Laurence Cottet, ex-alcoolique : "Le déclic se fait quand je m'effondre ivre morte à la cérémonie des vœux chez Vinci"
Sobre depuis 15 ans et à l'initiative du Dry January ou Mois sans Alcool, Laurence Cottet a tout perdu à cause de l'alcoolisme.
A l'occasion du Dry January de 2020, nous avions rencontré Laurence Cottet, ex-alcoolique devenue patiente-experte en addictologie. Laurence Cottet est Présidente de l'association française Janvier Sobre, à l'initiative du "Mois sans alcool" en France, équivalent du "Dry January" en Angleterre, et de la page publique Mois Sobre sur Facebook. "Le mois de Janvier est le premier de l'année. Celui des bonnes résolutions que l'on prend pour bien démarrer et laisser derrière soi les dérives de l'année écoulée… et notamment des récentes fêtes parfois trop arrosées !" argue l'association sur son site. Voici l'histoire de Laurence Cottet.
Le Journal des Femmes : Vous avez souffert d'alcoolisme, quand cela a-t-il commencé ?
Laurence Cottet : La maladie alcoolique s'est installée en moi alors que j'avais 15-16 ans. Je ne me rendais pas compte et surtout mon entourage était également dans le déni de cette maladie parce qu'il ne la connaissait pas. On était entre bandes de copains, on démarrait les soirées à 19 heures et on les terminait à 5 heures du matin, la tête dans le sceau. C'était un alcoolisme qui s'installait beaucoup plus lentement qu'aujourd'hui avec la mode du binge drinking*, mais le résultat était le même. Je me souviens avoir eu des comas éthyliques mais on ne se rendait pas compte du danger.
"A 25 ans je tombe tête baissée dans le piège."
Je m'en sortais tant bien que mal parce que j'avais une très bonne constitution physique, je m'en remettais après 24 heures de sommeil mais c'était pour mieux recommencer trois à quatre jours après dans un milieu festif, amical puis estudiantin et c'est comme ça que tout doucement s'est installée la dépendance à l'alcool.
Comment la maladie a-t-elle évolué ensuite ?
Laurence Cottet : De 15 à 25 ans, c'était des "bitures" que l'on se prenait quasiment tous les week-ends. A 25 ans, je rentre dans un milieu professionnel et je démarre une carrière dans le BTP, je suis juriste, dans un secteur où les bonnes bouteilles circulent et je tombe tête baissée dans le piège. Je déguste dans le cadre de repas d'affaires, de séminaires, de voyages professionnels, de colloques. Je travaille dur mais l'alcool, les open bar payés par l'entreprise, je les connais et c'est comme ça qu'à 36 ans je deviens alcoolique c'est-à-dire malade de l'alcool (elle a aujourd'hui 60 ans, ndlr).
Jusqu'à quelle quantité buviez-vous par jour ?
Laurence Cottet : Quand on est alcoolique, les doses sont assez considérables.
"Je buvais deux à trois bouteilles de vin par jour."
A l'époque, je faisais à peine 50 kilos, je buvais deux bouteilles et demie à trois bouteilles de vin ou de champagne par jour ou une bouteille de vodka, c'était mes alcools préférés. L'alcool était une obsession, on profite de toutes les occasions pour en boire et les occasions se présentaient à moi avec beaucoup de facilité dans ce contexte professionnel.
Quel est votre pire souvenir sous l'emprise de l'alcool ?
Laurence Cottet : Mon pire souvenir a été en Chine sur la Place Tian'anmen. J'étais dans un colloque où je devais représenter ma société, Vinci. Je me suis retrouvée ivre morte sur la place et je ne savais plus retrouver mon hôtel. J'ai galéré pour qu'enfin, dans un anglais approximatif et ivre, je trouve quelqu'un pour me ramener. On aurait pu me violer, c'est le pire moment que j'ai vécu, je ne voudrais jamais le revivre, c'est resté ancré en moi et je ne l'oublie pas. Grâce à ce souvenir je n'ai aucune envie de recommencer (à boire, ndlr).
Vous étiez dépendante à l'alcool mais aussi au sport, c'est surprenant, comment l'expliquez-vous ?
