"La drépanocytose c'est la maladie de la douleur qui ne se voit pas"

Laetitia est atteinte de drépanocytose depuis sa naissance. Une maladie génétique douloureuse, mais invisible et méconnue, ce qui rend difficile sa prise en considération. Isolement, insultes, pleurs, parcours scolaire compliqué... La jeune femme de 29 ans nous raconte le quotidien d'une personne drépanocytaire pour faire changer les regards.

"La drépanocytose c'est la maladie de la douleur qui ne se voit pas"
© DEFOI Laetitia

Le Journal des Femmes : Vous souffrez de drépanocytose, de quoi s'agit-il ?

Laetitia : C'est une maladie génétique qui atteint les globules rouges. Au lieu d'être en forme de rond comme quelqu'un qui n'est pas malade, ils sont en forme de banane et sont rigides. Ils se bloquent dans les petits vaisseaux et ça créé un bouchon. C'est ce qu'on appelle une crise vaso-occlusive et c'est ce qui fait hyper mal. La drépanocyctose, c'est la maladie de la douleur, vraiment. Les crises c'est comme si on te poignarde à l'infini, ça peut être partout dans le corps, là où il y a le bouchon. Si la crise ne passe pas, on va à l'hôpital et on passe devant tout le monde parce qu'on peut mourir. Comme les globules rouges transportent l'oxygène, le corps est aussi mal oxygéné et on a des organes qui sont défaillants.

A quel âge avez-vous eu connaissance de votre maladie ?

Laetitia : Je l'ai toujours su parce que ma mère me l'a toujours dit. Elle l'a su quand elle était enceinte et on lui a proposé d'avorter. Je ne savais pas vraiment ce que c'était mais je savais que j'avais une maladie quand j'étais petite.

Qu'est-ce qui est le plus difficile avec cette maladie ?

Laetitia : Qu'elle soit invisible. C'est compliqué pour les gens de nous croire parce qu'une crise ne se voit pas. Et on ne pleure pas toujours comme on l'a depuis qu'on est petit, on a appris à intérioriser la douleur.

"Je n'étais ni dans le groupe des valides ni dans celui des invalides"

Comment se passait l'école avec votre maladie ?

Laetitia : J'ai eu deux périodes. Je vivais en Martinique jusqu'à l'âge de 12 ans. J'étais tout le temps absente mais les profs ne m'ont jamais demandé pourquoi. Un jour, à la suite d'une crise, j'ai commencé à boiter et ça ne partait pas. J'avais 11 ans. Ma mère ne comprenait pas, elle m'a emmenée voir des médecins et ils lui ont dit : "Elle n'a rien." D'habitude, quand je faisais des crises, j'allais à l'hôpital ou ma maman me gardait à la maison et une fois que la crise était finie, tout redevenait normal mais pas cette fois. Pendant 6 mois, j'ai boité. Ma mère en a eu marre, elle m'a demandé si j'avais vraiment mal, j'ai dit "oui". Et un jour, tout a disparu dans la maison, il n'y avait plus rien. Ma mère avait tout vendu pour payer des billets pour aller en France métropolitaine. Ma mère est handicapée, elle n'a jamais travaillé et elle nous a élevé, mon frère, ma sœur et moi seule. Arrivée en France, elle a pris rendez-vous chez un médecin. Je m'en rappellerai toujours. Il a dit : "Mais comment tu fais pour marcher ?". J'étais au dernier stade d'ostéonécrose, il n'y avait plus d'os au niveau de ma hanche. J'ai été en fauteuil roulant pendant mes années collège, de 12 ans jusqu'à 16 ans.

 

Vous a-t-on proposé d'autres protocoles de traitements quand vous êtes arrivée en France ?

Laetitia : Non mais j'ai eu de la chance parce que j'ai pu me faire opérer. Par contre à l'école, c'était toujours un peu compliqué. J'étais contente parce que j'étais dans un collège adapté, il y avait un ascenseur pour accéder aux classes, plein de gens en fauteuil roulant. Je me suis dit "Je suis dans le groupe des gens en fauteuil roulant, je ne suis pas seule". Des voyages adaptés étaient organisés. Mais lors du premier voyage, on m'a convoquée et on m'a dit : "Tu ne pars pas." J'ai demandé pourquoi. On m'a dit : "Toi, on ne peut pas t'emmener parce qu'on ne comprend pas ta maladie." Du coup moi pendant les 4 ans, je ne suis jamais partie. Je me suis sentie vraiment seule. Je n'étais ni dans le groupe des valides ni dans celui des invalides et c'est vraiment là que j'ai pris conscience que j'avais une maladie que personne ne connaissait.

Et après le collège, qu'avez-vous fait ? Avez-vous pu aller au lycée ?

Laetitia : Après la Troisième, j'ai pu quitter mon fauteuil roulant grâce aux opérations que j'ai subies et j'ai pu marcher en béquilles. J'ai fait une Seconde normale, une Première et une Terminale ST2S (Sciences et Technologies de la Santé et du Social). Mais j'étais souvent absente à cause des crises.

Mon professeur me disait : "Tu ne feras jamais rien de ta vie."

