Patricia Blanc : "Face au cancer d'un enfant, on ne maîtrise plus rien"

Patricia Blanc : "Face au cancer d'un enfant, on ne maîtrise plus rien"

Maman de Margaux, emportée par une tumeur au cerveau à l'âge de 14 ans, Patricia Blanc a créé l'association "Imagine For Margo" pour aider la recherche à mettre au point des traitements plus spécifiques contre les cancers de l'enfant. A l'occasion de Septembre en Or, mois dédié à ces cancers, elle s'est confiée au Journal des Femmes sur ses souffrances, son combat et son engagement quotidien.

Chaque année, 500 enfants et adolescents meurent du cancer. Margaux, 14 ans, en a été victime et est décédée le 7 juin 2010 d'une tumeur au cerveau. En 2011, sa maman, Patricia Blanc, décide de poursuivre son combat en créant, avec son mari Olivier, l'association Imagine For Margo. A l'occasion de l'opération Septembre en Or - édition 2019, mois de mobilisation internationale consacré aux cancers de l'enfant, cette maman engagée et pleine d'espoir nous livre son histoire et sa bataille quotidienne pour sensibiliser à cette cause et aider la recherche à concevoir des traitements appropriés "pour qu'un jour, nous puissions imaginer un monde avec des enfants sans cancer".

Le Journal des Femmes : En novembre 2011 , vous créez Imagine For Margo, une association qui soutient la recherche contre le cancer des enfants. Quel est votre déclic et quel est votre combat à ce moment-là ?

Patricia Blanc : A 13 ans, notre fille Margaux apprend qu'elle a une tumeur agressive au cerveau. Pendant 16 mois, elle combat sa maladie avec un courage incroyable et parvient à collecter des fonds pour faire progresser la recherche. 103 000 euros au total. Malheureusement, le 7 juin 2010, Margaux nous quitte, à seulement 14 ans. Un an après son décès, nous décidons de créer avec mon mari l'association Imagine For Margo pour poursuivre l'initiative de Margaux ainsi que son combat contre la maladie et pour perpétuer le message de vie et d'espoir "Go, Fight, Win" qu'elle nous a laissé en partant et qui est aujourd'hui la devise de l'association. Il nous paraît alors nécessaire, pour aider les autres enfants et leur donner accès à de nouveaux traitements, de nous mobiliser ensemble, en famille, et de se mettre en partenariat avec un grand réseau de chercheurs en Europe (Innovative Therapy for Children with Cancer). Pour nous, ce n'est pas normal que, malgré l'innovation thérapeutique dans le domaine du cancer, les enfants soient "les grands oubliés de la recherche" et qu'il n'y ait pas de médicaments pour les soigner. Nous voulons donner de l'espoir aux autres familles, quand nous, nous n'en avons pas eu pour Margaux. 

En tant que maman, comment réagit-on lorsque les médecins nous annoncent que son enfant souffre d'une tumeur au cerveau ?

"Avoir été confronté à une telle douleur permet de relativiser beaucoup de choses."

Patricia Blanc : Les symptômes de Margaux démarrent en début de semaine : elle a quelques maux de tête et des vomissements. Les jours passent et son état se détériore. On l’emmène à l'hôpital. Les médecins décident de réaliser un scanner et c'est là que le verdict tombe comme un couperet : Margaux a une tumeur au cerveau. Une ambulance nous attend en bas de l'hôpital pour nous transférer à Necker-Enfants malades pour faire des examens complémentaires. A partir de ce jour se succèdent des IRM et des opérations en urgence. On apprend que Margaux souffre de la tumeur cérébrale la plus agressive qui existe chez les enfants et qu'on ne sait toujours pas la guérir actuellement. Je dois m'arrêter de travailler pour me consacrer pleinement à ma fille et l'accompagner dans ses traitements au quotidien. En 5 jours, notre vie bascule et face au cancer d'un enfant, on ne maîtrise plus rien du tout.

Comment préservez-vous Floriane, la petite sœur de Margaux, qui n'a que 11 ans lorsque Margaux décède ?

