Tampons ou coupes, les risques de choc toxique sont les mêmes
Il y a plus d'un an, le Pr Gérard Lina avait lancé une initiative inédite : collecter des tampons usagés dans le but d'étudier le syndrome du choc toxique. Le chercheur fait le point sur ses premiers résultats.
[Mise à jour 24/04/2018] Vous vous souvenez peut-être de cet appel aux tampons usagés, lancé en octobre 2016 par le Pr Gérard Lina. Plusieurs centaines de de tampons plus tard, les fluides sont toujours en cours d'analyse par ce chercheur qui dirige un laboratoire de bactériologie en lien avec le Centre National de Référence des staphylocoques. L'objectif de ses recherches est de comprendre comment le staphylocoque provoque le syndrome de choc toxique (SCT). Cette maladie infectieuse est causée par la production d'une toxine par une bactérie, le staphylocoque doré. Lorsque la toxine passe dans la circulation sanguine, elle peut atteindre des organes vitaux et causer des infections, potentiellement graves. En cas de symptômes anormaux en période de règles (malaise, troubles digestifs, nausées et vomissements...), il faut donc retirer rapidement le tampon et consulter en urgence afin de bénéficier d'un traitement antibiotique.
Le choc toxique est un accident rare
L'affaire du mannequin amputée après un grave choc toxique provoqué par le port d'un tampon a marqué beaucoup de femmes. Néanmoins, il faut relativiser. Ces cas sont exceptionnels : 19 cas en 2016, 23 cas en 2017. En fait, ce qui interpelle les chercheurs, c'est que le nombre de cas a beaucoup progressé ces dernières années. En 2004 par exemple, 5 cas seulement avaient été notifiés. En outre, comme le précisait Gérard Lina que nous avions interrogé lors de la présentation de ses résultats prémiliminaires, il est possible que le nombre réel de chocs toxiques soit sous-évalué. "Nous disposons des chiffres déclarés, précise-t-il. Mais dans 80 % des cas, ils sont déclarés après que des femmes aient été hospitalisées en réanimation. Ce sont donc les cas les plus sévères, qui parfois récidivent après d'autres chocs toxiques de moindre intensité, donc peut-être passés inaperçus."
C'est la mauvaise utilisation des tampons et des coupes qui pose problème
Plusieurs hypothèses sont étudiées pour expliquer ces accidents liés au port des protections périodiques. Longtemps soupçonnée, la première hypothèse était que la composition du tampon pourrait favoriser la multiplication des staphylocoques, donc la production de toxines qui favorisent le SCT. Aujourd'hui, les scientifiques estiment qu'elle n'aurait en réalité aucune incidence sur la survenue des SCT. Selon les analyses menées par le Pr Lina, la composition des tampons serait hors de cause et en tout cas, il n'y aurait pas un type de tampon particulier plus à risque qu'un autre. Selon, ses derniers résultats, publiés dans "Applied and Environnmental Microbiology", les chercheurs ont constaté que les tampons, de même que les coupes menstruelles, pouvaient servir de milieu de culture aux staphylocoques qui produisent la toxine du syndrome du choc toxique, et que la structure et la densité de la fibre du tampon (et non pas sa composition) ainsi que la fréquence de changement de la protection, étaient en cause dans le risque potentiel associé. En ce qui concerne les coupes, elles pourraient d'ailleurs favoriser davantage que les tampons la croissance des bactéries en raison de l'introduction additionnelle d'air dans le milieu avec la coupe. La multiplication anormale des bactéries serait donc possible avec des tampons, mais aussi avec une coupe menstruelle.
Enfin, ce qui semble se confirmer de façon certaine, c'est qu'une mauvaise utilisation des protections hygiéniques comporte des risques. "Les précautions d'utilisation des tampons ne sont pas suffisamment respectées, nous avait expliqué le chercheur. Dans la notice, il est indiqué qu'il faut le garder moins de 8 h, mais il est probable que les chocs toxiques puissent survenir avant ce délai. C'est donc probablement trop long. Il faudrait l'abaisser à 6 h et surtout faire passer le message de ne pas porter de tampon pendant toute une nuit." Par ailleurs, il semble que l'absorbance du tampon soit insuffisamment prise en compte. "Les tampons hyper absorbants sont mal tolérés et ont tendance à altérer la muqueuse, donc il semble inapproprié de les porter quand le flux des règles est moindre, notamment au début des règles. A l'inverse, les tampons les moins absorbants ne sont pas adéquat non plus lorsque les flux sont importants : un tampon trop imbibé favorise la multiplication des bactéries, donc la production de toxines." Conclusion du chercheur : il faut sans doute mieux informer et éduquer les femmes à l'utilisation des tampons, mais aussi des coupes menstruelles, qui peuvent elles aussi provoquer des infections si les règles d'hygiène ne sont pas respectées. Il ne suffit pas de les rincer à l'eau claire avant de les réutiliser. Bien qu'elles soient "naturelles", il faut respecter les consignes d'utilisation et d'hygiène, à savoir : ne pas les garder trop longtemps et les stériliser par ébullition entre chaque utilisation.
Et les serviettes ? Le risque est moindre avec des serviettes hygiéniques du fait qu'elles font moins obstacle au flux sanguin comparativement aux tampons et favorisent donc moins le développement des staphylocoques |
Toutes les femmes ne font pas de chocs toxiques
L'hypothèse des chercheurs, c'est qu'il doit exister des bactéries présentes naturellement dans la flore vaginale qui augmentent le risque de choc toxique. "Jusqu'à présent, on pensait que 4 % des femmes étaient à risque, mais il semble qu'elles soient en réalité 30 %" précise Gérard Lina. L'étape suivante, c'est de préciser quel type de microbiote est associé à un risque plus élevé de multiplication des staphylocoques. Cela pourrait ouvrir la voie à des tampons contenant des probiotiques. même si pour l'instant il n'y a pas eu d'essai concluant. Il faut donc aller plus loin pour préciser le microbiote, il y a peut-être plusieurs bactéries responsables,"
En attendant, les protections féminines restent source de nombreuses interrogations. La composition des protections périodiques n'étant pas clairement indiquée sur les emballages, sans doute pour des raisons de propriété industrielle, il est impossible de savoir ce qu'elles contiennent exactement. Mais pour les consommatrices, le besoin de transparence est légitime. Après la publication par le magazine 60 Millions de consommateurs d'une enquête qui avait révélé la présence de composés potentiellement toxiques à l'état de trace, en particulier des perturbateurs endocriniens, l'ANSES a été missionnée afin d'évaluer les risques pour les femmes, et des études sont actuellement en cours. Enfin, la législation française pose elle aussi problème. Alors qu'aux Etats-Unis les fabricants sont contraints de faire des tests de sécurité afin de vérifier que le tampon ne favorise pas la production de toxines, ce n'est pas le cas en France. En somme n'importe qui peut se mettre à fabriquer des tampons, sans être tenu d'effectuer des tests microbiologiques, et alors même que ces tests existent et ne sont pas onéreux. Pourquoi ne pas légiférer ?