Traquer le cancer avec une prise de sang en 3 questions / réponses
Mieux dépister, optimiser les choix thérapeutiques, anticiper les rechutes… La détection dans le sang de biomarqueurs issus de tumeurs ouvre des perspectives intéressantes. Lesquelles ? Les réponses du Pr François-Clément Bidard, médecin chercheur à l'Institut Curie.
A l'occasion de la campagne nationale de mobilisation contre le cancer "Une jonquille pour Curie", faisons le point avec le Pr François-Clément Bidard (médecin chercheur en oncologie médicale) sur les biomarqueurs circulants qui sont en passe de révolutionner la prise en charge des cancers, du dépistage au risque de récidive, en passant par les choix thérapeutiques…
Peut-on détecter des cellules cancéreuses par prise de sang ?
Cellules tumorales circulantes et ADN tumoral circulant, ces deux biomarqueurs tumoraux peuvent être détectés par prise de sang et analysés. Ils renseignent sur la nature du cancer, la progression tumorale ou encore la réponse au traitement. Toutefois, cette démarche a ses limites. En particulier, les cellules tumorales circulantes étant très rares, les isoler parmi plusieurs millions de cellules normales est loin d'être simple. De même, l'ADN circulant est noyé parmi des millions de fragments d'ADN sain, ce qui rend sa détection compliquée. En somme, c'est un peu comme rechercher une aiguille dans une botte de foin. Mais la recherche s'y intéresse. "De nombreuses études sont en cours à travers le monde pour améliorer la sensibilité des techniques de détection et d'analyse", nous précise le Pr Bidard.
|
Que sont les biopsies liquides ?
Il s'agit de prises de sang réalisées sur des patients. Elles permettent de détecter l'ADN tumoral circulant (fragments d'ADN issus de cellules tumorales qui meurent) et aident à mieux comprendre l'évolution de la tumeur. Concrètement, cela peut orienter la prise en charge vers un traitement ou un autre. Ces biopsies liquides sont déjà utilisées à l'hôpital, mais leur application reste aujourd'hui restreinte aux cancers du poumon avec métastases. Son principal intérêt, c'est que la biopsie liquide peut compléter, voire se substituer aux biopsies classiques. "Il y a un vrai intérêt pour les patients car la biopsie est compliquée et invasive. La biopsie liquide, implique une simple prise de sang. Elle ne nécessite pas d'hospitalisation, elle est moins douloureuse et moins coûteuse." Concrètement, lorsqu'une biopsie classique est trop difficile à réaliser chez un patient atteint d'un cancer du poumon, on effectue une biopsie liquide. Cela permet de guider le traitement, par exemple proposer au malade une thérapie ciblée.
La biopsie liquide présente d'autres applications prometteuses, encore au stade de la recherche. D'abord, le suivi des patients en cours de traitement. "Les biopsies liquides nous permettant de mesurer l'efficacité du traitement, on peut imaginer à terme pouvoir s'en servir pour surveiller précocement l'efficacité d'un traitement et si besoin l'adapter rapidement". Autre application : repérer les cas où les tumeurs sont résistantes aux traitements et ainsi pouvoir aménager le traitement. Pour résumer, les biomarqueurs tumoraux circulants offrent ainsi la possibilité de préciser le pronostic d'un cancer ou de déceler rapidement une résistance à un traitement. Une étude clinique "PADA-1", coordonnée par le Pr Bidard à l'Institut Curie et menée sur plus de 800 patientes atteintes d'un cancer du sein, vise à adapter le traitement d'hormonothérapie des cancers du sein métastatiques en fonction des mutations de résistance apparaissant dans le sang.
Dépister un cancer par prise de sang : est-ce réaliste ?
Détecter précocement les cellules tumorales circulantes qui se détachent de la tumeur pour gagner la circulation sanguine, avant qu'elles ne forment des métastases, ouvre des espoirs immenses. En somme, il s'agirait de traquer le cancer avant même qu'il ne s'installe dans l'organisme. Mais pour l'heure, affirme d'emblée le Pr Bidard, "parler de dépistage des cancers est inenvisageable et prématuré". En revanche, détecter des cellules tumorales circulantes dans le sang a un intérêt biologique évident, à savoir celui de renseigner sur le mécanisme de dissémination du cancer. Autrement dit, plus on trouve de cellules, plus on sait que la maladie évolue et que le cancer est agressif. Mais, toute la question est de savoir ce que l'on fait de cette information. "Pour le moment, on n'a pas de preuve quant à son utilité pour la prise en charge des patients. On en est au stade où on ne sait pas quoi faire de cette information et comment adapter les traitements en fonction du résultat de la prise de sang." Quant à l'ADN tumoral, on arrive à le détecter précocement, confirme le Pr Bidard, mais seulement sur 50 % à 70 % des patients avec un cancer non métastatique. Il reste donc de nombreuses questions à élucider avant d'imaginer utiliser la biopsie liquide en routine.