La Cour des Comptes sévère avec l'Etat sur l'alcool
La Cour des Comptes pointe de nombreuses failles dans les politiques de lutte contre l'alcool en France. Et énonce des propositions. Voici ce qu'il faut retenir.
"Cet héritage social et culturel, renforcé par des enjeux économiques, induit une tolérance générale vis-à-vis de la consommation d'alcool qui explique, pour une large part, la difficulté à définir et à mettre en œuvre dans la durée une politique intégrée de santé et de sécurité", souligne en préambule la Cour des Comptes, qui vient de publier un rapport sévère sur les politiques de lutte contre les consommations nocives d'alcool. Au terme de son enquête, elle appelle à une prise de conscience collective et propose une série d'actions.
Baisse régulière de la consommation, mais...
En France, la part des décès attribuables à l'alcool est de 13% pour les hommes et de 5% pour les femmes. Soit un total de 49 000 décès chaque année liés à trois principales pathologies : cirrhoses alcooliques, cancers des voies aérodigestives, maladies mentales liées à l'alcool. Les consommations nocives d'alcool sont aussi responsables, chaque année, de 25 à 30% des accidents mortels et de 30% des morts violentes au sein des couples, souligne la Cour.
Comment évolue cette consommation ? Depuis les années 1960, on constate une baisse régulière de la consommation d'alcool en France (près de 12 litres d'alcool pur par an et par habitant en 2014 selon l'Office français des drogues et toxicomanies). Néanmoins, elle demeure près de 30% supérieure à la moyenne européenne (pays membre de l'OCDE). Pour autant, si cette diminution est essentiellement due à la baisse de la consommation de vin, on constate dans le même temps une évolution à la hausse des alcoolisations ponctuelles importantes et des ivresses répétées et régulières. Le "binge drinking" touche particulièrement les jeunes et les femmes.
Effets sanitaires (et coûts) mal évalués
Étonnamment, les effets des consommations nocives d'alcool ne sont encore que partiellement évalués. Ainsi, les repères de consommation (quatre pour les hommes, trois pour les femmes) véhiculés depuis plusieurs années, ne seraient pas pertinents. En outre, si de nombreux pays ont révisé leurs recommandations à la baisse, ce n'est pas le cas de la France. Ce manque de consensus est d'autant plus déplorable qu'il est décisif pour cibler les messages de prévention, juge la Cour. Par ailleurs, l'un des leviers qui pourraient aboutir à une action serait de connaître les coûts sanitaires et sociaux des consommations nocives. Même constat : contrairement à d'autres pays, ils sont également mal évalués en France.
Une action publique à la peine
Côté politique de santé publique, le constat est sans appel. "Les acteurs publics sont en position de faiblesse face au secteur des boissons alcoolisées, très présent auprès des institutions européennes et nationales", souligne la Cour des Comptes. Elle rappelle que "le poids économique du secteur des boissons alcoolisées (22 milliards d'euros de chiffre d'affaires, 555 000 emplois directs et indirects) est particulièrement notable en France".
Conséquence : pas de plan global de lutte contre l'alcool, pas de feuille de route qui engagerait les pouvoirs publics. Et surtout le rapport montre que l'Etat n'agit pas suffisamment sur les leviers disponibles. Ainsi, la réglementation est parfois inefficace. Par exemple, la vente à emporter, particulièrement celle effectuée dans les épiceries de nuit, ainsi que les ventes aux mineurs, échappent aux contrôles. La loi Evin, mise en place en 1991 pour encadrer la publicité sur l'alcool et interdire sa vente aux moins de 16 ans, est régulièrement mise à mal. La Cour relève encore que "les actions de lobby en faveur de l'alcool ne font pas l'objet d'un encadrement suffisant en France" et que "les règles qui s'imposent aujourd'hui aux seuls parlementaires mériteraient d'être étendues et renforcées."
Peu de prévention
Globalement, à part les campagnes de l'Inpes - malgré une diminution des moyens - les actions à l'éducation, par exemple en milieu scolaire ou professionnel, sont insuffisantes. La MILDECA chargée d'élaborer et de mettre en œuvre le plan de lutte contre les drogues et les conduites addictives 2013-2017, n'a même pas de programme spécifique pour l'alcool, contrairement au tabac. Par ailleurs, les patients présentant des consommations excessives ou des pathologies liées à l'alcool pâtissent d'une prise en charge souvent inadaptée (manque d'articulation entre spécialités par exemple).
Quelles recommandations ?
La Cour des Comptes recommande d'élaborer un programme de réduction des consommations nocives d'alcool, basée sur un chiffrage scientifique précis des coûts sanitaires et socio-économiques des consommations nocives d'alcool. Il est "essentiel de conduire des actions spécifiques, en particulier vis-à-vis des jeunes, des femmes enceintes et des populations frappées par la précarité ou dans des environnements spécifiques", précise la Cour des Comptes. Autre recommandation : renforcer la réglementation sur la publicité, qui est un facteur majeur de consommation chez les jeunes. Mais aussi encadrer davantage l'information sur les produits alcoolisés et le lobbying des milieux économiques. Et encore d'augmenter "la fiscalité sur les boissons alcoolisées pour diminuer les consommations à risque". Enfin, la formation des professionnels de santé et la prise en charge et l'orientation des patients alcooliques doivent être améliorées.
En savoir plus : le rapport de la Cour des Comptes "Les politiques de lutte contre les consommations nocives d'alcool"