C'est quoi le PfizerGate ?
La revue médicale BMJ a publié une enquête le 2 novembre, pointant du doigt des défaillance et des problèmes de sécurité lors d'un des essais cliniques du vaccin contre le Covid de Pfizer. Qui est la lanceuse d'alerte et quelles sont ses révélations ? Les détails du scandale du "PfizerGate".
[Mis à jour le 5 novembre 2021 à 15h18] Le mardi 2 novembre 2021, des révélations publiées dans la revue médicale britannique British Medical Journal (BMJ) ont pointé du doigt de potentielles défaillances, des falsifications de données et des problèmes de sécurité au sein de Ventavia Research Group, l'un des sites choisis par le laboratoire Pfizer pour mener ses essais cliniques du vaccin anti Covid Comirnaty®. L'affaire, largement relayée par les médias et partagée sur les réseaux sociaux comme Twitter, a été surnommée le PfizerGate. Quel est le point de départ ? Qui est Brook Jackson, la lanceuse d'alerte ? Que dénonce-t-elle par rapport aux essais cliniques menés ? Quelles sont les preuves fournies ? Comprendre l'origine du scandale.
NEW: Our latest investigation hears from a whistleblower engaged in Pfizers pivotal covid-19 vaccine trial. Her evidence raises serious questions about data integrity and regulatory oversight https://t.co/Ho99hQhwRM
— The BMJ (@bmj_latest) November 2, 2021
Quelle est l'origine du PfizerGate ?
Pour s'assurer de l'efficacité et de l'innocuité d'un vaccin, des essais cliniques sont obligatoirement menés sur des dizaines de milliers de personnes volontaires, généralement réparties en deux groupes (le premier groupe reçoit le vaccin, le deuxième groupe reçoit un placebo c'est-à-dire un produit sans effet). Aucun vaccin ne peut être commercialisé, et donc administré, sans la réalisation et les résultats positifs d'essais cliniques. Divisés en plusieurs phases, les essais cliniques sont réglementés et soumis à l'autorisation des autorités sanitaires (Agence européenne du médicament (EMA) pour l'Europe et Agence nationale du médicament (ANSM) pour la France) et à l'avis favorable d'un Comité de Protection de Personnes (CPP). L'essai clinique de phase 3 du vaccin Comirnaty® de Pfizer a débuté le 27 juillet 2020 et les résultats ont été publiés en décembre dans le New England Journal of Medicine. Il comptait alors 44 000 participants (46 000 aujourd'hui avec l'ajout de la tranche d'âge des 12-15 ans). Pfizer était responsable de la conception et de la conduite de l'essai, de la collecte des données, de l'analyse des données, de l'interprétation des données et de la rédaction du manuscrit final. BioNTech était le sponsor de l'essai. L'essai a été mené sur 153 sites répartis dans le monde dont 130 aux Etats-Unis. Parmi ces sites dédiés à la recherche médicale, l'entreprise américaine née en 2013, Ventavia Research Group a rassemblé environ 1 000 participants sur 3 sites (soit environ 2.23% des participants au total). Le témoignage d'une personne travaillant sur ce site soulèverait "de sérieuses questions sur l'intégrité des données et la surveillance réglementaire", révèle le BMJ.
► Point de départ de l'affaire : en septembre 2020, la directrice régionale Brook Jackson de Ventavia Research Group a déclaré au BMJ que la société aurait falsifié des données, enlevé l'anonymat des patients, employé des "vaccinateurs insuffisamment formés" et "mis du temps" à suivre les événements indésirables signalés dans l'essai pivot de phase III de Pfizer (le dernier avant la commercialisation). Le personnel qui effectuait les contrôles de qualité aurait, selon ses dires, été submergé par le nombre de problèmes qu'ils trouvaient.
► Le 25 septembre 2020, après avoir informé à plusieurs reprises Ventavia de ces problèmes, la directrice régionale aurait envoyé une plainte par mail à la Food and Drug Administration (FDA) des Etats-Unis, responsable de la protection de la santé publique en assurant l'innocuité, l'efficacité et la sécurité des médicaments, avant de se faire licencier le jour-même par Ventavia.
