Syndrome d'Hubris : comment peut-on se croire tout puissant ?
Narcissique, arrogant, manipulateur... Le président russe Vladimir Poutine est-il atteint du syndrome d'Hubris ? Un syndrome lié au pouvoir et associé au sentiment de toute-puissance. Définition, symptômes typiques, traitement : décryptage.
Le narcissisme, l'arrogance, le mensonge et la manipulation sont des caractéristiques du syndrome d'Hubris. Un syndrome particulièrement fréquent chez les chefs de gouvernement. "Qu'il s'agisse d'un mari violent, d'un chef d'entreprise mégalomane ou d'un chef d'état militariste, ce sont des personnalités extrêmement dangereuses pour autrui et d'une immense fragilité" nous explique le Dr Bertrand Gilot, psychiatre. Le président russe Vladimir Poutine pourrait en être atteint selon des médecins qui l'ont observé depuis son entrée en guerre contre l'Ukraine, en février 2022. Beaucoup de rumeurs circulent par ailleurs sur son état de santé : cancer, maladie de Parkinson... Aucune n'a été confirmée.
Définition : qu'est-ce que le syndrome d'Hubris ?
Le syndrome d'Hubris est un trouble de la personnalité, non une maladie mentale. "Hubris" (ou "hybris") en grec ancien signifiait "démesure" et en anglais "Orgueil". Ce syndrome est inextricablement lié au pouvoir, c'est une condition préalable. Quand le pouvoir passe, le syndrome s'atténue. Une personnalité "hubristique" est particulièrement courante chez les chefs de gouvernement. En psychanalyse, on parle de "syndrome d'hubris" lorsqu'une personne fait preuve de "narcissisme, d'arrogance, de prétention, d'égotisme, voire de manipulation, de mensonge et de mépris" en réaction à son pouvoir.
Cette personne a le sentiment d'être invulnérable et d'avoir la toute-puissance.
Cette personne a le sentiment d'être invulnérable et d'avoir la toute-puissance. "La personne dépasse les limites de l'admissible dans la perception d'elle-même et dans le rapport aux autres. Il y a une surestimation de soi et une sous-estimation permanente des autres. Dans la notion d'hubris, dans la mythologie grecque, il y a aussi toujours la notion de violence, c'est un retour archaïque à la violence brute, à une puissance uniquement destructrice qui dépasse ce dont les humains devraient se contenter" nous explique le Dr Bertrand Gilot, psychiatre.
Quels sont les symptômes du syndrome d'Hubris ?
Plusieurs symptômes comportementaux sont associés au syndrome d'Hubris. Selon le médecin et ancien ministre anglais David Owen, il faut en présenter au moins trois ou quatre de la liste suivante pour être considéré comme atteint de ce syndrome :
- Propension narcissique à voir le monde comme arène où exercer son pouvoir et rechercher la gloire
- Prédisposition à engager des actions susceptibles de se présenter sous un jour favorable, c'est-à-dire pour embellir son image
- Attrait démesuré pour l'image et l'apparence
- Manière messianique de parler de ce que l'on fait avec une tendance à l'exaltation dans la parole et les manières
- Identification de soi-même à la nation dans la mesure où les perspectives et intérêts des deux sont identiques.
- Tendance à parler de soi à la troisième personne ou à utiliser le "nous"
- Confiance excessive en son propre jugement et mépris pour les conseils ou critiques d'autrui.
- Confiance en soi exagérée, à la limite d'un sentiment de toute-puissance, dans ce qu'ils peuvent réaliser personnellement.
- Conviction qu'au lieu d'être responsable devant l'opinion publique, le seul tribunal auquel il devra répondre sera celui de l'histoire souvent accompagnée d'une conviction inébranlable que dans ce tribunal on leur donnera raison
- Agitation, insouciance et impulsivité.
- Perte de contact avec la réalité, souvent associée à un isolement progressif
- Tendance à accorder de l'importance à sa "vision", à son choix, ce qui évite de prendre en considération les aspects pratiques ou d'évaluer les coûts et les conséquences indésirables.
- Incompétence, lorsque les choses tournent mal parce qu'une confiance en soi excessive a conduit le leader à négliger les rouages habituels de la politique, du droit.
Les symptômes s'atténuent généralement lorsque la personne n'exerce plus de pouvoir. Il est moins susceptible de se développer chez les personnes modestes, ouvertes à la critique, qui ont un certain cynisme ou un sens de l'humour bien développé.
"On a bien souvent à faire à des grands paranoïaques et/ou à des grands pervers"
Quelles sont les caractéristiques d'une personne atteinte du syndrome d'Hubris ?
"Si on rattache ce syndrome à ce que l'on observe chez des humains qui ont eu beaucoup de pouvoir et qui l'ont exercé de façon tyrannique, on a bien souvent à faire à des grands paranoïaques et/ou à des grands pervers", poursuit le psychiatre. Le paranoïaque "plus souvent un homme" est celui dont on entend parler dans les faits divers : l'homme persuadé que son voisin fait des choses exprès pour lui nuire, qui va en parler à tout le monde, et qui, en voyant que personne ne le prend au sérieux, finit par tuer son voisin et se suicider derrière. Il ne se remet jamais en cause. "Ce sont des gens qui raisonnent de façon juste, structurée mais dont le raisonnement repose sur un postulat de départ qui est faux. On observe la même logique chez les tyrans. Hitler, Staline... Ce sont des gens intimement persuadés d'avoir raison au départ et qui vont mettre toute leur puissance au service de cette certitude d'avoir raison. Toute personne qui va s'opposer, contester ou même juste questionner cette certitude va être située dans ses ennemis." S'ajoutent parfois les caractéristiques du pervers : "Le pervers ne considère pas l'autre en tant qu'autre, l'autre n'existe qu'en tant qu'outil ou objet que l'on va pouvoir utiliser ou abîmer si on en a envie." L'autre est perçu comme une extension de soi-même dont on peut faire ce que l'on veut, il n'est pas perçu comme un être à part entière.
