"Il faut à tout prix éviter que les malades Ebola se terrent chez eux"
Alors que l'épidémie d'Ébola n'est toujours pas endiguée en Guinée, on enregistre néanmoins les premiers cas de guérison. Comment travaillent les équipes sur place ? A quelles difficultés sont-elles confrontées ? Pourquoi Ébola terrorise autant ? Brigitte Vasset, la directrice médicale adjointe de Médecins sans frontières répond à nos questions.
Ébola : un nom qui effraie. Alors que la France a renforcé ses mesures préventives, l'OMS s'inquiète de sa propagation inédite. "Il s'agit de l'une des épidémies les plus effrayantes à laquelle nous avons été confrontés, a déclaré Keiji Fukuda, le vice-directeur de l'OMS, mardi 8 avril. Cette partie de l'Afrique de l'Ouest n'a jamais connu Ébola auparavant". C'est en effet la première fois depuis l'apparition du virus il y a 40 ans, qu'il sort de sa zone habituelle de contamination.
Brigitte Vasset, directrice médicale adjointe de MSF, jointe par Le Journal des Femmes, décrit les moyens humains et matériels mis en place en Guinée, ainsi que les difficultés rencontrées avec les populations locales.
"Ébola fait peur, mais c'est une épidémie qui, pour le moment, fait beaucoup moins de cas que d'autres épidémies Ébola auxquelles on a déjà été confronté par le passé. Et comparativement au paludisme, ça n'a rien à voir. En revanche, ce qui est nouveau cette fois-ci c'est cette dispersion géographique qui fait que le virus apparaît à différents endroits. C'est aussi la première fois que le virus est décrit en Afrique de l'Ouest. On avait déjà eu des cas en République démocratique du Congo, en Ouganda ou au Soudan, mais jamais en Afrique de l'Ouest. Comment le virus a-t-il pu se retrouver à 2000 km de là, c'est encore un mystère. Mais pour le moment, la priorité c'est de contrôler l'épidémie et de soigner les malades."
Des malades qui guérissent. Certes, il n'existe pas de traitement spécifique contre Ébola et les taux de mortalité demeurent élevés. Cependant, si les patients reçoivent un traitement pour les infections secondaires et sont bien réhydratés dans des structures de santé adéquates, leurs chances de survie augmentent. Et bonne nouvelle, selon le dernier communiqué de MSF, on enregistre les premiers cas de patients ayant vaincu le virus Ébola et quitté les centres de prise en charge.
"Nous avons déjà 16 cas de guérison sur Guékédou et 1 cas à Conakry où la joie a d'ailleurs éclaté en début de semaine au centre d'isolation, confirme Brigitte Vasset. Actuellement, 5 à 9 personnes sur 10 décèdent du virus Ebola, mais 1 à 5 s'en sortent, ce qui n'est pas négligeable. Au total, ces traitements permettent de gagner 10 à 15 % de chances de survie aux malades."
Rose, à seulement 18 ans, est la première patiente autorisée à sortir du centre d'isolement de Conakry. Elle est bien la preuve que si le virus est la plupart du temps mortel, il est possible d'y survivre. "Lorsque le premier patient est sorti du centre de prise en charge, j'étais vraiment heureuse. Toute l'équipe était vraiment émue", raconte Marie-Claire Lamah, médecin guinéenne qui travaille pour MSF dans le centre de prise en charge Ébola à l'hôpital Donka, dans la capitale Conakry.
Les équipes médicales présentes sur place ne ménagent pas leurs efforts pour contrôler l'épidémie le plus rapidement possible. Leur mission : expliquer aux populations, ce qu'est le virus Ébola, comment il se transmet, quels sont les symptômes et quels sont les gestes d'hygiène pour s'en protéger. Mais aussi, isoler les malades.
"Les gens sont uniquement contagieux lorsqu'ils présentent des symptômes, notamment la fièvre et les vomissements, détaille la directrice médicale de MSF. Avant, ils sont porteurs du virus mais ne peuvent pas le transmettre. Notre travail, c'est de trouver rapidement les cas suspects afin de les isoler le temps de procéder aux examens médicaux et donc d'éviter qu'ils ne transmettent le virus à leurs proches."
