Suicide : tentative, assisté, venir en aide, prévention
Près de 9 000 décès par suicide sont recensés chaque année en France. Qui sont les personnes les plus à risque ? Que faire et comment venir en aide qui a des idées suicidaires ? Qu'est-ce qu'un suicide assisté ? Prévention et conseils du Dr Clara Brichant-Petitjean, psychiatre libérale à Paris.
Définition : qu'est-ce qu'un suicide ?
Le suicide correspond à "tout cas de mort qui résulte directement ou indirectement d'un acte accompli par la victime elle-même et qu'elle savait devoir produire ce résultat, définit le Dr Clara Brichant-Petitjean, psychiatre libérale à Paris. Il s'agit d'un acte intentionnel". Une personne qui décède par suicide s'appelle un suicidé.
Qu'est-ce qu'une tentative de suicide ?
Une tentative de suicide (TS) est un "acte non fatal par lequel une personne réalise un geste dans l'espoir de trouver la mort, définit le Dr Brichant-Petitjean. Cela peut être par divers moyens : un acte de mutilation volontaire, une ingestion volontaire d'un ou de plusieurs médicaments ou d'une substance nocive, une tentative de pendaison ou de défenestration…".
On distingue d'autres notions différentes de la tentative de suicide :
► Le parasuicide : "lorsque la motivation initiale n'est a priori pas la mort, mais un appel à l'aide, un cri de souffrance psychique ; il s'agit d'un comportement qui permet de soulager une tension interne", explique la psychiatre ;
► L'équivalent suicidaire, lui, correspond à "des conduites à risque, des négligences diverses, des prises de risques avec mise en danger", poursuit-elle.
► L'automutilation "qui correspond à un comportement auto-agressif, à travers lequel la personne ne recherche pas consciemment la mort" ;
► Le comportement autodestructeur : "il s'agit d'un comportement conscient qui met en jeu le pronostic vital, mais qui n'est pas une stratégie suicidaire".
Qu'est-ce qu'une crise suicidaire ?
Il s'agit d'une crise psychique dont le risque majeur est le suicide. "C'est un moment d'échappement, une rupture d'équilibre avec soi-même et son environnement, observe le Dr Clara Brichant-Petitjean, psychiatre libérale à Paris. Il y a une insuffisance de moyens de défense et un grand état de vulnérabilité, avec plusieurs étapes qui mènent à une sensation d'impasse". Il existe plusieurs étapes à la crise suicidaire, selon la psychiatre :
Il y a une insuffisance de moyens de défense et un grand état de vulnérabilité, avec plusieurs étapes qui mènent à une sensation d'impasse
► La crise débute avec des recherches de solutions face à un problème que rencontre l'individu. Devant l'absence ou le peu de solutions trouvées, la personne va commencer à avoir des flashs suicidaires : c'est la première fois qu'elle considère que le suicide peut être une solution.
► Ensuite, le flash suicidaire va devenir plus fréquent et la personne va perdre confiance dans sa capacité à trouver d'autres solutions que celle-là.
► L'idée suicidaire est de plus envahissante, jusqu'à arriver à une vraie scénarisation d'un suicide (plan suicidaire avec la recherche de moyens, l'élaboration d'un scénario précis qui peut aboutir au passage à l'acte) "Les personnes n'arrivent pas toujours au bout de la crise, mais ils passent d'une étape à l'autre avec cet effet d'entonnoir", ajoute-t-elle. Une crise suicidaire peut durer de quelques jours jusqu'à plusieurs mois.
Quels sont les modes de suicide physique ?
En juin 2020, l'Observatoire National du Suicide sortait son quatrième rapport, faisant état des derniers chiffres du suicide. Ce dernier montre que les trois méthodes de suicide principales en France sont :
- Les médicaments ;
- La pendaison ;
- Les armes à feu.
"Le choix de la méthode est souvent influencé par des facteurs culturels ainsi que par des questions d'accès à des moyens de se suicider (l'accès à une arme à feu par exemple)", note la chercheuse Paula J. Clayton dans ses travaux sur le comportement suicidaire.