Il n'y a aucune place pour l'échec, le doute ou la nuance.
"Qu'il s'agisse d'un mari violent, d'un chef d'entreprise mégalomane ou d'un chef d'état militariste, ce sont des personnalités extrêmement dangereuses pour autrui et d'une immense fragilité" poursuit le Dr Gilot. La personne qui a un profil "hubristique" ne laisse aucune place à l'échec, au doute, à la nuance : "Tout est extrêmement brutal et en cas de confrontation à leur échec c'est généralement le suicide, le suicide violent, qui survient. Eventuellement en semant la destruction autour d'eux avant de se suicider. Cette position de toute-puissance est là pour se défendre d'une réalité qui est l'impuissance."
Quelles sont les personnalités atteintes du syndrome d'Hubris ?
Le syndrome d'Hubris est particulièrement courant chez les chefs de gouvernement mais il peut toucher n'importe quelle autre personne dans la vie privée, au travail... et se manifester à n'importe quel âge. Dans son livre "In Sickness and in power", le médecin anglais David Owen considère que les quatre chefs de gouvernement suivants ont développé ce syndrome de l'orgueil : Lloyd George,
Margaret Thatcher, George W. Bush et Tony Blair. En mars 2022, des médecins qui ont observé l'attitude du président russe Vladimir Poutine, en guerre contre l'Ukraine, estime qu'il en est atteint.
Existe-t-il des traitements contre le syndrome d'Hubris ?
Il n'y a pas de traitement au sens "médicamenteux" pour "soigner" un syndrome d'Hubris. Selon le Dr David Owen, les symptômes s'atténuent généralement lorsque la personne n'exerce plus de pouvoir. Il faudrait aussi qu'elle soit entourée de critiques pour contrer son sentiment de "toute puissance" absolue. Mais encore faut-il que cette personne entende ces critiques et qu'elle parvienne à modifier son raisonnement ce qui est rarement le cas.
"Le silence est toujours plus dangereux que la parole."
Que faire face à une personne qui a le syndrome d'Hubris ?
"Il faut s'en éloigner pour s'en protéger" répond d'emblée le Dr Bertrand Gilot. Au travail, le mieux est de quitter son emploi. Dans le couple devenu toxique, c'est la même chose, il faut se séparer de cette personne. "Chaque fois que vous essaierez de raisonner l'autre, vous aurez de toutes façons perdus car ça ne se joue pas dans le dialogue ou alors juste le temps d'imaginer d'autres solutions." Dans un conflit géopolitique avec une personne assurée de sa toute-puissance et du bien fondé de ses actions -comme on l'observe avec le Président russe en guerre contre l'Ukraine - "il est compliqué d'imaginer un dénouement calme" explique notre interlocuteur. "On est uniquement dans le rapport de force avec un mépris total de l'autre où on est certain d'être victorieux. Il y a une course illusoire, une fuite en avant sans limite. Si le Président russe annexe l'Europe, il lui faudra l'Afrique, puis l'Asie... Or, plus il est victorieux, plus son potentiel de dangerosité augmente". Alors que faire ?
- Ne pas réagir et le laisser faire ? "C'est dangereux car la toute puissance est augmentée. Plus il obtient de succès, plus il prend de puissance donc de dangerosité. On a vu avec Hitler ce qui s'est passé. Il y a un besoin psychique de se conforter soi, la démonstration de force envers autrui vise surtout à se rassurer soi-même. Derrière cette grande dangerosité, il y a une immense fragilité interne,. On n'est plus dans une logique rationnelle."
- Résister ? S'opposer ? "Si on résiste, il va s'énerver. Si on s'oppose à lui et qu'on le met en échec il va être face à un effondrement de ses certitudes et il peut aussi être d'une violence extrême."
- Dialoguer ? "Dialoguer ne sert pas toujours grand chose mais ne pas dialoguer c'est pire. Le silence est toujours plus dangereux que la parole, c'est toujours vrai même face à ce genre de personnalité. On peut espérer que le dialogue instille un tout petit peu de doute, un tout petit peu de nuance. Il ne faut pas espérer que la personne revienne à la raison mais qu'il arrondisse un petit peu certains angles."
- Le mettre face à ses échecs pour qu'il passe de la toute-puissance à l'impuissance ? "Etre face à un échec impossible à nier déstabilise mais on ne sait pas de quelles informations réelles il dispose pour évaluer cet échec, on ne peut pas savoir à l'avance le point de bascule entre les deux."
Merci au Dr Bertrand Gilot, psychiatre.
Sources :
Hubris syndrome. David Owen. Clin Med 2008;8:428–32
In Sickness and in Power: Illnesses in Heads of Government During the Last 100 Years Relié – 30 mai 2008. David Owen.