Témoignage : "Avoir un AVC à 33 ans m'a fait voir la vie différemment"
Le 17 novembre 2018, la vie de Margot bascule. A 33 ans, elle fait un AVC chez elle alors qu'elle doit s'occuper de son petit garçon. Optimiste et combattante, elle a dû réapprendre à vivre après cet accident et lutter contre ses nombreuses séquelles. Elle se livre, sans filtre ni tabou, au Journal des Femmes.
A seulement 33 ans, Margot est victime d'un accident vasculaire cérébral (AVC), un accident brutal et violent qui chamboule sa vie du jour au lendemain. Pendant 6 mois, la jeune femme est hospitalisée dans un centre de rééducation et doit réapprendre à marcher, à monter des escaliers, à écrire à la main et à parler. Professeur d'arts plastiques et maman d'un petit garçon de 2 ans et demi, elle revient sur son accident, son quotidien, ses séquelles et les difficultés qu'elle a dû surmonter dans un témoignage poignant. Un joli message d'espoir. Rencontre.
Le Journal des Femmes : Racontez-nous le jour de votre AVC...
Margot : C'était un samedi matin, le 17 novembre 2018. J'étais très fatiguée, j'avais eu une très grosse journée la veille et je n'avais dormi que quelques heures. Je suis descendue prendre le petit-déjeuner avec mon fils et mon conjoint. Comme je ne me sentais pas bien du tout, je suis allée me recoucher. Lorsque je me suis réveillée, ça n'allait toujours pas mieux et je me sentais de plus en plus mal. Je me suis assise sur le sol de la salle de bains, à côté de la baignoire dans laquelle se trouvait mon copain et à côté de mon bébé qui lui jetait des jouets dessus. Je ne parvenais déjà quasiment plus à parler. Pour ne pas les inquiéter, je répondais que par "oui", par "non" et par des onomatopées. Mon conjoint est parti travailler, je suis allée recoucher mon enfant pour la sieste du matin. Je suis descendue fumer une cigarette sur mon perron. J'ai croisé mon voisin qui m'a dit que j'avais une mine épouvantable et de sonner si ça n'allait pas.
"Je faisais un malaise inhabituel et je devais agir."
En remontant dans mon salon, je sentais bien qu'il y avait quelque chose d'anormal, que je faisais un malaise inhabituel et qu'il fallait agir. Je me suis dit que je ne pouvais pas appeler les secours en étant encore en pyjama. Alors, je suis allée me laver, j'ai fait un shampoing, j'ai rasé mes jambes en me disant "Si tu vas aux urgences, tu vas y être pour des heures alors autant être nickel ! Je ne voulais pas être la crado de service !" Avant de contacter le Samu, j'ai voulu appeler mon copain pour qu'il vienne s'occuper de notre fils. Et là, trou noir : impossible de me rappeler dans quel service mon copain travaillait, ni le numéro de téléphone de son boulot. J'ai voulu appeler le standard, mais pas de chance, il ne fonctionnait pas ce jour-là. J'ai réussi à retrouver le numéro d'un autre service et je suis tombée sur un de ses collègues que j'ai reconnu et grâce à qui j'ai pu joindre mon compagnon.
"En voyant la manière dont je parlais, mon père a tout de suite appelé le Samu."
Mon copain est immédiatement rentré. Entre temps, j'ai appelé mes parents qui sont pharmaciens de profession. En voyant la manière dont je parlais, mon père a tout de suite appelé le Samu et est arrivé dans le quart d'heure qui a suivi. A l'arrivée des secours, mon père a insisté pour que je passe une IRM. J'ai été emmenée aux urgences qui ont compris que je faisais un AVC. J'ai passé une IRM et j'ai été hospitalisée en soins intensifs pendant 3 jours, en surveillance continue, puis dans le service neuromusculaire (faute de place en neurologie) pendant 2 semaines. Ma chance a été d'avoir été hospitalisée dans une des UNV (Unité de Neuro-Vasculaire) les plus performantes de France où on m'a fait passer toute une batterie d'examens pour savoir ce qui avait bien pu déclencher un AVC à seulement 33 ans.
"Je savais pertinemment que je faisais un AVC car j'avais tous les signes."
Comment avez-vous su que vous faisiez un AVC ?