Laurence Cottet : Le sport à outrance me permettait de perdre les calories que je prenais avec l'alcool, je m'enfilais 4000 à 5000 calories par jour, et je m'épuisais physiquement notamment les week-ends où je faisais du sport de 9 heures à 17 heures. Et à 17h30, je m'alcoolisais.
"Je me nourrissais qu'à l'alcool"
J'étais tombée dans l'alcoolorexie, je ne mangeais plus, je me nourrissais qu'à l'alcool, je voulais rester fine, j'étais cadre supérieure, j'avais un look élégant et élancé, je ne voulais pas prendre de kilos. Le sport me permettait aussi d'occuper mon temps, je me faisais violence pour me punir de me ré-alcooliser sachant que je pensais toujours que le soir je n'allais pas boire. Mais je tombais à chaque fois dedans parce que j'étais malade. Ce n'était plus une question de volonté.
Quel a été le déclic qui vous a fait prendre conscience que vous deviez arrêter de boire et vous soigner ?
Laurence Cottet : Le déclic se fait le 23 janvier 2009 à 12h30 lorsque je m'effondre ivre morte à la cérémonie des vœux chez Vinci devant 650 cadres supérieurs. Je perds en une fraction de seconde ma dignité de femme, j'aurai voulu me cacher dans un petit trou de souris alors que c'était une ivresse manifeste publique. Le souvenir que j'en ai c'est que je reste longtemps parterre, peu de gens viennent à moi pour me redresser tellement ils sont horrifiés,
"Je me suis effondrée ivre morte à la cérémonie des vœux devant 650 cadres supérieurs."
Je fais aussi un burn out, je n'en pouvais plus, ça faisait plusieurs mois que j'essayais de m'en sortir, que je frappais à des portes qui n'étaient pas les bonnes, je perdais du temps. Et là c'est le déclic, je vais mettre plusieurs heures à me rendre compte de ce qui s'est passé, on va me reconduire dans mon bureau et je vais faire une crise d'épilepsie. J'ai cette chance de m'en être sortie, j'aurai très bien pu mourir. On aurait dû me reconduire chez moi, voire peut-être m'envoyer aux Urgences mais on m'a reconduit dans mon bureau et on m'a laissée en plan et la fête continuait sans moi. Je me suis retrouvée avec 2 grammes voire plus d'alcool dans le sang, je suis descendue au sous-sol retrouver ma voiture de fonction et j'ai conduit 40 kilomètres sur le périphérique pour repartir chez moi. Certes, j'ai ma part de responsabilités et ils avaient tout à fait raison, 3 jours plus tard, de me licencier en bonne et due forme mais si je raconte cette histoire c'est pour expliquer que si vous (les employeurs, ndlr) avez repéré un salarié en détresse et en difficulté avec l'alcool, il faut l'accompagner sur un chemin du soin et non pas attendre qu'il tombe.
Les proches d'une personne dépendante à l'alcool peuvent-ils l'aider et comment ?
Laurence Cottet : Il faut avoir une pensée bienveillante et de compassion pour les proches parce qu'ils souffrent énormément face à une personne alcoolique et sont souvent eux-mêmes en détresse. Ce que je leur dis c'est que, malheureusement, la personne alcoolique ne vous écoutera pas donc ne vous épuisez pas trop, ne culpabilisez pas de ne pouvoir rien faire, prenez de la distance et, s'il le faut, faites-vous également accompagner parce qu'il y a un phénomène de co-dépendance qui fait que vous pouvez aussi tomber dans la maladie par ricochet. Prenez contact avec des personnes malades rétablies et des groupes de paroles ouverts pour vous. comme aux Alcooliques Anonymes, et parlez-en au médecin traitant. Il peut avoir le mot qui fera du bien et soyez patient.
Comment avez-vous fait pour vous en sortir ?
Laurence Cottet : Alors que je voulais me suicider, je ne l'ai pas fait et je suis rentrée le lendemain (24 janvier 2009, ndlr) dans une église à 18h30. C'était l'église Saint-Pierre de Montrouge (Hauts-de-Seine).
"Une espèce de force est entrée en moi et j'ai voulu m'en sortir."
