Le Dr. Jean-Victor Blanc, psychiatre cinéphile, décrypte SWALLOW
En salles le 15 janvier, "Swallow", premier long-métrage de l'Américain Carlo Mirabella-Davis, dresse le portrait d'une desperate housewive, atteinte de la Maladie de Pica, qui avale des objets pour congédier la dépression. A cette occasion, nous avons sollicité l'avis d'un psychiatre : le Dr. Jean-Victor Blanc.
Dans l'essai Pop & Psy, paru en octobre dernier chez Plon, il décrypte la façon dont le cinéma aborde les thématiques associées à la psychiatrie. Le Dr. Jean-Victor Blanc, 32 ans, anime également, une fois par mois au MK2 Beaubourg, des conférences autour d'une œuvre cinématographique relative à ladite question. Derniers exemples : Melancholia ou Requiem for a Dream. A l'occasion de la sortie de Swallow, le premier film de Carlo Mirabella-Davis, nous avons fait appel à son expertise pour discuter de l'héroïne, une jeune mariée dépressive souffrant de la maladie de Pica (qui pousse des individus à manger des choses non-comestibles). Mais aussi, et plus largement, de la folie au cinéma. Rencontre.
Quelle a été votre réaction suite à la projection de Swallow ?
Dr. Jean-Victor Blanc : En tant que spectateur, c'est un film que j'ai beaucoup aimé. En tant que psychiatre, j'ai trouvé qu'il posait des questions de manière très intelligente et fine à travers ce symptôme assez énigmatique et fascinant que peut être la maladie de Pica. Il nous interroge aussi sur la dépression d'une femme enceinte.
Swallow est-il un bon élève, proche du réel ?
Dr. Jean-Victor Blanc : Oui, ça tient la route. Il faut toutefois savoir que Pica est une maladie extrêmement rare, beaucoup plus que la dépression périnatale qui touche les femmes enceintes ou venant d'accoucher. En termes de crédibilité symptomatique, j'ai également trouvé ça assez juste. Petite précision : il est bon de rappeler qu'un psychiatre n'a pas le droit de se libérer du secret médical, qu'importent les pressions auxquelles il est soumis. Dans le film, la psychiatre de l'héroïne enfreint la loi. Dans la vraie vie, elle serait radiée de l'ordre des médecins et aurait plusieurs procès à son compte.
Pourquoi y a-t-il une prévalence de Pica chez les femmes enceintes ?
Dr. Jean-Victor Blanc : Plusieurs études essayent justement de le comprendre. On sait que ça arrive plus souvent chez des personnes qui ont une anémie et une carence en certains oligoéléments, notamment en fer. Aujourd'hui, on n'arrive pas bien à dire si c'est ce manque qui provoque ce comportement visant à manger de la terre ou de l'argile, lesquels contiennent des oligoéléments, ou si, au contraire, c'est pour des raisons culturelles… Pica a longtemps été associée, notamment en Afrique Noire, à des croyances poussant les femmes enceintes à manger de l'argile afin d'avoir une bonne grossesse. L'argile agit un peu comme une sorte de tapis au niveau de l'estomac empêchant l'absorption des micronutriments, laquelle, à son tour, peut engendrer une anémie. Ça va un peu dans les deux sens.
Ce syndrome a-t-il une origine particulière ? Que sait-on dessus ?
Dr. Jean-Victor Blanc : On ignore d'où ça vient, comme c'est d'ailleurs le cas pour beaucoup de maladies en psychiatrie. On sait que Pica est souvent associé à d'autres pathologies. Par exemple, on peut le voir chez des patients atteints de démence, comme Alzheimer, ou de maladies plutôt neurologiques. Dans mon exercice, ça touche surtout des personnes âgées atteintes de syndromes démentiels.
Hunter, l'héroïne du film, vit une sorte de libération et de catharsis en avalant des objets. Est-ce pareil pour tout le monde ? Plus largement, que recherchent les personnes qui souffrent de ladite pathologie ?
Dr. Jean-Victor Blanc : C'est très difficile à dire… Quelqu'un qui est dément et qui mange une pile ou autre chose, c'est parce qu'il a oublié que ce n'est pas une substance alimentaire. Il avale tout ce qui se présente à lui. Il est donc difficile de faire des généralités. Ce symptôme reste en tout cas très cinématographique. Carlo Mirabella-Davis, le réalisateur, en fait une métaphore. Quand Hunter avale un glaçon, ça donne l'image juste d'une personne souffrant d'addiction face à l'objet de son désir. Il y a un côté un peu obsédant, irrésistible. Ça ressemble à un symptôme en addictologie qu'on appelle le craving.
Dans votre livre Pop & Psy, vous décriez entre autre les mauvaises représentations des névroses au cinéma…
Dr. Jean-Victor Blanc : Oui… Le but de mon livre n'est pas de censurer mais de décoder et d'aider à comprendre. Je ne dis pas que tel film a le droit d'exister ou non. Pour Swallow, ce qui est intéressant, c'est l'histoire autour de la grossesse. N'oublions pas que la dépression périnatale touche une femme sur dix : c'est loin d'être anecdotique… Au-delà de ses qualités formelles, le film dit des choses intéressantes sur la santé mentale.
La folie fascine beaucoup. Le public est client des personnages tourmentés, borderline… Dernier exemple en date : le succès de Joker. D'où vient cette fascination ?
Dr. Jean-Victor Blanc : Pas simple de donner une réponse. Ce qui est certain, c'est que cette fascination est le reflet de quelque chose d'assez juste… Il y a aussi un côté cathartique, c'est connu depuis le théâtre dans la Grèce ancienne. La santé mentale et les troubles psychiques concernent en tout cas beaucoup de monde dans nos sociétés ; on considère qu'une personne sur quatre aura un trouble psychique au cours de sa vie. Il y a aussi d'autres explications plus cinématographiques. Je pense que certaines pathologies sont très fascinantes et cinégéniques, comme les hallucinations. Le problème, c'est que ça a aussi pu être utilisé de manière un peu plus paresseuse par des scénaristes… On ne peut pas faire faire tout et n'importe quoi à un patient sous prétexte qu'il souffre d'un trouble. Ça donne des œuvres moins crédibles. L'idée de mon travail, c'est de faire de la pédagogie autour de la santé mentale, de changer le regard et apporter des connaissances. Les pathologies mentales ont beaucoup d'idées reçues et sont très mal connues en tant que fait médical. Du coup, les patients qui en sont atteints sont exposés à des préjugés et des discriminations.
A ce jour, quel est le meilleur film que vous ayez vu sur la folie ?
Dr. Jean-Victor Blanc : Demain et Tous les Autres Jours de Noémie Llvovsky, que je cite souvent. Il présente une mère atteinte d'un trouble schizophrénique. Elle ne cède pas à la facilité et figure la maladie de manière extrêmement réaliste. J'ai eu l'impression de voir des patients que je suis.