Dr Syndi Cossat, jeune médecin équilibriste
Dans le dernier film des frères Dardenne, La fille inconnue, une jeune médecin généraliste fait le choix de reprendre la clientèle d'un médecin retraité. Joignable 24h/24, elle vit dans son cabinet et met entre parenthèses sa vie privée. L'occasion de nous interroger sur le quotidien des jeunes médecins généralistes.
Le docteur Syndi Cossat exerce comme médecin généraliste spécialisée en homéopathie et en micronutrition à Bordeaux. Installée dans un cabinet médical pluridisciplinaire depuis trois ans, elle nous parle avec franchise de son quotidien, qu'elle a façonné afin de préserver sa vie familiale, mais aussi une certaine façon d'exercer la médecine. Entretien.
Vous installer avec d'autres médecins, c'était une évidence ?
Oui, j'ai eu cette opportunité de pouvoir rejoindre une structure de groupe, dans un cabinet médical situé dans le centre de Bordeaux, avec deux autres médecins généralistes, un ostéopathe et un psychologue. Si cela n'avait pas été le cas, je ne me serais jamais installée ! Clairement, les conditions ne sont pas réunies aujourd'hui pour s'installer seul quand on est jeune médecin généraliste, ce n'est absolument pas un gage de réussite. Autant faire des remplacements : non seulement cela permet d'être plus flexible par rapport à son emploi du temps, mais c'est surtout plus rentable.
A quoi ressemble votre quotidien ?
Le matin, de 8h30 à 14h, j'enchaîne les rendez-vous de médecine générale, ce qui peut représenter pas loin de 20 patients. L'après-midi, de 15h à 18h30, est réservé à mes consultations d'homéopathie et de micronutrition, et si besoin aux urgences. Je réserve une demi-journée le vendredi pour les tâches administratives. C'est beaucoup, mais il m'est impossible de faire autrement et je préfère libérer une demi-journée plutôt que de faire cela tous les jours en même temps que mes consultations.
Parvenez-vous à concilier votre travail de médecin et votre vie de femme ?
L'ère du médecin de campagne dévoué à 150% à ses patients est terminée... Aujourd'hui, les jeunes médecins ne veulent pas renoncer à leur qualité de vie. Alors, oui, je tiens beaucoup à préserver un certain équilibre de vie, et en tout cas, j'ai tout mis en place pour que cela fonctionne. J'ai deux enfants en bas âge, je ne travaille pas le mercredi. Le reste du temps, je travaille beaucoup mais j'ai jalonné mon activité de règles auxquelles je tiens.
Mais n'est-il pas compliqué de tenir ces limites... ?
"J'ai appris à dire non"
Non, je n'ai pas le choix, j'ai appris à dire non. Je quitte mon cabinet à 19h pour être chez moi à 19h15 pour m'occuper de mes enfants. En cas d'urgence le soir, j'oriente les patients vers SOS médecins, mais il est hors de question que j'ouvre ma porte à 21 h ! Évidemment, il m'arrive d'envoyer des SMS à des patients depuis mon domicile pour leur donner des résultats urgents par exemple, mais franchement je suis peu dérangée.
Globalement, vous semblez avoir peu de contraintes... ?
J'ai trouvé mon équilibre avec un emploi du temps flexible, mon activité est rentable, donc en effet je n'ai pas à me plaindre. Mais j'ai bien conscience de ne pas être représentative de tous les jeunes médecins généralistes. Tout dépend du lieu où l'on s'installe et de la clientèle. J'ai la chance de travailler dans le centre ville de Bordeaux, je ne fais pas de visites à domicile, mes patients sont plutôt jeunes, en bonne santé... Il règne aussi un esprit un peu "bobo" qui fait que les patients sont sensibilisés aux médecines alternatives, cela colle parfaitement avec mon activité.
Professionnellement, vous êtes épanouie ?
Oui, parce que là encore, c'est une question d'équilibre. J'aime bien l'idée de pouvoir avoir deux temps dans mon travail. Le matin, j’enchaîne avec les consultations de médecine générale classiques. L'après-midi, en revanche, je passe davantage de temps avec mes patients. Je reprends tout à zéro, je débriefe en quelque sorte, je prends le temps de comprendre et de proposer une prise en charge charge de qualité, individualisée et adaptée au patient. Par exemple, si c'est un patient en pré-diabète, je lui explique comment il doit s'alimenter. Et croyez-moi, ce n'est pas évident, parce que les gens sont perdus et sous-éduqués en matière de nutrition. Mais ce travail de prévention, au cas par cas, est primordial. C'est tout simplement une médecine de l'humain et je pense qu'il faut la préserver. Si je devais passer un quart d'heure avec tous mes patients, je serais frustrée !
Mais passer du temps avec les patients, cela a un prix ?
Une consultation classique c'est 23 euros, mais le problème, c'est qu'en exerçant en secteur 1, je ne peux pas faire de dépassement lorsque je passe davantage de temps avec mes patients, même si je leur propose une consultation spécialisée en homéopathie ou en micro-nutrition. Pourtant, j'ai passé des diplômes pour acquérir ces spécialités mais de manière complètement contradictoire, je suis contrainte de faire du hors nomenclature pour monter le prix de la consultation. J'aimerais que l'Etat favorise davantage la médecine préventive et les médecines alternatives. Mais la France est très en retard et pense toujours, sous la pression des lobbys pharmaceutiques, que toute consultation passe par un traitement médicamenteux... Il y a aussi cette idée très ancrée que la médecine devrait être gratuite, mais c'est une hérésie ! Et surtout, le paiement à l'acte n'est pas compatible avec la multiplicité des consultations, c'est une complète contradiction. Je pense qu'il faudrait adapter nos tarifs à l'investissement passé et au temps passé avec le patient. Clairement, si l'Etat garde sa ligne, je finirai déconventionnée. Avec les règles fiscales actuelles, on ne peut pas travailler plus pour gagner plus, cela ne fonctionne pas !
Regardez la bande-annonce de La fille inconnue, en salles le 12 octobre :