Margot : Mon frère a fait un AVC il y a 10 ans. Ma grand-mère en a également fait un il y a aussi une dizaine années. Je connaissais les symptômes d'un AVC. Et puis, lorsque j'ai enseigné en Essonne, j'étais formatrice premiers secours et j'avais appris ces signes d'alerte en formation. Je savais donc pertinemment que je faisais un AVC car j'avais tous les signes : la fatigue brutale, les maux de tête violents, des paroles incohérentes, une faiblesse sur le côté droit. Mais je n'ai pas été si inquiète que ça. Ce qui est marrant, c'est que lorsque le neurologue m'a dit que j'avais fait un AVC ischémique, je lui ai répondu "Ah ce n'est que ça ? Ouf, je ne suis pas morte, c'est cool !" Il a bien sûr été estomaqué par ma réaction et a cru que c'était l'aphasie (troubles du langage) qui parlait à ma place !
Savez-vous pourquoi vous avez fait un AVC ?
Margot : Oui et c'est d'ailleurs un pur hasard statistique ! La cause de mon AVC correspond à une anomalie congénitale que 35% de la population mondiale a : un foramen ovale perméable (FOP). Il s'agit d'une anomalie du cœur qui se caractérise par une petite cloison du ventricule qui ne s'est pas fermée à la naissance et qui entraîne une communication anormale entre les deux oreillettes. La plupart des personnes qui ont ça vivent tout à fait normalement, mais chez certaines d'entre elles, cela peut déclencher des AVC lorsqu'un caillot passe par ce trou et remonte au cerveau. C'est vraiment un hasard car ma sœur jumelle ne présente absolument pas cette anomalie par exemple ! En revanche, ce que ce que mon frère a eu est beaucoup plus grave. Il avait une malformation artério-veineuse cérébrale : cela signifie qu'il avait une pelote de vaisseaux sanguins grosse comme un abricot à l'arrière de sa tête, ce qui a provoqué une rupture d'anévrisme. Et lorsqu'il a été opéré de sa rupture d'anévrisme, il a fait un AVC qui l'a rendu hémiplégique.
En regardant mon IRM, un de mes MPR (Médecin de Réadaptation Physique) a dit que j'avais fait un petit AVC, qui pourrait même être considéré comme un micro AVC. Mais le problème est qu'il a tapé pile au mauvais endroit : une zone à l'arrière du cerveau qui commande la parole et la compréhension. La tache noire présente sur mon IRM cérébrale est toute petite comparée à d'autres patients, mais elle a abîmé un endroit très important pour la parole. Et ça, les médecins ne comprennent pas pourquoi. Et on pense souvent à tort que les AVC ne concernent que les personnes âgées. Or, non, les AVC touchent 150 000 personnes en France chaque année, des jeunes, des vieux, des femmes, des hommes... Les maladies cardiovasculaires (avec l'infarctus et l'AVC sur le podium) sont d'ailleurs la première cause de mortalité féminine avant le cancer du sein.
Quelles sont vos séquelles ?
Margot : Au début, je ne pouvais plus marcher car j'avais une hémiparésie. J'avais tout le côté droit de mon corps qui était faible et qui ne parvenait plus à me supporter. J'ai passé trois mois dans un fauteuil roulant car il a fallu que j'apprenne à remobiliser mes muscles et à recommander les muscles responsables du mouvement. J'ai ensuite réappris à marcher car il était hors de question que je passe le reste de ma vie dans un fauteuil. Aujourd'hui, je marche, je ne peux juste pas piétiner. J'ai d'autres séquelles sur le côté droit : des douleurs neuropathiques au niveau de mon pied droit qui me brûle en permanence. J'ai l'impression d'avoir mon pied dans un étau percé par des aiguilles avec des flambées permanentes. J'ai commencé un nouveau protocole de traitement car je souffre tellement par moment que je n'arrive presque plus à marcher correctement. Il s'agit de patchs au piment qui ont pour but de contrôler mes récepteurs sensoriels. Grâce à ça, mon corps réagit différemment à la douleur.
"Je suis ultra fatiguée."
Je suis suivie deux fois par semaine par deux docteurs en qui j'ai une totale et absolue confiance. Dès qu'ils veulent me faire tester de nouveaux traitements ou un nouveau protocole : je fonce ! On peut dire que je joue souvent leur cobaye. Et je me dis que même si ça n'a pas d'efficacité sur moi, ça pourra aider d'autres personnes... Sinon, je suis ultra fatiguée. Tous les après-midis, je suis obligée de dormir trois heures pour pouvoir tenir le coup quand je récupère mon fils chez la nounou. Tout ce qui est source de stress - comme l'administratif par exemple - m'épuise. C'est moi qui fait mes papiers car je ne veux plus que mon copain le fasse, mais ça me rend malade. En France, on dirait que tout est fait pour nous compliquer la vie !