Actuellement trois centres d'isolement ont été installés pour faire face à l'épidémie Ébola : à Guékédou, à Macenta et à Conakry, la capitale de la Guinée.
"Lorsqu'il y a une alerte, nous avons des équipes qui se rendent au domicile de la personne malade afin de l'isoler rapidement si nécessaire, mais aussi de parler avec sa famille et aux personnes qui auraient pu être en contact direct avec elle. Une fois dans le centre d'isolement, des examens sont effectués afin de confirmer le diagnostic. Désormais, nous disposons de deux laboratoires directement sur place pour confirmer le diagnostic, à Guékédou et à Conakry, ce qui nous évite de passer par le laboratoire P4 de Lyon. Cela nous fait gagner beaucoup de temps."
Pour être contaminé, il faut être en contact étroit avec un malade : le virus se transmet via les muqueuses ou des lésions de la peau, à la suite de contacts directs avec du sang, des sécrétions, etc. La plupart du temps, ce sont donc les garde-malades et les soignants qui sont infectés lorsqu'ils touchent et lavent les malades. Les rites funéraires au cours desquels les parents et amis du défunt sont en contact direct avec la dépouille peuvent également jouer un rôle dans la transmission du virus Ébola.
"Les équipes de MSF sont présentes pour expliquer les gestes d'hygiène, comme le lavage des mains au savon, décrit Brigitte Vasset. Nous avons d'ailleurs dans nos équipes des logisticiens qui s'assurent que les populations aient accès à l'eau potable et qui s'occupent de désinfecter les maisons suspectes. Il faut aussi rassurer les populations qui ont très peur du virus, il faut leur dire qu'elles doivent aller au centre de santé si elles ont des symptômes et éviter qu'elles restent terrées chez elles. Lors d'une précédente épidémie de Marburg, les gens étaient tellement inquiets qu'ils refusaient le moindre soin, y compris pour des pathologies autres."
Gérer la peur et la terreur face à ce virus. La semaine dernière à Macenta, les équipes de MSF ont été confrontées à un mouvement de panique des populations locales et le centre d'isolation a été suspendu après que les habitants aient manifesté et lancé des pierres sur les structures de soins. La manifestation avait été déclenchée par la diffusion de rumeurs selon lesquelles MSF aurait amené le virus dans le village. "Nous avons fait face à des réactions similaires dans d'autres pays, explique Henry Gray, coordinateur d'urgence de MSF. Dans ce type de situation, il est important de s'assurer que les populations ont une bonne compréhension de la maladie et de ses risques. A Macenta, une équipe chargée de la sensibilisation des patients était en place, mais il est très difficile d'informer les gens sur le virus dans leur langue, tout en mettant tout en œuvre pour stopper l'épidémie."
Selon le Dr Brigitte Vasset, il y a tout un travail d'éducation et de prévention à faire pour que les gens comprennent ce qu'est Ébola, pour qu'ils n'aient pas peur et surtout qu'ils ne paniquent pas. "Il faut gérer certaines situations inattendues. Par exemple, lorsque des personnes guérissent, il arrive qu'elles soient rejetées et stigmatisées par les familles ou par les membres des villages. Dans ces cas-là, nous pouvons faire intervenir des psychologues", explique-t-elle.
Des French doctors qui jouent leur vie. Sur place, ce sont des médecins et des professionnels de santé, mais aussi des épidémiologistes, des anthropologistes, des psychologues ou encore des logisticiens qui unissent leurs forces et leurs savoirs pour aider les populations. "Tous sont volontaires. Il y a bien sûr une préparation en amont de ces missions. On apprend d'abord à ne pas se précipiter. Et surtout à se protéger. Les équipes s'entraînent deux par deux à revêtir les combinaisons hermétiques. Blouse, gants, lunettes de protection... Tout le corps, de la tête aux pieds, doit être protégé afin de ne pas être en contact des fluides et sécrétions des malades." Des mesures draconiennes mais indispensables. Parmi les personnels de santé présents en Guinée, 11 ont déjà été infectés et 8 sont décédés depuis le début de l'épidémie.