Patricia Blanc :  Un enfant qui souffre d'un cancer demande un accompagnement au quotidien et énormément d'attention. Et bien souvent, les frères et sœurs ont tendance à être un peu oubliés. Finalement lors d'un cancer, c'est tout l'entourage familial qui est impacté. Lorsque Margaux nous quitte, nous devons surmonter un autre défi : celui de se reconstruire en famille avec quelqu'un qui n'est plus là physiquement. Floriane, sa petite sœur, n'a que 11 ans. Elle est en période de pré-adolescence et ce n'est pas facile de trouver les mots pour en parler. On essaye de faire au mieux, de trouver le temps pour être avec elle et l'écouter. Je ne vais pas vous dire que c'est facile car ça ne l'est absolument pas. D'avoir été confrontée à une telle douleur permet de relativiser beaucoup de choses dans la vie et d'apprécier beaucoup plus chaque moment du quotidien. On est conscient de la valeur de la vie, de l'amour et d'avoir son enfant, ou sa sœur, près de soi. On comprend le prix de la vie et la beauté d'avoir ses enfants à ses côtés. Le fait d'avoir Floriane m'a donné l'énergie et l'espoir de continuer à vivre et à survivre à cette épreuve. Aujourd'hui, Floriane a 20 ans et elle a fait de ses souffrances une force. Ça a été un long cheminement pour elle et ça le sera encore dans sa vie future.

"On n'a pas pu guérir Margaux, faute de traitements adaptés pour son type de tumeur."

Pourquoi les enfants sont-ils aujourd'hui considérés comme des "oubliés de la recherche" ? Traite-t-on les cancers de l'enfant comme ceux des adultes ?

Patricia Blanc : La recherche est essentiellement axée sur les cancers de l'adulte, parce que tout simplement, il y en a plus. Donc, les médicaments sont développés plutôt pour les adultes. Or, les enfants ne sont pas des adultes en miniature et il leur faut des traitements spécifiques et plus efficaces. C'est pourquoi on a besoin d'avoir des molécules conçues spécifiquement pour l'enfant ou au moins permettre à l'enfant d'avoir accès à des molécules, aussi bien efficaces chez l'adulte que chez l'enfant. On ne doit pas attendre 10 ou 20 ans pour mettre en place des essais cliniques de molécules innovantes pour les enfants. Margaux, elle, a eu une chimiothérapie qui datait de 40 ans, qui était développée pour les adultes et qui n'était pas efficace chez les enfants. Et malheureusement, on n'a pas pu guérir Margaux, faute de traitements adaptés pour son type de tumeur.

Quels sont les enjeux de l'association Imagine For Margo ?

Patricia Blanc : Notre mobilisation concerne tous les enfants et tous les types de tumeur. On finance généralement des essais cliniques européens pour bénéficier de l'expertise de différents centres médicaux en Europe. L'une des ambitions de l'association est d'accélérer l'accès aux enfants à l'innovation thérapeutique. Aujourd'hui, il y a trois axes dans la recherche. Tout d'abord, il faut mieux comprendre le cancer. La première question que se posent les familles c'est "Pourquoi mon enfant a un cancer ?" et on doit pouvoir leur répondre. Ensuite, c'est mieux cibler traitements et enfin, c'est comment utiliser toutes les données que l'on a grâce aux essais cliniques et aux recherches que l'on finance, ainsi que tous les outils que l'on possède grâce à l'intelligence artificielle pour aller encore plus loin, mieux comprendre et mieux soigner les cancers pédiatriques. Par exemple, on a financé la possibilité pour les enfants qui sont en échec thérapeutique ou en rechute, d'avoir un accès au séquençage complet du génome de leur tumeur. C'est assez innovant car grâce à ça, les médecins arriveront mieux à détecter l'anomalie spécifique de l'enfant pour le mettre dans un essai clinique adapté et lui proposer une possibilité thérapeutique adaptée. On a aussi financé un programme au diagnostic pour les tumeurs à haut risque (MICCHADO) et également un essai clinique unique au monde (ESMART) qui permet de proposer dix possibilités de traitement, dix molécules innovantes, à 260 enfants en échec thérapeutique. Et ça, ça accélère énormément la recherche ! 