Mes séquelles sont essentiellement cognitives. J'ai des troubles de la parole que l''on appelle une aphasie (chez moi modérée) avec aggramatisme et dysyntaxie. Pour moi, la conjugaison et la grammaire n'existent plus. Alors, je fais des fautes de syntaxe, je confonds les temps, je me trompe sur les genres des mots, j'oublie des mots de liaison. Puis, j'ai une apraxie bucco faciale combinée à de la dysarthrie : je bégaie et je n'arrive plus à dire certains mots, certains sons parce que mon cerveau ne peut pas commander les muscles qui utilisent ma bouche et ma langue. A cause de mon aphasie, je n'arrive plus à lire un livre. Dès que je commence un lire une phrase, tout se mélange dans ma tête et je ne comprends plus ce que je lis. Je ne peux plus écrire à la main. La seule chose que j'arrive à faire, c'est dessiner mes petites BD sur mon blog et sur mon compte Instagram. Mais je mets plusieurs jours avant d'être capable de poster quelque chose. Tout le monde pense que c'est mon compagnon, graphiste de formation, qui m'écrit les textes ou qui fait les dessins, or non, je fais tout toute seule. C'est d'ailleurs un mystère pour les neurologues car ils n'ont jamais vu un cas comme le mien. Je souffre aussi d'une hypersensibilité au bruit (donc je porte très souvent des bouchons d'oreilles), aux odeurs et à la lumière (je me protège en portant mes lunettes de soleil, même défois dans les magasins) et par moment j'ai des crises de dystonie dans ma main droite, qui se crispe d'un coup et reste bloquée.
Lorsque j'ai compris que ma parole était atteinte, j'ai refusé de me taire donc j'ai énormément parlé. Même la nuit, je regardais les documentaires Arte sur l'histoire de l'art et je les commentais à voix haute. J'ai continué à écrire des textos, même quand j'étais au plus mal pour tenir ma famille informée. Parfois, les textos étaient complètement incohérents, mais je me suis forcée à écrire et à parler pour commencer ma rééducation le plus tôt possible. Je ne suis rentrée à la maison seulement quand j'étais capable de monter les escaliers avec un poids de 15 kg dans les bras. Ça a été mon objectif de rééducation et ma priorité ! Puis j'ai enchaîné avec 6 mois d'hôpital de jour quotidiennement pour continuer les soins dispensés en centre de rééducation (orthophonie (le plus important à mes yeux !), kinésithérapie, balnéothérapie, neuropsychologie, psychomotricité, ergothérapie).
"Je suis persuadée que je vais refaire un AVC un jour."
Est-ce vous avez des risques de refaire un jour un autre AVC ?
Margot : Il y a des risques que je refasse un AVC, mais ils sont minimes, voire proches de zéro en fait. J'ignore pourquoi, mais je suis persuadée d'en refaire un, un jour. Je suis quelqu'un d'hyper stressée et je sais que le stress favorise la survenue d'un AVC. La veille de mon premier AVC, j'ai eu un pic de stress énorme au travail. Je suis prof d'arts plastiques et j'ai littéralement "poussé une gueulante" sur deux de mes élèves qui avaient tenu des propos homophobes, comme ça m'arrive très rarement. Je suis persuadée au fond de moi que oui, le FOP est la cause de mon AVC, mais que le caillot s'est également formé à cause de mon stress. Aujourd'hui, j'ai une prothèse dans le cœur, mon FOP est fermé et il n'y a plus aucune raison que ça arrive, mais moi, je suis convaincue de l'inverse.
"Toute ma vie a été chamboulée !"
Est-ce que vous travaillez toujours ?
Margot : Non, je ne peux plus travailler actuellement. Je suis en congé longue maladie depuis un an et on y a le droit jusqu'à 3 ans. Je parle avec difficulté alors faire cours à une classe de 30 élèves, c'est complètement impensable ! Je ne peux pas hausser le ton et je supporte difficilement le bruit. Au bout de ces 3 ans, soit je suis capable de reprendre mon travail, ce qui me paraît actuellement impossible, soit je suis reclassée dans une autre fonction, soit je suis mise en invalidité et je ne serai donc plus fonctionnaire. Toutes ces démarches-là, c'est quand même un sacré truc à gérer ! Un jour, une dame m'a dit en rigolant "Ben quoi, vous ne voulez pas être à la retraite à 30 ans" ? Eh bien non, ce n'est pas dans mon chemin de vie... Toute ma vie a été chamboulée en fait. J'étais prof d'arts plastiques depuis 10 ans. J'ai eu le CAPES du premier coup à 21 ans. Enseigner les arts plastiques et l'Histoire de l'Art était mon rêve de gosse. Pile au moment où j'étais la plus épanouie - je venais de m'installer avec mon compagnon et d'avoir un enfant - j'ai eu mon AVC. Mais c'est la vie !
