Témoignage de Rémi, 13 ans : "Mon cancer, c'est ce qui me rend fort"
Depuis l'âge de 2 ans, Rémi souffre d'une tumeur au cerveau. Après 9 années de chimiothérapie, de fatigue et de lourds effets secondaires, le jeune garçon accepte de suivre une thérapie ciblée, plus adaptée et bien moins éprouvante. Il nous explique en quoi cela consiste et nous livre son combat, qu'il mène avec optimisme et courage au quotidien contre le cancer.
Chaque année en France, 2500 enfants et adolescents sont diagnostiqués d'un cancer. C'est à l'âge de 2 ans que Rémi apprend qu'il est atteint d'une tumeur au cerveau. Depuis, le jeune garçon, âgé de 13 ans aujourd'hui, se bat contre la maladie avec détermination, ambition et surtout, sans jamais renoncer à ses rêves d'adolescent. Scolarité, traitements, effets indésirables de la chimiothérapie, contraintes et difficultés du quotidien, avantages de la thérapie ciblée... Il nous livre un joli message d'espoir.
Le Journal des Femmes : racontez-nous votre histoire. De quoi souffrez-vous ?
En 2018, j'ai fait une très grosse récidive et on s'est rendu compte que la chimio n'était pas suffisante.
Rémi : Précisément, j'ai une tumeur au cerveau. Ça a été diagnostiqué quand j'avais 2 ans. D'après ce que m'a dit ma mère, je me cognais souvent et j'avais souvent mal à la tête quand j'étais petit. Un jour, on m'a fait une IRM et c'est là qu'on a découvert que j'avais une tumeur au cerveau. On m'a opéré à l'âge de 2 ans pour enlever un petit bout de la tumeur. Le chirurgien n'a pas pu enlever toute la tumeur car il a vu qu'il y avait une zone très sensible et que s'il la touchait, cela pouvait me rendre encore plus handicapé, aveugle ou invalide. Depuis un an et demi, je suis un protocole de traitement ciblé à l'Institut Curie. Avant, je faisais de la chimiothérapie par perfusion à l'hôpital pendant la journée. C'était plutôt efficace, mais en 2018, j'ai fait une très grosse récidive et on s'est rendu compte que la chimiothérapie n'était pas suffisante. J'ai été transféré en urgence à Necker. Du coup, les médecins ont proposé à mes parents un traitement ciblé. Ils ont accepté. Depuis, tout va bien. Je reparle, je remange, je remarche : tout refonctionne ! Mes médecins, ce sont mes héros !
Pouvez-vous nous expliquer ce qu'est la thérapie ciblée ? Comment ça se passe concrètement ?
Mode d'action de la thérapie cibléeLa thérapie ciblée est un traitement qui permet de bloquer la croissance et la prolifération de la tumeur, en s'attaquant directement aux anomalies moléculaires, responsables du développement des cellules cancéreuses. En ciblant précisément ces perturbations moléculaires, les médicaments bloquent la transmission de certaines informations et interrompent le développement et la propagation des cellules cancéreuses tout en préservant le plus possible les cellules saines. |
Rémi : Alors, la thérapie ciblée, c'est un traitement qui consiste à prendre des gélules chaque jour : 2 le matin et 5 le soir. Ces médicaments me permettent d'esquiver l'hôpital où avant, je faisais de la chimiothérapie. Je sais que ce sont des molécules qui agissent directement sur ma tumeur, mais le nom de ces molécules, je ne le connais pas... Je dois prendre ces gélules à des heures fixes : 6h30 le matin et 18h le soir. Je dois être à jeun 2h avant la prise de mon traitement, et ne manger qu'une heure après. Cela veut dire que je ne peux pas prendre mon goûter après 16h et que je n'ai pas le droit de manger avant 19h par exemple.
Pour moi, c'est plutôt encourageant car je n'ai eu aucun effet secondaire grave.