► Quelques heures plus tard, Brook Jackson a reçu une réponse de la FDA "la remerciant pour ses inquiétudes et l'informant que la FDA ne pouvait commenter aucune enquête qui pourrait en résulter".
► Le 10 décembre 2020, dans le document d'information de Pfizer soumis à une réunion du comité consultatif de la FDA pour discuter de la demande d'autorisation de mise sur le marché du vaccin de Pfizer, le laboratoire n'a fait aucune mention de problèmes sur le site de Ventavia.
► Le 11 décembre 2020, la FDA a délivré l'autorisation du vaccin de Pfizer aux Etats-Unis.
Qui est la lanceuse d'alerte ?
La lanceuse d'alerte du scandale du PfizerGate est Brook Jackson, ex-directrice régionale de Ventavia, l'un des sous-traitants de Pfizer en charge des essais cliniques du vaccin contre le Covid-19. Pendant les deux semaines où elle était employée chez Ventavia en septembre 2020, la directrice a informé à plusieurs reprises ses supérieurs de la mauvaise gestion du laboratoire, des problèmes de sécurité des patients et des problèmes d'intégrité des données. Elle a été licenciée le 25 septembre 2020 par Ventavia "pour la première fois en 20 ans de carrière dans la recherche", précise-t-elle au BMJ.
Que reproche la lanceuse d'alerte ?
Dans son mail du 25 septembre à la FDA, Brook Jackson a énuméré une douzaine de pratiques douteuses dont elle aurait été témoin quand elle travaillait chez Ventavia, notamment :
- Des participants placés dans un couloir après l'injection et non surveillés par le personnel clinique
- Un manque de suivi en temps opportun des patients ayant subi des événements indésirables
- Des écarts de protocole non signalés
- Des vaccins n'étant pas conservés à des températures appropriées
- Des échantillons de laboratoire mal étiquetés
- Un manque d'employés pour écouvillonner tous les participants à l'essai qui ont signalé des symptômes.
Par ailleurs, deux anciens employés de Ventavia, témoignant de manière anonyme, auraient confirmé les déclarations de Brook Jackson. L'un d'entre eux aurait rapporté un environnement de travail "désordonné". Après le licenciement de Brook Jackson, des problèmes auraient persisté chez Ventavia, selon ce même employé.
Quelles sont les preuves fournies par la lanceuse d'alerte ?
Ventavia n'ayant pas réagi à ces révélations, Brook Jackson a voulu récolter des preuves. Au total, Brook Jackson aurait fourni au BMJ des dizaines de documents internes à l'entreprise, des photos, des enregistrements audio et des e-mails. Parmi les documents collectés :
► Une photo montrant des aiguilles jetées dans un sac en plastique "à risque biologique" au lieu d'être placées dans une boîte spécialement dédiée aux objets tranchants.
► Un autre cliché montrant des matériaux d'emballage de vaccins avec les numéros d'identification des participants à l'essai écrits dessus et laissés à l'air libre, ce qui a potentiellement levé l'anonymat des participants.
► Un enregistrement d'une réunion qui a eu lieu fin septembre 2020 entre Brook Jackson et deux administrateurs, dans lequel on entendrait un cadre de Ventavia expliquer que l'entreprise n'était pas en mesure de quantifier les types et le nombre d'erreurs qu'ils trouvaient lors de l'examen des documents d'essai pour le contrôle qualité.
► Un email envoyé par ICON, l'organisation de recherche sous contrat avec laquelle Pfizer s'est associé à l'essai, montrant que Ventavia n'aurait pas suivi les requêtes de saisie de données. Plus de 100 requêtes concernant notamment deux réactions graves post-vaccinales auraient été laissées plusieurs jours en suspens.
Pour le moment, les autorités sanitaires, Ventavia et Pfizer n'ont pas encore réagi à ces révélations.
Source : Covid-19: Researcher blows the whistle on data integrity issues in Pfizer's vaccine trial, BMJ, 2 novembre 2021.