fonctionnelle au cours de laquelle on retrouve une dissociation, associant une déréalisation (sentiment d'irréalité de l'environnement) et une dépersonnalisation (sentiment d'irréalité de soi, pouvant aller jusqu'à une perte de la perception des contours de son corps) ".
Comment se pose le diagnostic ?
Le diagnostic d'une amnésie rétrograde ou antérograde se pose au cours d'une consultation avec un médecin (neurologue ou psychiatre) ou un psychologue (psychologue clinicien ou neuropsychologue). "Dans tous les cas, une imagerie cérébrale de type IRM (imagerie par résonance magnétique) est systématiquement prescrite afin de rechercher une cause lésionnelle de l'amnésie, et un examen neurologique complet est effectué afin d'évaluer les fonctions cérébrales, confirme le psychiatre. Un bilan neurocognitif réalisé par un neuropsychologue, comprenant une évaluation conjointe de la mémoire, de l'attention, et des fonctions exécutives (capacité d'adaptation) pourra être effectué afin de rechercher d'autres atteintes cognitives. Dans les situations d'amnésie lésionnelle, le neurologue et le neuropsychologue seront en première ligne pour la prise en charge, notamment après un accident vasculaire cérébral pour lequel des exercices de rééducation cognitive sont nécessaires. Dans les situations d'amnésie fonctionnelle, le psychiatre et le psychologue seront préférentiellement impliqués dans la prise en charge, notamment après un psychotraumatisme pour lequel une psychothérapie spécifique pourra être proposée.
Quels sont les traitements ?
Encore une fois, le traitement d'une amnésie dépend de sa cause. "Dans le cas d'amnésie lésionnelle après un accident vasculaire cérébral ou un traumatisme crânien, des exercices de rééducation et de remédiation cognitive peuvent être réalisés afin d'améliorer les processus mnésiques altérés, propose le médecin. Dans le cas d'amnésie fonctionnelle consécutive à un traumatisme psychologique, la psychothérapie est essentielle pour parvenir à récupérer la mémoire perdue. Lorsque des souvenirs traumatiques perturbent le patient, des techniques comme l'EMDR (Eye Movement Desensitization and Reprocessing) peuvent être utilisées".
Peut-on en guérir ?
Lorsqu'une aire cérébrale est lésée, il est souvent difficile de récupérer les fonctions neurocognitives associées aux réseaux neuronaux impliqués
Lorsqu'une aire cérébrale est lésée, il est souvent difficile de récupérer les fonctions neurocognitives associées aux réseaux neuronaux impliqués. "Toutefois, le cerveau possède un potentiel de plasticité cérébrale, permettant aux réseaux de se reconfigurer, et de retrouver des fonctions cognitives altérées : ce mécanisme est particulièrement crucial au cours de la rééducation et de la remédiation cognitive après un accident vasculaire cérébral". Dans le cas des amnésies fonctionnelles, l'amélioration est généralement possible à l'aide d'une psychothérapie adaptée. "Toutefois, ces amnésies traumatiques et dissociatives peuvent récidiver, notamment lors de l'exposition à des stimuli évoquant l'événement traumatique initial. Ainsi on observe parfois une amnésie dissociative récidivante à la date anniversaire d'un événement traumatique : à cette date, le patient perd le contact avec la réalité, oubliant jusqu'à son nom, son adresse, et son passé autobiographique. Ce phénomène peut se répéter chaque année, sans cause neurologique retrouvée".
Merci au Dr Hugo Bottemanne, psychiatre à la Pitié-Salpêtrière et chercheur à l'Institut du Cerveau (ICM)