Élie Semoun : "La répétition des situations est épuisante dans la maladie d'Alzheimer"
Élie Semoun est parrain de la Journée mondiale contre la maladie d'Alzheimer du 21 septembre 2021 pour la Fondation pour la Recherche Médicale. Il a accompagné son père atteint de cette maladie jusqu'à son décès en septembre 2020. Pour Le Journal des Femmes, il revient sur le rôle difficile de proche aidant qu'il a dû tenir pendant plusieurs mois. Rencontre.
Le Journal des Femmes : Vous êtes parrain de la Fondation pour la Recherche Médicale (FRM) à l'occasion de la Journée mondiale contre la maladie d'Alzheimer. Une maladie que vous connaissez bien puisqu'elle a touché votre père décédé le 12 septembre 2020. Qu'est-ce qui vous a donné envie d'accepter ce rôle de parrain ?
Élie Semoun : La même chose que ce qui m'a donné envie de faire un film*. Puisque j'ai décidé de mettre ma vie sous le regard du grand public, je me suis dit autant y aller à fond, jusqu'au bout. Le film que j'ai réalisé avec Marjory (Marjory Déjardin, ndlr) a provoqué énormément d'émotions chez ceux qui l'ont vu. J'ai voulu mettre ma popularité au service d'une cause et ça fait du bien aussi aux aidants de ne pas se sentir seul.
Le Journal des Femmes : Connaissiez-vous les symptômes de la maladie d'Alzheimer et son évolution avant d'y être confronté ?
Élie Semoun : Ça a commencé par une grande paranoïa de sa part, il (son père, ndlr) perdait ses clés, sa carte bleue et s'en est arrivé au point qu'il était persuadé que son voisin qui soi-disant avait fait de la prison fouillait sa maison, se servait de sa voiture et la remettait ensuite devant chez lui. On avait sans cesse des appels dans la nuit, la voisine se plaignait… On ne mettait pas un nom sur cette maladie au début, on se disait que c'était un délire de sénilité. Après on s'est renseigné avec ma sœur et on a vu que ça commençait comme ça.
Le Journal des Femmes : En France, la maladie d'Alzheimer concernerait 2 à 3 millions de personnes si on inclut les aidants. Qu'est-ce qui est le plus difficile à affronter quand on est proche aidant d'un malade d'Alzheimer ?
Élie Semoun : C'est la répétition des situations qui est épuisante. Il me posait la même question sur les mêmes choses au moins 4 ou 5 fois par jour si ce n'est plus : "Depuis combien de temps je suis là ?", "Qu'est-ce qu'on a fait hier ?". La maladie a un côté tragi-comique au début mais je perdais patience au bout d'un moment. On ressent aussi une forme d'ingratitude. On a envie d'un retour parfois. Quand on est petit, on idolâtre nos parents. Le voir diminuer intellectuellement était assez insupportable. L'image du père est totalement dégradé. On a n'a pas envie de savoir que son père porte des couches, qu'une dame le nettoie, c'est douloureux. La maladie vous prend beaucoup de temps et à un moment on lâche la bride et on le met dans un établissement.
Le Journal des Femmes : La décision du placement est-elle difficile à prendre ?
Élie Semoun : C'est horrible comme décision. Lui n'en n'a pas envie, il est dans le déni, ils sont tous dans le déni. Quand on y est allé la première fois, il m'a dit : "Oh, il y a que des vieux là-dedans". C'est un arrache-coeur de laisser son papa chéri dans un endroit sans âme. Il y est resté 9 mois. Quand le confinement est arrivé, il ne nous a pas vus pendant 1 à 2 mois, on l'appelait en vidéo mais ce n'est pas pareil. C'est là où il s'est amaigri. Il a perdu confiance en nous et s'est senti seul.
Le Journal des Femmes : Quels conseils donneriez-vous aux personnes qui doivent accompagner un père, une mère, un oncle, une tante... malade d'Alzheimer ?
Élie Semoun : De l'amener tout de suite dans un établissement spécialisé parce que sinon ça va pourrir la vie de ton père ou de ta mère et il va te pourrir la vie. Il faut se déculpabiliser de ça. J'aurai toujours en tête le commentaire d'une personne qui m'a écrit sur les réseaux pour me dire qu'avec l'argent que j'ai, j'aurai pu garder mon père chez moi. Mais l'argent ne fait pas tout. Devoir payer quelqu'un à venir chez la personne pour s'en occuper n'est pas une solution formidable. Il faut savoir lâcher prise, penser à soi sans se sentir coupable et le confier à des gens dont c'est le métier. Un Ehpad n'est pas forcément un mouroir.
Le Journal des Femmes : Votre métier d'humoriste et votre maîtrise de l'humour noir vous ont-ils aidé à traverser cette épreuve ?
Élie Semoun : Ça m'a aidé dans le sens où l'humour m'a toujours aidé dans ma vie. Mon père avait beaucoup d'humour aussi, beaucoup de second degré. Mais ce qui m'a aussi beaucoup aidé c'est cette caméra. Etre derrière la caméra m'a aidé parce que ça a fictionné un peu la vie de mon père, j'ai pris un peu de recul, de retrait. La réalité n'était plus là, aussi crue.
Le Journal des Femmes : La Fondation pour la Recherche Médicale se mobilise pour récolter des fonds et faire avancer la recherche sur la maladie d'Alzheimer alors qu'il n'existe aucun traitement pour la soigner. Que dire aux gens, selon vous, pour les inciter à donner ?
Élie Semoun : L'argent est le nerf de la guerre, les gens le savent. Ils vont être forcément concernés par cette maladie et seront généreux. Il y a un cas d'Alzheimer dans chaque famille. On est entouré de gens qui connaissent des gens qui ont Alzheimer. Ça va être difficile à éradiquer mais si on peut retarder les effets ce serait formidable. J'ai pas du tout envie d'avoir cette maladie, ça me semble logique de mettre son énergie et de faire marcher sa générosité en faveur de la recherche. Je voudrai d'ailleurs remercier les gens qui ont tellement écrit après le visionnage de ce film (réalisé sur son père, ndlr). Quand ils m'ont écrit, ils m'ont parlé d'eux-mêmes, de leur histoire plus que du film, je voudrai leur redire : "Vous n'êtes pas seuls."
Parmi les premiers financeurs caritatifs de la recherche biomédicale française sur la maladie d'Alzheimer, la Fondation pour la Recherche Médicale, institut reconnu d'utilité publique, a fait de ce combat une priorité absolue en investissant 7 millions d'euros ces deux dernières années sur 20 projets de recherche ambitieux. La maladie d'Alzheimer touche 900 000 personnes en France, et on ne sait pas encore la guérir. Un appel aux dons est lancé pour faire reculer la maladie aux côtés des chercheurs et de personnalités sur le site de la Fondation pour la Recherche Médicale. |
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* "Mon Vieux" est le titre du film documentaire écrit par Élie Semoun et Marjory Déjardin sur le quotidien du père d'Elie Semoun atteint de la maladie d'Alzheimer.