Les symptômes d'un AVC
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Comment gérez-vous votre vie de maman ?
Margot : J'ai un bébé de 2 ans et demi. Quand j'ai eu mon AVC, il avait 14 mois et j'ai été hospitalisée cinq mois. Je ne le voyais que le weekend et certains mercredis après-midi. Il est devenu la mascotte du centre de rééducation ! Les autres patients étaient super contents de voir un jeune enfant vadrouiller un peu partout dans le centre. Bien sûr, il ne comprenait pas ce qu'il s'est passé, même si je lui ai expliqué que "maman était malade et qu'elle était à l'hôpital". Je l'avais en Facetime tous les soirs pour maintenir un lien mère/fils le plus fort possible. J'ai eu peur qu'il présente des troubles du développement à cause de moi. Mais il se trouve que là où j'ai été hospitalisée,, il y avait un pédo-psychiatre très réputé, lui aussi hospitalisé, qui n'a jamais décelé de problèmes chez lui quand il le voyait jouer dans la salle commune. Je me dis que mon fils est entouré et qu'il n'a pas été abandonné. Il est souriant, il va chez la nounou, il a ses copains, il n'y a aucune raison qu'il ait des troubles du développement. Il ne se rend même plus compte que je parle mal. Par contre, il y a des choses que je ne peux pas faire avec lui, comme lire des histoires avant de dormir, à part des petits livres où il n'y a qu'une phrase par page, courir, sauter ou chanter. J'ai réappris seulement deux chansons pour lui faire plaisir, mais au prix d'un effort incommensurable. Mon fils est fan de Bohemian Rhapsody de Queen et c'est loin d'être la chanson la plus facile à apprendre (rires). C'est la seule chanson qui arrive à le calmer. Et puis, il y a la chanson des crocodiles qui est abominable pour la diction !
Et comment ça se passe avec votre conjoint ?
Margot : Mon conjoint est devenu ce que l'on appelle un aidant. On en parle peu mais l'aidant a un rôle essentiel dans la prise en charge de l'AVC. Du jour au lendemain, il a dû s'occuper seul (avec l'aide de ma maman et de ma belle-mère quand même !) de notre enfant, gérer tout l'administratif, la nounou, la tenue de la maison... Il a découvert ce que ça voulait dire "la charge mentale" ! Et puis, il a dû s'occuper de moi : faire mes papiers, gérer mon travail, ma mutuelle, les aides. Mais c'est surtout un pilier psychologique formidable qui a dû se retrouver à 35 ans à gérer une personne handicapée tout en mettant de côté ses propres peurs et en continuant à travailler.
Pourquoi avez-vous lancé votre blog ?
"L'AVC est une maladie qui isole."
Margot : Mon compte Instagram s'appelle "Mon petit AVC". Je l'ai créé au début pour mon fils, pour qu'il comprenne plus tard ce qu'il m'était arrivé. Et puis finalement, la page a eu du succès, elle a été relayée par d'autres comptes Instagram, des médecins, des étudiants en orthophonie notamment et une vraie communauté s'est créée autour. C'est génial car l'AVC est une maladie qui isole. Plein de personnes m'écrivent tous les jours pour me faire part de leurs histoires, de leurs souffrances, de leurs doutes et me demandent des conseils, ce qui est compliqué pour moi car je ne suis pas médecin. Je ne peux que leur répondre avec mon cœur, mais pas de manière scientifique. J'aimerais d'ailleurs mettre à profit tous ces échanges de conseils, toutes ces conversations en devenant Patient Expert pour l'AVC et l'aphasie, mais d'après mes recherches actuelles, cela ne se fait pas encore en France.
Vous semblez prendre tout ça avec une grande philosophie et beaucoup de positivité...
Margot : Je suis extrêmement bien entourée, j'ai mon conjoint, mon bébé, mes parents, mes frères et sœurs, mes amis d'avant l'AVC et aussi tous ceux que j'ai rencontré en rééducation, mais aussi mon orthophoniste et mes deux médecins du CHU (je les mets sur un piédestal tellement ils me sauvent la vie, je leur dis qu'ils sont mes "demi dieux"). Tout le monde est bienveillant avec moi. Alors non, je n'ai pas du tout envie de me laisser abattre. J'ai survécu, donc c'est cool. Le seul truc qui me chagrine, c'est qu'on m'avait dit que mes troubles du langage allaient disparaître au bout de quelques semaines. Or, ça fait maintenant 14 mois et je vois que mes progrès sont très, très lents. A part ça, je me sens très heureuse car l'AVC m'a fait voir la vie différemment.