25 antidépresseurs inutiles pour soulager les douleurs ?
A l'exception d'un médicament, les antidépresseurs (paroxétine, amitriptyline...) prescrits pour réduire la douleur chronique manqueraient d'efficacité dans ce type de prescription, alerte une vaste étude.
Sauf la duloxétine (commercialisée sous le nom de Cymbalta®) qui aurait "un intérêt incontestable dans le traitement de la douleur", la plupart des antidépresseurs prescrits pour soulager les douleurs chroniques (principalement la fibromyalgie, les douleurs neuropathiques et les troubles musculo-squelettiques (TMS)) manqueraient d'efficacité et d'innocuité, rapportent les auteurs d'une méta-analyse publiée dans la revue Cochrane le 10 mai 2023. Ils ont passé en revue 176 essais contrôlés randomisés regroupant près de 30 000 participants souffrant de douleurs chroniques. Au total, 25 molécules antidépressives ont été analysées par les chercheurs qui les ont classées en fonction de leur efficacité à l'aide de plusieurs critères dont : le soulagement de la douleur, l'intensité de la douleur, les événements indésirables, la fonction physique, le sommeil, la qualité de vie, l'impression globale du patient, le sevrage.
La duloxétine, le seul antidépresseur efficace
Le résultat est sans appel : dans cette revue, seule la duloxétine semble avoir "un effet modéré sur la réduction de la douleur et l'amélioration de la fonction physique. C'est l'antidépresseur en lequel nous avons le plus confiance", détaillent les chercheurs. En effet, pour 1 000 personnes prenant de la duloxétine à dose standard, 435 ont ressenti un soulagement de la douleur de 50 % contre 287 prenant un placebo, poursuivent-ils.
Un autre antidépresseur, le milnacipran (Milnacipran Arrow®) "peut réduire la douleur, mais nous ne sommes pas aussi confiants dans ce résultat que la duloxétine car il y a eu moins d'études avec moins de personnes impliquées", expliquent les chercheurs. D'autres recherches sont nécessaires pour confirmer ces conclusions. Pour les autres antidépresseurs analysés (amitriptyline, mirtazapine (Norset®), fluoxétine (Prozac®), citalopram (Seropram®), paroxétine (Deroxat®), sertraline (Zoloft®)...), "il n'y avait pas suffisamment de preuves pour tirer des conclusions solides sur l'efficacité et l'innocuité pour la douleur chronique".
"Nous ne connaissons pas les effets indésirables de l'utilisation d'antidépresseurs pour la douleur chronique"
De plus, les chercheurs ne savent pas si les antidépresseurs sont efficaces pour traiter la douleur à long terme car la durée moyenne des études était seulement de 10 semaines. Enfin, "nous ne connaissons pas les effets indésirables de l'utilisation d'antidépresseurs pour la douleur chronique ; il n'y a pas assez de données" préviennent-ils. La duloxétine et le milnacipran sont sur la liste des médicaments à écarter selon la revue médicale française Prescrire en raison de leurs effets indésirables (troubles cardiaques, hypertensions artérielles, tachycardies, troubles du rythme cardiaque...). "La duloxétine expose aussi à des hépatites et à des réactions d'hypersensibilité avec des atteintes cutanées graves (dont des syndromes de Stevens-Johnson)."
Ne pas arrêter son traitement sans avis médical
Les antidépresseurs sont prescrits dans le traitement de la douleur car ils diminueraient la transmission du message douloureux vers le cerveau. Ils représentent une alternative aux opioïdes, longtemps prescrits pour traiter la douleur mais associés à un réel risque de dépendance et de surdosage. Dans la population de patients atteints de douleurs chroniques, environ 1 sur 5 présenterait un trouble dépressif ou un trouble anxieux, "ce qui justifie la prise d'un antidépresseur en première intention", estime le Pr Eric Serra, psychiatre et médecin de la douleur, vice-président de la Société française d'étude et de traitement de la douleur, interrogé par nos confrères du Quotidien du Médecin. Il rappelle toutefois la nécessité de les prescrire à une dose efficace, avec un objectif et une durée de traitement bien définis. Par ailleurs, le patient ne doit pas arrêter son traitement sans un avis médical : un sevrage brutal peut avoir des effets dangereux. Les auteurs de l'étude sont quant à eux en faveur d'alternatives non médicamenteuses dans le traitement de la douleur comme la pratique d'une activité physique adaptée, un soutien à la mobilité et des approches psychologiques contre l'isolement social.
Source : Antidepressants for pain management in adults with chronic pain: a network meta‐analysis, Cochrane Library, 10 mai 2023