Pourquoi est-il si difficile d'arrêter de fumer
Les femmes craignent particulièrement de ne pas pouvoir gérer leur stress et de prendre du poids. Les conseils de la tabacologue le Dr Anne-Laurence Le Faou.
[Mise à jour, 8/11/2018] Le Dr Anne-Laurence Le Faou est responsable du centre ambulatoire d'addictologie de l'hôpital Européen Georges Pompidou à Paris (HEGP). A l'occasion du mois sans tabac, nous l'avons interrogée sur les appréhensions des fumeurs qui tentent d'arrêter de fumer. Le problème, selon elle, c'est que "le tabagisme est considéré à tort comme un comportement social et non comme une addiction. C'est pourtant bien de cela dont il s'agit et cela explique qu'il soit difficile de s'en défaire."
37 % des Français fumeurs déclarent avoir rechuté après avoir vécu une période de stress important ; 15 % ne parvenaient pas à oublier la cigarette, ils avaient peur du manque ; 12 % se sont remis à fumer après s'être vus proposer une cigarette ; 10 %, car ils vivaient avec une personne fumeuse ; 9 % ont repris après une prise de poids et 3 % se sentaient isolés des fumeurs de leur entourage. (Source : enquête Ifop/Pfizer, menée auprès de 1103 fumeurs, du 5 au 10 avril 2017). |
La peur de prendre du poids. "Les principales difficultés rencontrées par les fumeurs qui entreprennent un sevrage tabagique sont à la fois physiques – par exemple effet de manque, prise de poids – et sociales, qui se manifestent par des difficultés à sortir, à se confronter à des situations de convivialité ou à être en présence d'autres fumeurs", commente le Dr Anne-Laurence Le Faou. Elle précise : "les hommes ont souvent peur de l'échec dans leurs tentatives. Quant aux femmes, c'est la peur de prendre du poids qui prévaut. D'ailleurs, elles reprennent plus souvent la cigarette à l'occasion d'une prise de poids." La petite prise de poids, lorsqu'elle a lieue, est en partie due au sevrage. De plus, certaines personnes ressentent des fringales Pour autant, ce n'est pas une fatalité, selon la tabacologue. Elle conseille ainsi de réfléchir à l'avance à ce que l'on peut prendre à la place des sucres rapides : des pommes par exemple. Mais aussi de suivre des conseils diététiques simples : manger équilibré (légumes, poissons et viandes maigres) et si possible s'abstenir de grignoter. Ces conseils peuvent être couplés si besoin à un traitement nicotinique. "Lorsque les personnes sont dépendantes physiquement du tabac, il est important de prendre des substituts nicotiniques pour diminuer la prise de poids." Enfin, précise encore le médecin, il ne s'agit en aucun cas de se livrer à un régime restrictif, qui amènerait trop de frustrations. Le sport peut d'ailleurs être une solution pour compenser de manière positive l'absence de cigarette. "D'autant plus, précise le médecin, que même en le pratiquant de manière modérée, il aide à gérer le stress, c'est donc très positif." Les techniques de gestion du stress, telles que la sophrologie ou la relaxation sont également utiles.
La e-cigarette, la solution ? "La vapeur produite par la cigarette électronique contient bien moins de produits toxiques que la fumée de tabac et cela a bien été mesuré et publié. En termes de santé publique, il va de soi que le danger est moindre. J'observe en pratique que les personnes qui tirent sur leur e-cigarette cherchent à reproduire les sensations du tabac fumé. Bien souvent, cela ne suffit pas à les faire arrêter mais c'est une première étape." Dr Le Faou. |
Il faut en moyenne trois tentatives pour arrêter de fumer. Aussi, en cas de rechutes, il ne faut pas se démotiver. Il faut encourager la personne à réessayer rapidement d'arrêter de fumer pour réduire sa durée d'exposition au tabac et donc le risque lié à sa consommation. "Le but de la prise en charge est d'aider le fumeur à arrêter de la façon la plus confortable possible. Malgré certaines rechutes souvent inévitables, la personne va apprendre de ses précédentes tentatives d'arrêt ; s'il y a rechute, elle sera apte à se prendre en charge puis à recourir à un professionnel de santé rapidement si nécessaire. En France, les données de consultations de tabacologie montrent ainsi une augmentation du taux de sevrage à chaque consultation supplémentaire", avance la tabacologue. A noter que les consultations tabacologiques sont particulièrement utiles aux personnes très dépendantes, qui ont beaucoup d'antécédents d'échecs. Elles reposent en effet sur une aide personnalisée afin de répondre aux besoins spécifiques en termes de dépendance, de troubles associés (anxiété, dépressifs, etc.) ou encore d'alimentation. Les personnes moins dépendantes peuvent s'adresser quant à elles à leur médecin traitant.
S'arrêter du jour au lendemain ou progressivement ? Certains fumeurs accro à leur cigarette/café après le déjeuner, tentent d'arrêter progressivement, en éliminant tout d'abord les cigarettes non indispensables. "Cette idée selon laquelle, fumer peu est moins grave, est bien ancrée chez les fumeurs. Mais ce n'est pas juste car c'est la durée d'exposition qui compte. De plus, les fumeurs tirent encore plus sur leur cigarette et absorbent davantage de produits toxiques. Aussi, le fait de ne fumer "que" 3 cigarettes par jour pendant plusieurs années reste très dangereux." C'est aussi moins efficace : selon une étude de 2014, menée pendant 3 ans sur plus de 28 000 fumeurs reçus en consultation de tabacologie, moins de 5 % des fumeurs ont arrêté progressivement tandis que 49 % ont arrêté de fumer sans réduction préalable.
Mieux informer les fumeurs, en particulier les femmes. Si on associe aisément tabac et cancer du poumon, on connait moins les autres risques, tout aussi sévères, associés au tabagisme. "Les Français ne connaissent pas suffisamment les méfaits du tabac et doutent toujours des conséquences du tabagisme sur la santé physique et mentale, pourtant documentées scientifiquement. Par exemple, le lien entre le tabagisme et le cancer de la vessie, le cancer du sein ou le diabète sont méconnus." Quant aux femmes, elles demeurent sous informées des risques, en particulier liés au cocktail contraception et tabagisme. De même que les risques cardiovasculaires liés au tabac sont sous-estimés chez les femmes. À titre d'exemple, la progression du nombre d'hospitalisations pour un infarctus chez les femmes de 45 à 54 ans est passée de +3% par an entre 2002 et 2008 à +4,8% par an entre 2009 et 2013. "La cause de l'infarctus chez la femme de moins de 50 ans est le tabac dans 80% des cas, appuie le médecin. C'est une information importante mais que l'on méconnaît. De plus, les nouveaux cas de cancers du poumon chez les femmes augmentent et vont dépasser les nouveaux cas de cancer du sein !"
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