Prédire si une chimiothérapie est (vraiment) nécessaire en cas de cancer du sein

Eviter une chimiothérapie quand elle n’est pas indispensable : tel est l’objectif des tests prédictifs. L’innovation est prometteuse mais la France commence tout juste à s’y intéresser. Explications du Pr Roman Rouzier, Directeur du pôle sénologie à l’Institut Curie.

Prédire si une chimiothérapie est (vraiment) nécessaire en cas de cancer du sein
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La désescalade thérapeutique, ou comment donner moins de traitements inutiles aux patients, est un enjeu majeur du Plan Cancer 3. Dans ce contexte, des tests visant à évaluer l’utilité d’une chimiothérapie chez certaines femmes atteintes d’un cancer du sein à un stade précoce, pourraient se développer afin de personnaliser les décisions thérapeutiques.

Un test prédictif, comment ça marche ? Le test, réalisé en laboratoire à partir d’une biopsie ou d’une chirurgie (tumorectomie ou mastectomie), est capable d’évaluer le bénéfice anticipé de la chimiothérapie et le risque de récidive. Des données très utiles pour les médecins, qui peuvent alors adapter leur traitement au cas par cas. "Avec ces tests, on est capable de mieux prédire le devenir d'une tumeur. On peut alors dire précisément à une patiente quel est le pourcentage de risque de récidive, détaille le Dr Roman Rouzier, Directeur du pôle sénologie à l’Institut Curie. Et en fonction de quoi, lui proposer un traitement "à la carte", c'est à dire un traitement adapté à chacune, en fonction de la biologie de sa tumeur. Avec l'idée, surtout, de ne proposer des chimiothérapies que si cela est vraiment nécessaire."

Pour évaluer l’impact de ces tests sur la décision thérapeutique, le Pr Rouzier mène actuellement une étude sur 200 patientes ménopausées atteintes d'un cancer du sein à un stade précoce et éligibles à la chimiothérapie après leur opération. Au total, huit centres français participent à cette étude. Autre objectif : évaluer la confiance des praticiens dans les recommandations thérapeutiques avant et après résultat du test. Mais aussi l'état émotionnel des patients devant la décision thérapeutique, ainsi que leur degré d'anxiété avant et après les résultats du test. Les résultats sont attendus pour mars 2016.

Pas pour toutes les patientes. Rappelons-le, la chimiothérapie, dont les effets secondaires sont lourds, est délivrée après l'opération chirurgicale qui a permis d'enlever la tumeur cancéreuse. Elle vise ainsi à réduire le risque de récidive. Reste que sa prescription n'est pas systématique. En fait, les médecins évaluent au cas par cas une série de critères, par exemple la taille de la tumeur ou l'âge de la patiente et font également appel aux anatomopathologistes afin de recueillir des informations sur la nature biologique de la tumeur. En fonction de ces critères, ils proposent (ou pas) la chimiothérapie. Face à une tumeur agressive, la chimiothérapie est systématiquement proposée. Au contraire, lorsque la tumeur est de petite taille, elle n’est généralement pas indiquée.

Mais là où cela devient compliqué, c'est pour les cas intermédiaires. De fait, le bénéfice de la chimiothérapie n'est alors pas clairement établi. "Il existe une "zone grise" de patientes (15 à 40 % des patientes selon les centres de lutte contre le cancer) pour qui on ne sait pas quoi faire. Quand on hésite, on prescrit souvent de la chimiothérapie, par précaution", explique le Pr Rouzier.

Des tests innovants mais pas accessibles. Le Pr Rouzier évalue cette innovation, qui permettrait d’éviter entre 40 et 70 % de chimiothérapies inutiles chez ces patientes où la décision thérapeutique n'est pas évidente. Pourtant, il déplore qu'elle ne soit pas encore utilisée en France en routine, contrairement à la plupart des pays. Car pour l'heure, ces tests n’ont pas été évalués par la Haute autorité de santé (HAS) et ne sont donc pas remboursés. Aussi, les centres de lutte contre le cancer ne le proposent pas aux patientes, à moins de participer à une étude clinique ou exceptionnellement de bénéficier d’une prise en charge par une complémentaire santé. Sinon, c’est à la charge des patientes, qui font parfois la démarche de le demander directement à leur médecin. Et ce malgré un coût élevé de 3000 euros. "Ethiquement, on ne peut pas leur refuser, elles font ce qu’elles veulent avec leur argent…, commente l’oncologue. Sauf qu’au final, le test est donc réservé aux patientes qui en ont les moyens... En effet, ce n'est pas acceptable. L’innovation devrait être accessible pour toutes les femmes."

Et le remboursement ? D'autant plus, que côté fiabilité, tous les voyants sont au vert. Enfin presque, puisque l’Institut national du cancer (Inca) estime encore que son intérêt est limité. Plusieurs études ont pourtant démontré leur intérêt clinique dans la prise de décision d'un traitement par chimiothérapie, selon le Pr Rouzier. En outre, ces tests font l'objet de nombreuses recommandations européennes et internationales. "Ils sont accessibles partout : aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne, en Allemagne, en Italie, en Israël, en Australie... Tous apportent des données en vie réelle et les retours sont positifs puisqu’ ils confirment l'utilité des tests et que leur taux de chimiothérapie diminuent. En France, nous sommes à la traîne…"

Mais le médecin reste néanmoins optimiste : "Cela évolue dans le bon sens. Les essais cliniques se mettent en place et progressivement l'accès à l'innovation progresse, donc on rattrape petit à petit notre retard. La preuve en est que le circuit de prélèvement s’améliore au travers des essais. Auparavant il fallait attendre 20 jours avant d’avoir les résultats du test, aujourd'hui l’étude que nous menons a permis d’abaisser ce délai à 10 jours. Et demain ce sera 7 jours !"

Et pourquoi pas un remboursement pour toutes ? "Il y a dans tous les cas besoin d'une évaluation en vie réelle avant d’élargir les indications. Il faut donc rester prudent. Les tests doivent rester une aide à la décision avant tout. "

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