Comment arrêter de ruminer ? Le passé ?
La rumination mentale est un mécanisme de répétition excessive de la pensée autour d'un même sujet, d'une personne ou d'un problème à résoudre. Comment s'en sortir ? Les éclairages de Ludovic Gadeau, Docteur en psychopathologie clinique et d'Alexandre Normand, psychologue.
Définition : ça veut dire quoi "ruminer" ?
Les ruminations sont des pensées répétitives qui occupent une grande partie de l'espace mental et qui tournent en boucle. Il est difficile de s'en défaire. "Elles comportent une composante douloureuse. Le plus souvent, ces pensées reprennent des événements d'un passé proche ou lointain, événements à dimension dramatique ou anecdotique" explique Ludovic Gadeau, Dr en psychopathologie clinique avant d'ajouter "La rumination mentale porte rarement sur des éléments à venir". Les pensées obsédantes interviennent de jour comme de nuit ou spécifiquement sur un moment de la journée complète Alexandre Normand, psychologue social.
Comment expliquer la rumination ?
Pour le psychologue, les ruminations sont normales. Il est néanmoins nécessaire d'agir lorsque les pensées nous harcèlent et qu'elles deviennent une souffrance. "Ici, la pensée revêt un caractère intrusif, elle n'a pas sa place, donc nous réagissons, nous résistons. Le besoin d'analyser sous tous les angles possibles, pour comprendre, pour clarifier la situation crée un déséquilibre, une boucle qui devient infernale. C'est là que la toxicité de la rumination réside. Le problème ne trouve aucune solution, la souffrance ne s'apaise pas. Nous nous sentons alors en incapacité à passer à autre chose". "Cela peut générer de la culpabilité, de la honte, de la colère ou encore de la tristesse", détaille le psychologue à propos du processus. Les ruminations interfèrent aussi avec notre motivation, notre concentration, nos initiatives, notre écoute envers les autres et envers nous-mêmes. Elles sont présentes dans certains troubles dépressifs et anxieux. Ludovic Gadeau précise : "La rumination mentale chronique est le produit de modes de fonctionnements globaux qui relèvent de trois types de fonctionnements différents : obsessionnel, mélancolique ou narcissique dépressif". Elle apparaît aussi dans des fonctionnements non pathologiques, notamment chez les adolescents et les jeunes adultes. "Il s'agit d'un phénomène nouveau lié à l'inscription dans les réseaux sociaux et aux risques auxquels certains jeunes se sentent en permanence exposés : risques d'être dénigrés, malmenés, voire possiblement harcelés en raison de supposées maladresses qu'ils auraient commises ou d'écarts au regard des normes implicites de groupe. Ces jeunes ruminent les moindres commentaires faits sur ces réseaux sociaux ou rejouent le soir venu le film de ce qui s'est passé dans le groupe d'appartenance du collège ou du lycée ", explique le psychologue clinicien.
Comment arrêter de ruminer le passé ?
Alexandre Normand tempère : "Faire des erreurs et ressentir des émotions est acceptable. Nous ne sommes pas parfaits et il est illusoire de chercher à l'être et à taire ce qui est en nous. La réussite de nos actions ne se mesure pas uniquement à notre capacité à faire du premier coup, mais surtout à notre capacité à rebondir, à nous relever, à persévérer". Pour lui, avoir des ruminations ne fait pas de nous quelqu'un de faible. Et il est important d'en avoir conscience et de réaliser que nous n'avons pas le contrôle sur ce qui se passe autour de nous, sur les autres (leurs pensées, leurs opinions, leurs actions, leurs émotions…), le passé, le futur, nos propres pensées et nos propres émotions telles qu'elles sont générées. Dans ce cadre, différents exercices et techniques peuvent soulager. Il est possible, par exemple, de s'octroyer du temps pour respirer. "Ce que je propose c'est de continuer de vivre nos expériences et moments pour nous distraire (projets personnels, professionnels, sport, sorties…), mais d'inclure dans notre semaine voire nos journées des temps consacrés au sujet de nos ruminations (15 minutes, 30 minutes, 1 heure) tout en sachant qu'il y a un début et une fin à ces temps", conseille le psychologue. L'inversion se fait en plusieurs étapes qui consistent à accepter (qui n'est pas se résigner), s'autoriser à y penser de manière structurée et ouvrir une conversation avec soi en se disant que cette pensée ne nous définit pas. "L'écriture, sous forme de journal, est un merveilleux outil pour entamer cet échange", préconise le spécialiste.
Comment arrêter de ruminer ses erreurs ?
L'écriture est là aussi une piste. "Écrire les pensées comme elles viennent, sans jugement pour replacer la pensée à son état transitoire qui vient, qui expose et qui part. Dans ce journal, nous pouvons noter les pensées telles qu'elles sont, puis les restructurer : la situation, l'émotion ressentie, le besoin sous-jacent, l'action à mettre en place", conseille Alexandre Normand. Échanger avec un proche peut aussi être bénéfique même si le regard de l'autre n'est pas toujours facile à appréhender. Entamer une thérapie pour avoir un espace à soi est également possible. "En thérapie ACT (Acceptation et Engagement), on a la notion de défusion consistant à distinguer la pensée de soi en mettant, par exemple, une préface à cette pensée. Nous segmentons ce qui est de l'ordre de la pensée, nous écoutons son message et nous travaillons avec", explique le psychologue. Pour soulager les ruminations, il est cependant nécessaire d'en déterminer l'origine (symptôme d'une pathologie (trouble obsessionnel…) ou réaction face à un contexte précis). "Dans le premier cas, une prise en charge de type psychothérapique (voire médicamenteuse) est nécessaire. Dans le second cas, il s'agit d'intervenir sur les interactions entre le sujet et son environnement", complète le Dr Ludovic Gadeau.
Comment arrêter de ruminer son chagrin ?
Tout au long de l'existence, les expériences de perte (être cher, l'échec professionnel, amoureux…) occasionnent le chagrin. Elles conduisent à un travail de deuil ''normal'', mais aussi à des expériences traitées sur un mode pathologique. "Dans le premier cas, la rumination mentale est non envahissante et fait partie de processus psychiques qui visent à restaurer un certain équilibre. Ce travail psychique dure de quelques semaines à quelques mois et se déploie spontanément le plus souvent. Dans le second cas, les processus psychiques ne permettent pas de trouver des voies de rééquilibrage". Dans ce cas de figure, la rumination s'installe durablement. Pour le psychologue clinicien, cela nécessite une prise en charge psychothérapique.
Merci à Ludovic Gadeau, Docteur en psychopathologie clinique et à Alexandre Normand, psychologue social.