Quels sont les modes de suicide chimique ?
"Ils représentent la majeure partie des tentatives de suicide : 65 % des tentatives de suicide sont des IMV (ingestion médicamenteuse volontaire)", observe le Dr Brichant-Petitjean.
Quels sont les chiffres en France ?
Selon le quatrième rapport de l'Observatoire national du suicide, les derniers chiffres sur le suicide en France métropolitaine sont les suivants :
- Le taux de mortalité de suicide pour 100 000 habitants est de 14,1 (pour 11,3 en Europe) ;
- Environ 9 000 personnes décèdent chaque année par suicide, ce qui correspond à environ 25 personnes par jour ;
- Le plus grand nombre de suicides concernent les hommes (3,7 fois plus que les femmes) ;
- Le plus grand nombre de suicides se situe dans la tranche d'âge de 45-54 ans ; les taux sont doublés chez les plus de 75 ans.
Selon le Baromètre de Santé publique France 2017, les derniers chiffres sur la tentative de suicide en France métropolitaine sont les suivants :
- Les femmes font le plus de tentatives de suicide par rapport aux hommes ;
- Il y a eu environ 200 000 TS donnant lieu à un contact avec le système de soins par an ;
- En 2017, près de 3% des adolescents déclaraient avoir fait au cours de leur vie une TS ayant nécessité une hospitalisation ;
- La situation des filles de 15 à 19 ans est particulièrement préoccupante avec une augmentation des TS et pensées suicidaires depuis 2011 ;
- Sur l'ensemble de la population, le nombre d'hospitalisations pour TS a diminué entre 2008 et 2017, passant de plus de 100 000 par an à environ 89 000 en 2017 ;
- Près de 5% de la population adulte déclare avoir pensé à se suicider au cours de l'année.
"Dans la réalité, il est difficile de comptabiliser réellement avec exactitude toutes les tentatives de suicide, tout comme les suicides. Les chiffres sont sous-estimés", ajoute le Dr Brichant-Petitjean.
Qui sont les personnes les plus à risque ?
On constate que quelqu'un qui a déjà fait une tentative de suicide est à risque d'en refaire
"Les femmes font plus de tentatives de suicides, mais les décès par suicides concernent plutôt les hommes, rappelle le Dr Brichant-Petitjean (voir plus haut). Le fait d'être un homme est en soi un facteur de risque de suicide. Le fait d'avoir faire une tentative de suicide est en soit un facteur de risque de récidive suicidaire. On constate que quelqu'un qui a déjà fait une tentative de suicide est à risque d'en refaire, par rapport à quelqu'un qui n'en a jamais fait. D'ailleurs, 16% des suicidants refont une tentative de suicide dans l'année". Il faut également prendre en compte les facteurs de risques personnels et environnementaux. Pour résumer, les facteurs de risques du comportement suicidaire sont les suivants :
- Les hommes ;
- Les personnes qui vivent seules ;
- Les personnes qui ont vécu un événement stressant ou traumatisant dans les derniers mois ou dans leur enfance (deuil, perte, agression physique ou sexuelle…) ;
- Les personnes qui ont des dettes, de graves problèmes financiers ;
- Les personnes qui ont un trouble psychique grave (dépression, schizophrénie, trouble de la personnalité…) ;
- Les personnes qui ont des antécédents suicidaires ou des antécédents familiaux de suicides ;
- Les personnes en absence de lien social ;
- Les personnes qui ont accès à des moyens pour se suicider ;
- Les personnes qui ont des antécédents de toxicomanie ou d'alcoolisme ;
- Les personnes qui ont une maladie douloureuse ou invalidante.
Que faire et comment venir en aide ?
"Il ne faut surtout pas banaliser des propos suicidaires. Il faut les prendre très au sérieux, amener si possible la personne à consulter un médecin, généraliste ou psychiatre : il s'agit d'une crise suicidaire, avance le Dr Brichant-Petitjean. Si quelqu'un exprime des propos suicidaires, il en va de la responsabilité de chacun de protéger cette personne, de faire en sorte qu'elle soit en sécurité et adressée à des professionnels de santé". Le but : mettre en sécurité, mettre en place des moyens adaptés pour gérer la crise, évaluer le risque avec une évaluation psychiatrique, prévenir le passage à l'acte en fonction de si l'urgence est faible, modérée, élevée...