On est beaucoup d'enfants à suivre une thérapie ciblée. En fait, on dit qu'elle est ciblée car les molécules contenues dans ces gélules n'attaquent que la zone touchée du cerveau par la tumeur, contrairement à la chimiothérapie qui vise tout le cerveau. En gros, le médicament attaque pile là ou ça fait mal. Je ne sais pas combien de temps il va falloir que je prenne ces gélules. Ça peut être 5 ans, 10 ans voire à vie. Tant que ça marche, je les prends. En complément, tous les 3 mois je dois passer une IRM et je vois mon oncologue de l'Institut Curie. Tous les 6 mois, je vais à la Fondation Rothschild pour faire un bilan visuel et un bilan du cœur dans un centre d'échographie cardiaque, car la thérapie ciblée a des effets secondaires plus ou moins graves comme des problèmes de peau, des problèmes au cœur, un décollement de la rétine... Pour moi, c'est plutôt encourageant car je n'ai eu aucun effet secondaire grave. Moi, j'ai un tout petit effet secondaire, c'est que je saigne du nez très souvent. Mais je vais bientôt me faire cautériser. Par contre, je connais une fille de 15 ans qui suit également un protocole de thérapie ciblée, mais à elle, on a dû lui changer sa molécule car elle avait de graves problèmes de peau. En fonction des effets secondaires du patient, on peut par exemple adapter le nombre de gélules : en prendre 3 au lieu de 5 le soir.
En êtes-vous satisfait ?
Après la chimio, j'étais très fatigué, j'avais mal au ventre, je me couchais à 17 heures.
Rémi : Ah oui, pour rien au monde je ne reviendrais en arrière. Rien que le fait de repenser au moment où je devais aller à l'hôpital pendant une journée entière à être perfusé, je me dis que je suis content de mon traitement actuel. Après la chimio, j'étais très fatigué en plus, j'avais mal au ventre, je me couchais à 17 heures et à 18 heures je faisais ma nuit. C'était pas une vie... Maintenant j'ai une vie normale, à part mes quelques rendez-vous à l'hôpital. Moi on m'a dit que la thérapie ciblée va être donnée en première intention à de plus en plus de cancers et qu'il y aura de moins en moins de chimiothérapie par perfusion, sauf pour les cas les plus graves, car la chimio a trop d'effets secondaires.
Mes journées sont rythmées en fonction du traitement en fait.
Quelles sont les difficultés au quotidien d'une thérapie ciblée ?
Rémi : Pour moi le plus contraignant, c'est de se lever très tôt le matin pour prendre le traitement. Même le week-end, je dois me lever tôt pour prendre mon traitement à 7h ou 7h30 maximum. Je ne peux pas manger avant une certaine heure le week-end comme la semaine. Mes journées sont rythmées en fonction du traitement en fait. Même quand je fais des sorties, c'est compliqué car je dois emmener mon médicament dans une poche de froid. Je ne peux pas l'emporter dans un petit pilulier mais seulement dans une grosse poche avec un grand pain de glace. Faut vraiment qu'il soit au frais. Même quand on va chez des amis, c'est tout bête, mais faut l'emmener et attendre une certaine heure avant de pouvoir prendre l'apéritif. On peut décaler la prise d'une demi-heure grand max, mais pas une heure par exemple. Et puis, il faut y penser tous les jours, mais ça va, ça ne m'est jamais arrivé de l'oublier.
J'ai une vie bien remplie et complètement normale.
Quels sont pour vous les bénéfices de la thérapie ciblée ?
Rémi : Avant de suivre ce traitement ciblé, je ne pouvais plus marcher, je n'avais pas d'appétit et j'étais complètement aveugle par exemple. Aujourd'hui, je suis malvoyant mais j'ai retrouvé un peu la vue et je mange très bien. Je peux lire en agrandissant les lettres et j'ai appris le braille. Je peux marcher très longtemps sans problème. A l'école, je fais des barres parallèles et de la poutre aussi. J'ai une vie bien remplie et complètement normale en fait.
C'est bête à dire, mais le cancer crée des liens et rapproche beaucoup.