Combien d'enfants guérissent aujourd'hui du cancer ? 

"On parvient à guérir 80% des enfants atteints d'un cancer, ça ne suffit pas."

Patricia Blanc : On parvient à guérir 80% des enfants atteints d'un cancer. Mais ça ne suffit pas ! Surtout que parmi ces enfants et adolescents guéris, les deux tiers gardent des séquelles graves de leur maladie ou de leur traitement. Cela peut être des problèmes cardiaques, des amputations, des problèmes de fertilité, des risques d'avoir d'autres cancers dans leur vie... Donc ces 80% d'enfants, il faut les guérir mieux. Et même si 4 enfant sur 5 sont guéris, le cancer tue encore 500 jeunes par an et reste la première cause de décès par maladie chez les enfants en France et en Europe. Voilà pourquoi il faut se mobiliser et ne surtout pas baisser les bras. 80% de guérison, c'est bien, mais on doit encore pouvoir faire mieux !

Pouvez-vous nous expliquer ce qu'est la campagne Septembre en Or ? Comment pouvons-nous, à notre échelle, contribuer à la recherche ?

Patricia Blanc : Septembre est le mois du cancer de l'enfant. Il existe même une opération internationale baptisée "Septembre en Or". Toute cette mobilisation est notamment possible grâce au collectif "Gravir" qui réunit des associations de parents, de patients et de citoyens, des fondations de laboratoires pharmaceutiques, des grands financeurs de la recherche comme la Ligue contre le Cancer et la Fondation ARC , ainsi que des médecins. Ensemble, nous voulons porter la voix des enfants et des adolescents atteints du cancer de manière à ce que l'on puisse agir auprès des autorités publiques et pour faire évoluer la recherche mais aussi la prise en charge et l'accompagnement des familles, pendant et après la maladie. Parmi les temps forts de ce mois de septembre, l'association Imagine for Margo organise une grande course "Enfants sans cancer" le 29 septembre 2019, dans le parc de Saint Cloud. Tous les fonds collectés lors de cet événement convivial et familial sont intégralement reversés à la recherche sur le cancer de l'enfant. L'an dernier, nous étions 5 000 participants et nous avons collecté 1 650 000 euros. En parallèle, il est possible de faire des dons sur le site Imagine for Margo que ce soit pour des actions de recherche ou pour améliorer le quotidien des enfants à l'hôpital. 

"Il faut essayer d'accepter l'inacceptable."

Quel est votre message d'espoir aux parents confrontés à la maladie de leur enfant ?

Patricia Blanc : J'espère que le fait d'avoir créé l'association Imagine for Margo, de faire bouger les lignes et de fédérer d'autres énergies donne un maximum d'espoir à toutes les familles confrontées à la maladie d'un enfant. J'aimerais leur dire de continuer à se battre et de ne pas se laisser abattre, de mener ce combat familial de toutes leurs forces. La perte d'un enfant est l'une des épreuves les difficiles dans l'échelle de la douleur. Il faut essayer de vivre avec ça, d'accepter l'inacceptable et de transformer notre souffrance en force.

Courir solidaire. Le dimanche 29 septembre 2019 a lieu la 8e édition de la course "Enfants sans cancer" au Domaine national de Saint-Cloud. Trois parcours sont proposés : 5 km de marche, 5 km de course ou 10 km de course. L'intégralité des dons collectés lors de cet événement sera reversée à deux programmes de recherche de pointe - MAPPYATS et Acsé-ESMART - qui permettent de mieux comprendre la tumeur chez l'enfant, d'adapter la prise en charge des enfants en rechute ou en échec thérapeutique et de développer des traitements innovants pour tous les types de cancers. Modalités de participation et inscriptions jusqu'au 23 septembre sur le site Imagineformargo.org

© Imagine For Margo