Une hospitalisation peut s'avérer nécessaire ensuite mais "on n'hospitalise pas systématiquement après une tentative de suicide. Cela va dépendre de plusieurs facteurs : si la personne est capable de critiquer son geste et qu'elle le regrette, si elle exprime des velléités de récidive, si elle présente un trouble psychiatrique caractérisé comme une dépression par exemple, qui nécessite une prise en charge urgente… On prend également en compte l'existence ou non d'un entourage familial ou amical soutenant, son adhésion aux soins…".
Qui consulter après une tentative de suicide ?
"En général, les suicidants consultent un psychiatre ou un psychologue ou peuvent être adressés aux urgence ", indique le Dr Brichant-Petitjean.
Suicide assisté : autorisé, comment, dans quels cas ?
Le suicide médicalement assisté désigne la pratique d'aider une personne consciente qui désire mourir. Les substances létales sont fournies par un médecin, qui encadre l'acte. Ce dernier est autorisé en Suisse, en Allemagne, au Canada et dans neuf États américains. Pas en France. La loi de fin de vie du 2 février 2016, dite la loi Claeys-Leonetti, interdit l'acharnement thérapeutique ou l'obstination déraisonnable. Le débat a été relancé début 2021, avec la proposition de loi pour le droit à "une fin de vie libre et choisie", toujours examinée par l'Assemblée. Dans les pays où le suicide assisté est autorisé, il concerne les cas de maladies graves et incurables, avec un déclin avancé et irréversible de l'état de santé, et durant lequel la personne éprouve des souffrances physiques ou psychiques constantes et insupportables.
Quelle prévention ?
"La prévention du suicide est globalement la même que pour les autres sujets de santé mentale : être vigilant face à ses proches, son entourage, ses collègues… Lorsqu'on sent que quelqu'un n'a pas un comportement inhabituel, paraît triste, anxieux, il faut se soucier de lui, conseiller de consulter s'il ne va pas bien, etc. Et le plus important : ne pas banaliser des propos suicidaires, et ne pas les stigmatiser non plus, déclare le Dr Brichant-Petitjean. Si vous constatez qu'elle est en souffrance de par son comportement, sa présentation émotionnelle, il est nécessaire de pouvoir aborder le sujet dans un climat de confiance et sécurisant. Il existe une fausse idée selon laquelle si nous parlons de suicide à quelqu'un, cela va lui donner envie de le faire". C'est faux : en parler soulage généralement la personne en souffrance, qui n'ose généralement pas en parler, et reste "coincée" avec ses idées.
En complément de l'aide médicale, vous pouvez contacter les associations qui proposent un soutien aux personnes déprimées ou confrontées à des idées de suicide. Tous ces services d'écoute sont anonymes et gratuits :
- SOS Amitié (09 72 39 40 50),
- Suicide Écoute (01 45 39 40 00),
- Fil Santé Jeunes (09 72 39 40 50),
- SOS Suicide Phénix (01 40 44 46 45),
- Phare Enfant-Parents (01 43 46 00 62).
En cas de risque de suicide avéré et imminent, le gouvernement français préconise les recommandations suivantes : appelez le 15 ou le 112 (numéro européen) si la personne a :
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Sources :
Merci au Dr Clara Brichant-Petitjean, psychiatre libérale à Paris.
- Que faire et à qui s'adresser face à une crise suicidaire ?, Ministère des Solidarités et de la Santé, 2021.
- Comportement suicidaire, Paula J. Clayton, MD, University of Minnesota School of Medicine, 2019.
- Suicide et tentative de suicides : données nationales et régionales, Santé Publique France, 20 mai 2019.
- Suicide en France : faits et chiffres, quatrième rapport de l'Observatoire national du suicide, juin 2020.