"Les patients sont pris en otage" avec les statines

La publication, très controversée, du livre du professeur Even, qui met en doute l'efficacité des statines dans le traitement du cholestérol, fait réagir un grand nombre de scientifiques. Parmi eux, le docteur Boris Hansel, endocrinologue, rappelle que les statines ont démontré leur efficacité et craint que la polémique actuelle ne mette en danger la santé des patients.

"Les patients sont pris en otage" avec les statines
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Le docteur Boris Hansel. © Cécile Debise / Le Journal des Femmes

Le mauvais cholestérol n'existerait pas et les statines -médicaments les plus couramment prescrits- auraient une efficacité minime. Telle est la thèse, quelque peu provocatrice exposée par le Pr Even, dans son livre  La vérité sur le cholestérol, publié ce 21 février. Le médecin n'en est pas à son premier coup médiatique. Lors de la sortie de son précédent livre Guide des 4 000 médicaments utiles, inutiles ou dangereux, il avait déjà fait beaucoup parler de lui. Il déclarait alors que "plus d'un médicament sur deux serait inutile, voire inefficace". Auparavant en 2011, alors qu'il était interrogé sur RMC, le pneumologue assurait, non sans aplomb, que le "tabagisme passif n'existe pas". 25 ans en arrière, alors que le SIDA faisait la une des journaux dans le monde entier, Philippe Even accompagné par deux autres médecins, tenait une conférence de presse où il annonçait avoir découvert un traitement contre le SIDA.
Avec ce nouveau coup d'éclat, le professeur Even s'attaque à un autre dossier colossal. Et pour cause : le cholestérol touche 5 millions de patients en France et 220 millions dans le monde. Pourtant, la communauté médicale n'a pas tardé à réagir pour dénoncer ces propos infondés, ainsi que le climat de défiance envers la médecine qu'ils entretiennent. La Haute autorité de santé a par ailleurs publié un communiqué "Pour un bon usage des statines", dans lequel elle confirme que les statines sont associées à une baisse de la mortalité. Elle précise "qu'inquiéter les malades, provoquer leur défiance vis-à-vis d'un traitement utile et vis-à-vis des médecins qui le prescrivent, n'est pas responsable". Ni même de "faire courir le risque d'arrêter leur traitement à des malades qui en ont réellement besoin." Car ce sont bien les patients qui risquent les premiers de souffrir de cette nouvelle polémique.

La réaction du Dr Boris Hansel, endocrinologue et spécialiste du cholestérol :

Malheureusement, ce sont les patients les plus fragiles qui vont en subir les conséquences.

Avez-vous constaté à ce jour des arrêts de traitement chez vos patients ?
Dr Boris Hansel
 : Oui bien sûr, mes confrères et moi sommes déjà confrontés à des patients déboussolés qui posent des questions et qui veulent arrêter de prendre leurs médicaments contre le cholestérol. Les patients n'ont pas à être pris en otage dans un débat médical qui exige des connaissances approfondies pour pouvoir sérieusement faire le tri entre le vrai et le faux. La place de ce débat, s'il doit avoir lieu, est dans les revues et les congrès scientifiques. Malheureusement, ce sont les patients les plus fragiles qui vont subir les conséquences de cette vulgarisation, en perdant leur confiance vis-à-vis de leur médecin et en arrêtant de prendre leur médicament.

La prise de statines est associée à une baisse de la mortalité de 15 %.

Le professeur Even remet en cause l'utilité des statines. Qu'en pensez-vous ?
D'un point de vue scientifique, en se basant sur les données des sociétés savantes  et des autorités de santé françaises et internationales, il n'y a pas de discussion sur l'intérêt des statines dans la prévention des maladies cardiovasculaires. Les dernières conclusions de la Cochrane (une organisation indépendante internationale regroupant des médecins, chercheurs et représentants d'associations de patients, NDLR), publiées en janvier dernier, confirment aussi l'intérêt des statines, y compris en prévention primaire, donc chez les patients n'ayant jamais fait d'AVC ou d'infarctus. Dans cette synthèse des données existantes, la prise de statines est associée à une baisse de la mortalité de 15 % environ et à une réduction de 25 % des événements cardiovasculaires dans leur ensemble.

Les statines ne sont-elles pas trop ou mal prescrites ?
Actuellement les prescriptions se basent sur les recommandations françaises et internationales, qui consistent à évaluer au cas par cas pour chaque patient, le rapport bénéfice/risque de la mise en place d'un traitement médicamenteux. Pour cela, il existe des outils qui prennent en compte les risques et l'histoire du patient : est-ce que la personne a déjà fait un accident cardiovasculaire ? Quel est son taux de mauvais cholestérol (LDL cholestérol) ? A-t-elle d'autres facteurs de risque et des antécédents familiaux ? En fonction de ces éléments, le médecin décide, si oui ou non, un traitement est nécessaire. Si la réponse est évidente après un accident cardiovasculaire (en prévention secondaire) et chez les patients à haut risque cardiovasculaire, la question du taux de cholestérol, au-delà duquel on prescrit un médicament chez les patients à risque modéré, ne fait pas encore consensus. Il serait effectivement intéressant d'en débattre et il me semble important que la Haute autorité de santé émette de nouvelles recommandations pour homogénéiser les prescriptions des médecins.

On parle aussi d'effets indésirables liés aux statines. Qu'en est-il ?
On ne constate pas d'effets secondaires graves fréquents avec les statines. Selon la synthèse récente de la Cochrane, la qualité de vie des patients est d'ailleurs améliorée. Quoi qu'il en soit, une surveillance médicale annuelle est dans tous les cas primordiale afin de refaire un bilan lipidique et de noter les éventuels effets secondaires des médicaments. Si besoin et en fonction du patient, on peut changer de molécule.

Pour terminer, je précise que le médicament ne fait pas tout. Dans tous les cas, les mesures diététiques et l'activité physique sont essentielles dans la prévention cardiovasculaire. Il y a certainement des progrès à faire à ce sujet pour que nous soyons plus efficaces quand nous prescrivons un changement des habitudes de vie à nos patients.