Mon prof principal ne connaissait pas du tout ma maladie donc je me faisais brimer tout le temps, il pensait que je faisais exprès, il disait toujours : "Tu n'auras jamais ton bac", "Tu ne feras jamais rien de ta vie" devant toute la classe, je pleurais souvent. Mais j'ai eu mon bac. J'ai quitté Orléans pour aller à Paris. Je suis allée à l'hôpital Henri Mondor et pour la première fois de ma vie, à 19 ans, on m'a soignée. J'ai pu ensuite faire ce que je voulais vraiment, j'ai intégré une école d'infirmière. Ça a super bien marché au début puis en troisième année, l'ostéonécrose est revenue donc je ne pouvais à nouveau quasiment plus marcher. C'était l'horreur, je boitais donc j'ai subi des greffes de moelle. Ça n'a pas marché. Et là ça été la catastrophe avec les infirmières avec qui je travaillais. J'ai eu des stages où elles me disaient : "Pourquoi tu viens ?", "Il ne faut pas venir si tu as cette maladie là", "De toutes façons, vous les drépanocytaires vous allez mourir tôt". Après je suis passée de nuit et ça allait mieux.

Vous avez réussi à obtenir votre diplôme d'infirmière ?

Laetitia : Oui, je l'ai eu et j'ai travaillé un an. Après, je n'en pouvais vraiment plus, j'ai arrêté. Mais comme j'aimais la santé, j'ai fait un Master en Santé publique. Pendant le Master on m'a opérée de la hanche et on m'a mis une prothèse, c'était le dernier recours, il n'y avait plus rien à faire. C'était en 2016. J'ai eu mon Master en 2017.

Que faites-vous aujourd'hui ?

Laetitia : Lors de mon Master, j'ai rencontré des amis et on a décidé de se bouger pour la drépanocytose. On a créé une application mobile DREPACARE car personne ne l'avait jamais fait. À la base c'était un sujet de mémoire et puis on a vu l'engouement des médecins avec qui on travaille et des hôpitaux. Du coup, on a décidé de continuer et on fait ça depuis deux ans.

Où en est votre maladie ?

Laetitia : J'ai une ostéonécrose de l'autre hanche mais elle ne me fait pas mal. Les médecins attendent que vraiment je ne puisse plus marcher pour m'opérer. 

Comment gérez-vous la douleur ?

Laetitia : On nous donne des antidouleurs à la maison.

Participez-vous à des essais médicaux pour améliorer la prise en charge de la drépanocytose ?

Laetitia : J'ai participé à la formation de Patient-Expert du coup, j'interviens dans des écoles d'infirmières pour parler de la drépanocytose et de sa prise en charge. Dans les hôpitaux, on fait des groupes de parole avec des patients et des parents. Il y a des essais pour les traitements mais je n'en fais pas partie.

"J'aimerais que les malades délient leur langue."

Que dites-vous aux gens qui souffrent de drépanocytose et à leur famille ?

Laetitia : Je leur dis que si la maladie est tellement méconnue c'est parce qu'on n'en parle pas et qu'on a une part de responsabilités. J'aimerais que les malades délient leur langue. Si on veut que le monde sache, que la prise en charge avance, que les gens s'y intéressent, qui mieux que nous pouvons dire ce que l'on ressent, comment ça nous fait mal et comment on vit au quotidien ? Même les médecins ne sont pas au courant de ce que ça nous fait vivre.

On nous dit qu'on n'a pas vraiment mal comme ça ne se voit pas sur notre tête.

Et à ceux qui ne connaissent pas ou mal cette maladie ?

Laetitia : Cette maladie est un handicap invisible. On voudrait passer un message de tolérance, d'abord pour les professionnels de santé. Quand on fait des crises, on se fait traiter de drogués souvent, on nous dit qu'on est là juste pour la morphine parce qu'on n'a pas vraiment mal comme ça ne se voit pas sur notre tête. Mais c'est une maladie chronique, on vit avec depuis qu'on est petit, on n'est pas en train de hurler à la mort mais il faut nous croire, c'est une maladie qui fait extrêmement mal et quand on arrive pour les voir c'est qu'on est à l'extrême. Pour le grand public, c'est aussi message de tolérance. Il faut être tolérant, par exemple avant d'insulter quelqu'un parce qu'elle fait la queue à une caisse prioritaire, qu'elle est jeune et qu'elle est debout. Ça m'arrive quasiment tous les jours. Ou quand je mets ma Carte d'invalidité sur ma voiture et que je me gare sur une place handicapée, on me fait un regard assassin.

Il faut dire aux drépanocytaires : "Vous n'êtes pas seuls"

A qui parler quand on souffre de drépanocytose mais qu'on a honte ?

Laetitia : J'ai ouvert une page sur sur Facebook qui s'appelle "Oui j'ai la drépanocytose" et tous les jours quelqu'un me dit qu'il est content que j'en parle et me demande si on peut en parler ensemble. Les gens voient qu'ils ne sont pas seuls. J'ai fait pareil avec mon compte Instagram "miss.letu" et je reçois des messages tout le temps pour discuter de la maladie. Il faut dire aux drépanocytaires "Vous n'êtes pas seuls" et si vous vous sentez seuls, venez me contacter sur les réseaux.