Comment ça se passe à l'école ?
Rémi : Je suis interne à l'Institut National des Jeunes Aveugles (INJA) donc dans mon école, nous sommes tous malvoyants ou aveugles. On dispose de plein de supports adaptés : des livres agrandis, des outils en braille... Dans ma classe, il y a un autre élève qui a un cancer du cerveau. Mais lui ne suit pas un traitement ciblé, il est encore sous chimiothérapie. Le cancer l'a rendu chauve et petit, ce qui n'est pas mon cas. C'est un bon ami à moi d'ailleurs, on discute souvent de nos traitements respectifs. C'est bête à dire, mais le cancer crée des liens. Ça rapproche beaucoup. Dans ma classe, on est 12 et j'ai à peu près 9 copains. Le fait d'avoir un cancer ne m'a jamais empêché d'avoir une vie sociale, des amis, ou une scolarité la plus normale possible.
Je me battrai toujours et je ne perdrai pas espoir.
Avoir un cancer vous a-t-il fait grandir plus vite ?
Rémi : Absolument. Toute ma vie, j'ai traîné avec des plus grands que moi. Là j'ai 13 ans et j'ai des amis qui ont entre 18 et 20 ans. Même dans famille, je suis le seul avec un cancer. Le seul et l'unique ! Ça fait ma fierté d'ailleurs (rires). J'ai une belle cicatrice sur la tête et quand on me demande ce que c'est, je réponds que ça résume bien mon vécu. Je la montre fièrement car je n'aime pas cacher les choses. Je veux montrer qu'on a tous traversé des épreuves plus ou moins différentes. Moi, mon cancer m'a rendu plus mature, je me sens plus proche des gens plus âgés. J'ai appris à ignorer la critique et les moqueries. Ma tumeur au cerveau, ma maladie, c'est ce qui me rend fort, je me battrai toujours et je ne perdrai pas espoir, même si on m'a dit que je ne serais probablement jamais guéri. Après, on m'a aussi dit que vers 20 ans, ma tumeur n'allait plus grossir.
Avez-vous envie de vous engager dans des associations ?
Rémi : A un moment, je faisais partie des Petits Princes. Maintenant, je suis dans l'Association Imagine For Margo depuis un an. Pour le moment, je n'ai fait que 3 ou 4 sorties avec eux. Une fois, j'étais chez les pompiers à Nanterre et une autre fois j'ai fait le rallye du cœur où je suis monté dans une voiture de sport. J'ai adoré. En fait, je participe à des événements pour lutter contre le cancer de l'enfant. Plus tard, j'aimerais bien être encore plus engagé et faire des dons pour des associations même pour d'autres causes que le cancer. Après je ne vais pas donner pour tout et n'importe quoi, il faut que ce soit une cause qui me touche. En plus, je trouve qu'on explique mal aux gens ce que c'est d'avoir un cancer. On leur dit "vous avez telle chose", mais on ne leur dit pas combien de temps ça va durer, quelles conséquences ça va avoir sur leur vie, quel traitement il va falloir suivre... On devrait dire plus.
J'aimerais bien être œnologue ou "nez".
Comment envisagez-vous votre vie future ?
Rémi : Je ne suis pas inquiet pour l'avenir. Je me projette même. J'aurais seulement des problèmes de vue mais ça ne m'empêchera pas d'avoir une vie tout à fait normale. Je pourrais toujours avoir un chien ou une canne. Il y a toujours une solution, il ne faut jamais baisser les bras ! J'aimerais bien être œnologue ou "nez". Du coup, ce serait compatible avec mes problèmes de vue car ce sont des métiers qui ne nécessitent pas forcément de bien voir, mais d'avoir beaucoup d'odorat, un touché très développé et connaître très bien les arômes. Après, je vous avoue que j'aurais bien voulu faire pompier, mais quand on m'a dit que c'était mort, j'ai abandonné l'idée... Tant pis, j'ai d'autres rêves.
Merci à Rémi pour son témoignage. Propos recueillis le 12 mars 2020.