Là il s'est fait un déclic encore. J'ai communié, ça faisait très longtemps que je ne l'avais pas fait et quand je suis ressortie à 19 heures, est entrée en moi une espèce de force et j'ai voulu m'en sortir. Je suis rentrée chez moi, j'ai vidé toutes les bouteilles d'alcool, je me suis préparée un chocolat chaud sucré et j'ai retrouvé le goût du chocolat sucré, moi qui l'avais perdu depuis des années parce que l'alcool détruit vos cinq sens. Il a dû se passer quelque chose, je n'ai pas fait de delirium tremens, je n'ai pas fait de crise d'épilepsie, je me suis sevrée toute seule et 10 jours plus tard j'ai été prise en main par un médecin addictologue et là je me suis soignée. Il faut 6 mois pour que vous retrouviez le calme, la sérénité, pour que les vapeurs d'alcool s'évaporent de votre corps alors que ça faisait 15 ans que j'étais ivre morte tous les soirs. J'ai été accompagnée par le médecin et j'ai fait bien plus tard une lourde psychothérapie avec une femme psychiatre qui m'a aidée à soigner les souffrances profondes qui se cachaient derrière le masque alcool et d'autres drogues. Parce qu'il n'y avait pas que l'alcool. L'alcool était la substance psychoactive principale mais fallait y ajouter un peu de cocaïne et des psychotropes, beaucoup.
Quels ont été vos outils pour vous reconstruire ?
Laurence Cottet : Quand on a eu un burn out, quand on touche le fond, le puzzle de votre vie est éclaté donc il faut un psychiatre ou un psychologue pour vous aider à reconstituer un nouveau puzzle et pour remettre les petits morceaux. La reconstruction passe par la découverte d'une nouvelle personnalité et on redonne du sens à sa vie.
"J'ai changé de métier, j'ai changé de région, j'ai changé d'amis,"
J'ai changé de métier, j'ai changé de région, j'ai changé d'amis, j'ai un combat qui me passionne et ça prend du temps. Je m'occupe des animaux maltraités, je recueille les chiens perdus, je leur trouve un refuge, j'oublie tout dans ces cas-là. Cela fait partie de la reconstruction. Quand on a tout perdu, on se raccroche à des choses simples et quand on se sent utile à quelque chose, c'est la meilleure reconnaissance. La nature m'aide aussi, je marche énormément. Je fais aussi de la méditation. Ne pas avoir retrouvé un nouveau travail m'a donné le temps d'aboutir à une guérison parce que je n'ai pas peur de dire que je me sens guérie.
Depuis combien de temps êtes-vous sobre ?
Laurence Cottet : Depuis le 24 janvier 2009 à 19 heures (15 ans, ndlr).
Pensez-vous être guérie "pour toujours" ?
Laurence Cottet : Par rapport à l'alcool oui. Par rapport à la maladie qui se cachait derrière l'alcool, c'est-à-dire la dépression, je fais très attention. Je n'ai plus pour l'instant de protocoles médicamenteux, j'ai appris à savoir ce qui est bon pour moi et ce qui ne l'est pas. J'ai appris à repérer les personnes toxiques, à mettre la distance nécessaire pour se protéger et à la moindre alerte, s'il le faut, je reprends rendez-vous avec la psychiatre. Il ne faut pas avoir peur des souffrances, des maladies mentales qui touchent la femme, il faut les accepter, les soigner.
Vous avez écrit plusieurs livres sur votre parcours, dans quel but ?
Laurence Cottet : Les gens sont insuffisamment informés sur la maladie alcoolique. C'est le combat que je mène pour faire prendre conscience au 67 millions de Français que cette maladie existe, qu'elle peut frapper n'importe qui, qu'elle n'est pas honteuse, que l'on peut se soigner et s'en sortir. J'ai trouvé l'écriture comme support pour mener ce combat. J'ai connu une maladie qui m'a fait tout perdre et j'ai pris le temps de me soigner, de me reconstruire et je m'en suis sortie, c'est un parcours de résilience. J'ai donné un autre sens à ma vie qui est de me consacrer à ce combat et je n'ai jamais été aussi sereine et heureuse.
*mode de consommation qui consiste à boire de l'alcool ponctuellement mais le plus rapidement possible et en grandes quantités.
Propos recueillis le 3 décembre 2019.