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Plus une personne est intelligente moins elle parle, est-ce vrai ?

Dans l'imaginaire collectif, la personne intelligente écoute et fait preuve de sagesse. Idée reçue ?

Dans la littérature scientifique, l'intelligence d'une personne est davantage associée à la qualité du discours, peu importe combien de temps la personne parle. "Selon la définition de l'intelligence donnée par un comité de chercheurs réuni par l'American Psychological Association (APA) en 1996, l'intelligence renvoie à l'aptitude globale et variable entre les individus à traiter des idées complexes dans la vie de tous les jours, à s'adapter efficacement à leur environnement, à apprendre de l'expérience, à s'engager dans des raisonnements variés, et à surmonter les obstacles en réfléchissant" nous rappelle la psychologue Nathalie Boisselier. Celle-ci se mesure avec les échelles de Wechsler qui permettent de calculer le quotient intellectuel (QI) allant de 40 à 160. Le QI est la résultante de quatre grandes capacités mesurées par les échelles de Wechsler :

  • l'intelligence verbale,
  • l'intelligence non-verbale (logique, capacité d'abstraction)
  • la vitesse de traitement de l'information
  • la mémoire de travail (capacité de retenir des informations sur un court laps de temps et de les manipuler pour raisonner). 

Les gens intelligents ne sont pas forcément des "taiseux"

"Penser que les personnes intelligentes parlent moins est une croyance populaire qui fait sens intuitivement : les gens intelligents écoutent plus qu'ils ne parlent, et la sagesse est silencieuse. Cependant, rien dans la recherche scientifique ne permet de valider cette croyance." Ainsi pour Nathalie Boisselier "les gens intelligents ne sont pas forcément des taiseux". Elle souligne par ailleurs une tendance "dangereuse" à vouloir associer des caractéristiques personnelles qui sont sources de souffrance psychologique à des qualités flatteuses comme une intelligence hors-normes. Cette tendance doit être interrogée. Parce qu'elle pousse les personnes à affirmer qu'elles ne peuvent pas changer quand elles le peuvent, avec l'aide d'un psychologue.

Parler trop ou peu : qu'est-ce que cela signifie ? 

Une étude de Rubback et Dabbs datant de 1986 a mis en évidence qu'une intelligence verbale élevée peut conduire à respecter les temps de parole et donc ses interlocuteurs, et à prendre le temps de réfléchir avant de parler. Mais cela ne signifie pas pour autant que la personne parle moins. En 2011, une autre étude a été menée sur la volubilité, c'est-à-dire la facilité de parole. "Il s'agit là d'un discours dont le contenu n'est pas très riche, qui n'a pas de fonction, et qui demande ainsi peu d'effort sur le plan intellectuel." Cette étude a ainsi montré que la volubilité n'était pas expliquée par le quotient intellectuel. Au contraire, les auteurs ont démontré que le QI n'était pas associé à la volubilité mais à la fluence verbale, c'est-à-dire le nombre de mots émis dans le but de produire un discours exigeant intellectuellement, soit l'inverse de la volubilité. Parler trop ou trop peu n'est donc pas un signe d'intelligence ou de non-intelligence. Dans les faits, il apparait que la volubilité soit une caractéristique de la personnalité qui n'est pas reliée au QI. Cela peut être simplement dû à un trait de personnalité introverti ou extraverti. Quand elle est dans la norme, la volubilité peut être associée à l'extraversion et à la sociabilité. Elle qualifie alors des personnes qui engagent volontiers la conversation et l'alimentent, ces personnes sont plus loquaces que les personnes introverties, qui parleront donc moins. 

Des pathologies cachées derrière le fait de parler beaucoup

A des niveaux plus pathologiques, la facilité de parole peut être associée : 

►A la bipolarité dans les phases maniaques. "Les personnes bipolaires en phase maniaque peuvent effectivement tenir des discours rapides, avec peu de temps de pause entre les mots".

►A la schizophrénie, "qui dans certains cas, peut engendrer le même type de discours que décrit précédemment (bipolarité), mais avec un discours désorganisé, c'est-à-dire difficile à suivre".

►Au trouble de la personnalité narcissique. "Les personnes narcissiques peuvent avoir des discours-fleuve où elles se mettent en avant, ou alors des monologues pendant lesquels il est impossible réagir, et qui ont pour objectif de diminuer la valeur d'autrui voire de l'humilier."

►A l'anxiété. "Certaines personnes anxieuses peuvent avoir tendance à verbaliser à voix haute leurs ruminations anxieuses, une stratégie de coping social inadaptée. Leur nervosité peut également les conduire à trop parler en public, et même quand elles sont seules car cela leur permet d'éviter de faire face à l'expérience intérieure."

►Au TDAH (trouble déficitaire de l'attention avec hyperactivité) "qui peut conduire à trop parler, à souvent couper la parole en raison d'une difficulté à attendre son tour".

►Dans les troubles du spectre de l'autisme, "on peut parfois rencontrer une trop grande volubilité, surtout si le discours porte sur un des centres d'intérêt restreint de la personne, et en raison d'une difficulté à comprendre les attendus sociaux (attendre son tour de parole, savoir s'adapter aux centres d'intérêt de l'interlocuteur, comprendre son souhait de changer de sujet de conversation, etc.)". 

Merci à Nathalie Boisselier, psychologue.