Clofoctol (Octofène) : arrêt des essais d'un traitement du Covid
L'Institut Pasteur de Lille a annoncé arrêter (pour le moment) ses essais cliniques sur le clofoctol, un antibiotique (suppositoire) commercialisé sous le nom d'Octofène jusqu'en 2005 en France pour traiter les infections respiratoires bénignes. Mode d'action, effets secondaires, efficacité... Entretien avec le Pr Xavier Nassif, Directeur général de l'Institut Pasteur de Lille.
La Direction de l'Institut Pasteur de Lille aurait annoncé en interne l'arrêt des recrutements pour ses essais cliniques visant à tester l'efficacité du clofoctol, un antibiotique commercialisé en France sous la forme du suppositoire Octofene® de 1978 à 2005 pour traiter les infections respiratoires bactériennes bénignes. C'est en tout cas ce qu'a relayé La Voix du Nord en décembre 2021. "Ce n'est pas vraiment un arrêt mais plutôt un changement de stratégie. Nous allions droit dans le mur...", a tenu à rétablir le Pr Xavier Nassif, directeur de l'Institut Pasteur de Lille, que nous avions interviewé en février 2021. Notamment à cause de difficultés pour recruter des volontaires et donc des pertes d'investissements. "De nombreuses procédures ont retardé le début possible de l'essai clinique visant à évaluer l'efficacité du Clofoctol au cours de la Covid-19. Les délais d'obtention des autorisations sont à l'origine des grandes difficultés que nous rencontrons pour recruter des volontaires avec pour conséquence une augmentation des coûts dépassant nos capacités financières...", pouvait-on lire le courrier. Depuis février 2020, les équipes de recherche de l'Institut Pasteur de Lille (CNRS, Inserm, Université de Lille, CHU de Lille et Apteeus) travaillaient sur ce potentiel traitement par le biais d'un essai clinique après avoir reçu l'aval de l'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM). Lors des tests menés en laboratoire par les chercheurs, le clofoctol se serait montré efficace contre le virus de la Covid-19. Si les essais avaient été menés à terme, ce traitement aurait pu permettre de réduire la contagiosité du virus et d'éviter les formes graves de la maladie. "Nous n'abandonnons pas mais cherchons une autre stratégie. Des pistes sont à l'étude. nous nous donnons quelques semaines...", précise Benoît Deprez, directeur scientifique, à la Voix du Nord. Comment ce médicament agit-il sur le virus ? Où en sont les essais cliniques ? Quels sont ses potentiels effets secondaires ? Quand pourra-t-il être utilisé en France ? Sous quelle forme sera-t-il administré ? Le Pr Xavier Nassif s'est confié au Journal des Femmes sur l'avancée des recherches.
Présentation : qu'est-ce que le clofoctol ?
Le clofoctol est un antibiotique indiqué pour traiter les infections bactériennes des voies respiratoires, de la bouche ou de la sphère ORL. Il a été commercialisé en France sous la forme d'un suppositoire (sous le nom Octofene®) à partir de la fin des années 1970 jusqu'en 2005, année où il a été retiré du marché français "car jugé d'intérêt médical limité" précise notre interlocuteur.
Quelle serait son efficacité contre la Covid-19 ?
"Les antibiotiques sont indiqués pour traiter les infections bactériennes. Or, la Covid-19 est une infection virale. Le clofoctol n'a, par conséquent, aucune raison de tuer un virus. Mais on s'est aperçu qu'au laboratoire dans une culture de cellules, ce médicament était capable de tuer le Sars-CoV-2, le virus responsable d'une infection à la Covid-19. C'est donc un phénomène inattendu pour un antibiotique", explique le Pr Nassif. Lors des tests réalisés en laboratoire, le clofoctol a en effet prouvé son efficacité en inhibant la division cellulaire du virus.
Quel serait son mode d'action sur le coronavirus ?
Lors des tests menés en laboratoire sur des cellules de poumon humain, le clofoctol a été capable de tuer le virus "à des concentrations très faibles". "D'un point de vue mécanistique, on pense que le clofoctol inhibe la phase intracytosplasmique de réplication du virus, quand ce dernier se trouve dans le cytoplasme (partie de la cellule qui entoure le noyau) quel que soit le mode d'entrée du virus dans les cellules. Mais le mécanisme moléculaire du clofoctol, on est en train d'essayer de le trouver", explique le Pr Nassif.
Indications : qui pourrait prendre du clofoctol ?
"Si le clofoctol confirme son efficacité, il sera pour les personnes qui viennent d'être infectées, ayant été testées positives à la Covid-19. Il faudra prendre ce médicament très tôt et ne pas attendre trop longtemps après le test RT-PCR positif. C'est un médicament qui sera donné par voie entérale, sous la forme d'un suppositoire, pendant une courte durée (il va être testé sur une durée de 5 jours), détaille le directeur général de l'Institut Pasteur de Lille. Le but étant d'empêcher les personnes contaminées de faire une forme grave de la maladie".
Où en sont les essais cliniques ?
Il était prévu qu'en juin 2021, l'Institut Pasteur de Lille commence à tester son traitement sous la forme d'un suppositoire à travers un essai clinique composé de plus de 600 personnes volontaires de plus de 50 ans, qui ont été positives au Covid-19, qui ont des symptômes récents et qui n'ont pas été vaccinées, après avoir reçu l'aval de l'Agence du médicament. Sauf que les démarches administratives pour obtenir le feu vert des autorités, condition sine qua non pour démarrer un essai clinique, ont retardé le recrutement des volontaires. Quand le recrutement peut enfin commencé en juillet 2021, dans les Hauts-de-France, le protocole n'est plus adapté à la réalité de l'épidémie de Covid dans la région. En effet, le protocole cible des personnes de plus de 50 ans, non vaccinées et diagnostiquées positives au Covid-19 depuis moins de trois jours. Ce qui se fait de plus en plus rare. L'Institut Pasteur décide de délocaliser l'essai dans les Antilles, mais les difficultés perdurent. "De nombreuses procédures ont retardé le début possible de l'essai clinique visant à évaluer l'efficacité du Clofoctol au cours de la Covid-19. Les délais d'obtention des autorisations sont à l'origine des grandes difficultés que nous rencontrons pour recruter des volontaires avec pour conséquence une augmentation des coûts dépassant nos capacités financières", explique un courrier de l'Institut Pasteur de Lille, annonçant l'arrêt des essais cliniques sur le Clofoctol, du moins sous cette forme. "Nous n'abandonnons pas mais cherchons une autre stratégie. Des pistes sont à l'étude".
Quels sont les effets secondaires du clofoctol ?
"Le clofoctol est plutôt bien toléré"
"Le clofoctol a été donné pendant plusieurs décennies en France, notamment à des enfants. C'est donc un médicament dont on connaît parfaitement la tolérance. Il est plutôt bien toléré, mais comme tous les médicaments, il est associé à un risque d'effets secondaires", prévient notre interlocuteur. Le clofoctol étant un antibiotique, il peut entraîner une diarrhée. En effet, "on sait que quasiment tous les antibiotiques ont tendance à donner des petites diarrhées. Par ailleurs, quelques crises d'asthme ont été rapportées, mais par rapport au nombre de personnes qui ont pris ce médicament, cela reste très minime", conclut-il.
Merci au Pr Xavier Nassif, Directeur général de l'Institut Pasteur de Lille. Propos recueillis le 24 février 2021.