Appel de 100 scientifiques contre les lobbies pro perturbateurs endocriniens
Ils dénoncent dans une tribune du Monde la manipulation des industriels qui déforment délibérément les preuves scientifiques pour empêcher les réglementations européennes sur les perturbateurs endocriniens.
La Commission Européenne s'apprête à se prononcer sur la réglementation des perturbateurs endocriniens, ces composés chimiques qui altèrent l'efficacité de nos hormones naturelles.
Rappelons que les perturbateurs endocriniens (bisphénol A, phtalates, parabènes, pesticides) se retrouvent dans de nombreux objets du quotidien tels que les plastiques, les cosmétiques ou encore les produits d'hygiène.
À l'heure actuelle, les études scientifiques démontrent l'action des perturbateurs endocriniens sur le système reproducteur avec une détérioration de la qualité du sperme menant à des problèmes de stérilité. Ils favorisent également les accouchements prématurés, les malformations génitales ainsi que les retards de développement fœtal. Mais aussi les pubertés précoces, les cas de diabète et de cancers hormonodépendants (cancer du sein, du testicule, de la prostate et de l'ovaire). Par ailleurs, une des interrogations majeures est celle de leur impact lorsque les perturbateurs endocriniens s'additionnent : c'est ce que les spécialistes appellent l'effet cocktail.
Mais la Commission européenne semble nier cette réalité. Dans une tribune publiée dans Le Monde, ce 29 novembre, une centaine de scientifiques appellent à prendre des mesures urgentes pour prévenir les dangers des perturbateurs endocriniens pour l'homme et pour l'environnement. La tribune, intitulée "Halte à la manipulation de la science", dénonce ainsi le rôle joué par les industriels pour "déformer" les preuves scientifiques.
"Les perturbateurs endocriniens et leurs effets nocifs devraient être traités comme tout autre produit chimique préoccupant pour la santé humaine ou l'environnement" : selon le quotidien, la Commission européenne aurait prévu de s'appuyer sur cette simple phrase issue de la conclusion d'un avis de 2013 de l'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) pour réglementer les perturbateurs endocriniens. Autrement dit, la réglementation ne devrait pas être sévère…
"Après les climato-sceptiques qui contestaient les preuves scientifiques de l'origine humaine dans le réchauffement climatique, ces produits chimiques sont aujourd'hui la cible des "marchands de doute", écrivent-ils dans les colonnes du Monde. Ils déplorent l'inaction de la Commission européenne dans ce dossier. Bien que "de nombreux pays aient manifesté leur inquiétude à l'égard de ces produits chimiques, aucun n'a instauré de réglementation qui les encadrerait globalement."
"Jamais l'humanité n'a été confrontée à un fardeau aussi important de maladies en lien avec le système hormonal : cancers du sein, du testicule, de l'ovaire ou de la prostate, troubles du développement du cerveau, diabète, obésité, non-descente des testicules à la naissance, malformations du pénis et détérioration de la qualité spermatique", rappellent encore les scientifiques qui signent la pétition.
Que fait la France ? André Cicolella (Réseau environnement santé) a vivement réagi via un communiqué de presse. "Nous demandons aux candidats à la présidentielle de s'engager sur le principe d'une telle loi et sur les objectifs définis par l'Organisation Mondiale de la Santé de réduction de 25 % d'ici 2025 de la mortalité pour les 4 grandes causes de mortalité par maladies chroniques (maladies cardio-vasculaires, cancers, maladies respiratoires chroniques, diabète) dont les perturbateurs endocriniens sont une cause majeure."
Rappelons que le gouvernement français a adopté en avril 2014 une stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens, visant à "prévenir les risques et limiter l'exposition, en particulier celle des populations sensibles, femmes enceintes et jeunes enfants."
Il s'agit notamment de renforcer la recherche scientifique sur les perturbateurs endocriniens, d'améliorer la surveillance et l'expertise sur ces substances, mais aussi de mettre en place des réglementations plus strictes, des substitutions par d'autres composés et des larges campagnes d'informations et de formation des professionnels. C'est par exemple dans le cadre de ce plan national que l'usage du bisphénol A a été interdit dans les contenants alimentaires et les tickets de caisse en janvier 2015. Mais le problème c'est que l'on s'attaque aux plastiques alimentaires sans avoir suffisamment de recul sur les produits de substitution que l'on met à la place. Sont-ils réellement moins nocifs ? Enfin, au-delà du bisphénol A, d'autres perturbateurs endocriniens demeurent également préoccupants, notamment les pesticides et les herbicides. Le combat est loin d'être gagné.