Acheter ses lunettes sans ordonnance, c'est pour bientôt : les ophtalmos s'alarment
Dans le cadre de la loi Macron, votée ce 12 mai, un amendement supprime l'obligation d'ordonnance de verres correcteurs, y compris pour les enfants. Une "catastrophe" selon le syndicat national des ophtalmologistes de France.
Parmi les principales mesures de la loi Macron, pour libéraliser l'économie, il en est une qui touche de près à notre santé. Il s'agit de l'autorisation de l’achat de verres correcteurs sans prescription. En d'autres termes, la possibilité d'obtenir des lunettes sans passer par la case "ophtalmo". Depuis 2007, il est nécessaire de disposer d'une ordonnance datée de moins de trois mois, pour pouvoir acheter ses lunettes ou renouveler ses verres.
Un amendement, proposé le 11 mars dernier au Sénat, et porté par la sénatrice UMP Dominique Estrosi-Sassone, prévoit de supprimer du code de Santé Publique l'obligation de disposer d'une ordonnance en cours de validité, nécessaire à la délivrance de lunettes. Un recul donc par rapport à la loi Hamon de 2014 qui avait étendu cette obligation d'ordonnance - déjà en vigueur pour les moins de 16 ans - à toute la population.
Le texte, qui doit néanmoins recevoir l'aval final de l'Assemblée nationale en deuxième lecture pour entrer en vigueur, entend ainsi faciliter l'achat de verres correcteurs. Mais aussi lever un obstacle à l'activité des opticiens. Selon les propos de Dominique Estrosi-Sassone, la France ne peut pas être "le seul pays de l'Union européenne à refuser une paire de lunettes à un client chinois ou américain qui a cassé la sienne".
Les enfants pourront échapper au dépistage. Là où le bât blesse, c'est qu'avec cet amendement, les sénateurs ouvrent la voie pour les opticiens, à la prescription-vente de lunettes, quel que soit l'âge, donc y compris à des enfants de moins de 16 ans, n'ayant jamais vu de médecin. Donc échappant potentiellement à un éventuel dépistage de trouble de la vision. "Cela nous pose problème parce qu'on sait que le passage par l'ophtalmologiste permet de dépister des maladies de la vision, comme le glaucome, la DMLA ou d'autres pathologies rétiniennes, s'alarme le docteur Thierry Bour, président du Syndicat National des Ophtalmologistes de France (SNOF), à l'occasion d'une conférence de presse donnée dans le cadre du 121e Congrès de la Société française d'ophtalmologie. C'est particulièrement inquiétant pour les enfants, qui ne seront dès lors plus protégés par la loi. On espère donc que cet amendement sera rejeté en deuxième lecture à l'Assemblée nationale."
Dans un tiers des cas en effet, les ophtalmologistes détectent d’autres pathologies, parfois graves lors de l’examen des patients venus pour un renouvellement d’ordonnance de lunettes. Un problème donc, d'autant que les affections de l’œil les plus graves sont asymptomatiques. Selon le syndicat des ophtalmologistes, "la loi met en danger ces patients et multiplie les pertes de chances" car en tout état de cause, "à de rares exceptions près, ils devront attendre un stade avancé de la maladie pour être alertés par des douleurs ou des gênes où les traitements sont plus lourds et moins efficaces."
Les ophtalmologistes s'inquiètent, mais visiblement les Français aussi : selon la dernière étude SNOF-IFOP (2014), 71 % d’entre eux s’opposent à ce qu’une personne non formée en faculté de médecine puisse effectuer un bilan oculaire et leur prescrire des lunettes.
Des propositions à venir pour faciliter la délivrance des lunettes et lentilles. "Nous ne sommes pas opposés à l'extension du dispositif qui existe depuis 2007 pour les lunettes, aux lentilles de contact, a encore précisé Thierry Bour. Mais on en revient quand même à l'obligation de l'ordonnance initiale, qui serait par exemple à renouveler tous les trois ans." Une proposition du SNOF allant dans ce sens a été proposée au ministère de la Santé, dans le cadre d'une mission IGAS confiée à Dominique Voynet en février dernier. Le rapport, dont les conclusions seront remises en juin prochain, devrait par ailleurs renforcer la coopération ophtalmo/orthoptiste afin de réduire les délais de rendez-vous.
Grâce à un financement dérogatoire, obtenu en janvier dernier, pour une durée de deux ans, un protocole de délégation des tâches entre ophtalmologistes et orthoptistes est en cours dans 14 régions. Avant une généralisation prévue sur tout le territoire et un financement par la Sécurité Sociale, si les résultats sont positifs. Pour l'heure, Thierry Bour est optimiste vis-à-vis de ce dispositif qui "réduit les délais d'attente pour les ordonnances de lunettes de 12 mois à 15 jours !"