Pétition du Pr Joyeux au sujet de la vaccination : Non, les enfants ne sont pas en danger
Une pétition lancée par le Pr Joyeux a recueilli près de 700 000 signatures en l'espace de quelques jours. Principal argument avancé par ce médecin peu crédible : la mise en danger des nourrissons. Faut-il s'inquiéter ?
"Que feriez-vous si : vous deviez vacciner votre bébé pour le protéger contre de graves maladies. Mais que le vaccin normal, efficace et sûr, n'était plus disponible, et que le seul produit en vente était un prétendu "super vaccin", pas assez testé et contenant des additifs neurotoxiques et peut-être cancérogènes ?", c'est en ces termes anxiogènes que le Pr Henri Joyeux interpelle les internautes depuis plusieurs semaines. Et ça marche : il a déjà recueilli près de 700 000 signatures.
Ce "super vaccin", c'est le vaccin combiné hexavalent, l'Infanrix Hexa, qui comme son nom l'indique protège contre six pathologies différentes : la diphtérie, le tétanos, la poliomyélite, l'haemophilus influenzae b et l'hépatite B. Il faut savoir que près de 90 % des nourrissons bénéficient de ce vaccin, administré en 3 fois à 2 mois, 4 mois et 11 mois.
Pour un peu moins des 10 % des autres bébés, dont les parents refusent le vaccin contre l'hépatite B, un autre vaccin est disponible sous forme pentavalente, l'Infanrix Quinta. Et c'est justement ce vaccin qui connait actuellement des tensions d'approvisionnement. En attendant un retour à la normale, prévu à la fin de l'année 2015, ce vaccin peut donc être remplacé par son équivalent en version hexa (donc contenant l'hépatite B), recommandent les autorités de santé.
Dans sa pétition, Henri Joyeux avance une série d'arguments tendant à prouver que ce vaccin hexavalent, pourtant administré à la majorité des nourrissons depuis plusieurs années, serait dangereux. Ses arguments, plus alarmistes les uns que les autres, ont de quoi faire douter plus d'un parent. Alors, essayons d'y voir plus clair. Daniel Floret, Président du Comité technique des vaccinations, revient point par point sur ses arguments.
L'Infanrix Hexa n'a pas été suffisamment testé : Faux
"L’Infanrix Hexa a évidemment été testé, comme tous les vaccins, et je dirais même beaucoup plus que n’importe quel autre médicament. Les vaccins sont de loin, les médicaments les plus contrôlés !, assure Daniel Floret. En outre, ce vaccin, disponible depuis 2002 et utilisé dans les autres pays européens n’a fait l’objet d’aucun signal particulier, vis-à-vis d’éventuels effets secondaires."
Il provoque des chocs anaphylactiques : Vrai, mais comme tout vaccin
Dans sa pétition, le Pr Joyeux, explique que vacciner les enfants contre "six maladies graves d'un coup" constituerait un geste médical "risqué", pouvant déclencher une réaction immunitaire incontrôlée (choc anaphylactique). Selon lui, le vaccin provoquerait même "une tempête du système immunitaire". Pour Daniel Floret, les chocs anaphylactiques existent bel et bien, mais ils sont exceptionnels au regard des millions de doses administrées partout dans le monde. Qui plus est, "ils concernent tous les types de vaccins". Et surtout, "ils sont liés aux autres composés du vaccin, par exemple des résidus d’antibiotiques, et non aux antigènes eux-mêmes".
Et à long terme, les additifs qu'il contient seraient neurotoxiques ?
Ces composés incriminés par le Pr Joyeux, ce sont les sels d'aluminium, utilisés comme adjuvants. Selon lui, ces sels d'aluminum que l'on déconseille dans les déodorants, peuvent provoquer de "graves maladies", comme la myofasciite à macrophages, mais aussi la maladie d'Alzheimer ou la maladie de Parkinson. En réalité, la présence d'adjuvants dans les vaccins fait polémique depuis plusieurs années. Le Pr Joyeux surfe donc sur une inquiétude déjà ancienne et relayée régulièrement par des associations de patients. L'association d'entraide aux malades de myofasciite à macrophages (E3M) a ainsi communiqué à plusieurs reprises ses doutes quant aux conditions du retrait du vaccin DTP sans aluminium survenu courant 2008. Elle reproche notamment au laboratoire Sanofi d'avoir annoncé officiellement une hausse importante d’effets indésirables, pour le remplacer par un vaccin avec sels d'aluminium, plus complexe à produire, donc plus cher, donc plus rentable. L'association a même déposé une plainte contre X en février 2014, il y a donc plus d'un an, pour "faux, usage de faux, et escroquerie", devant le Procureur de la République.
Pour rappel, les adjuvants sont ajoutés dans les vaccins afin d'améliorer leur efficacité en stimulant la réponse immunitaire. "L’aluminium est intégré dans les vaccins depuis de nombreuses années, confirme Daniel Floret. C’est un composant indispensable et s’il y avait un quelconque problème, on s’en serait déjà aperçu." Il l'affirme : "il n’y a aucun début de relation entre la présence d’aluminium dans les vaccins et ces maladies."
Néanmoins, une étude actuellement en cours, visant à établir un lien entre aluminium et myofasciites à macrophages, reçoit des financements de l'Agence du médicament (ANSM), donc des autorités de Santé. De quoi, laisser planer un doute chez les parents. "Oui, je comprends que cela puisse leur mettre le doute, mais si l’ANSM a accepté de financer cette étude c’est dans un esprit de transparence et sous la pression du gouvernement, en espérant ainsi mettre un terme à des discussions qui n'ont pas lieu d'être", justifie Daniel Floret. Selon lui, il s'agit d'une préoccupation "franco-française".
L'Infanrix hexa contient du formaldéhyde, un composé cancérigène : pas dans le cadre de la vaccination
Encore un argument pour avancer que ce vaccin serait dangereux : il contiendrait un produit classé cancérigène probable par l'OMS, le formaldéhyde. Cela n'est pas faux, le formaldéhyde étant en effet suspecté d'être cancérigène, mais uniquement sous sa forme inhalée, dans le cadre d'une exposition professionnelle. "Le formaldéhyde est un irritant des voies aériennes supérieures lorsqu’il est inhalé et une irritation des yeux, du nez et de la gorge peut apparaître", résume l'Agence de l'environnement (Anses). Quant à ses sources, elles peuvent être naturelles (feux de forêts par exemple), liées à la pollution extérieure (trafic routier, incinérateurs, etc.) mais aussi intérieure (fumée de cigarette, bougies, encens, meubles, produits de bricolage, produits d'entretien, vernis, etc.). A l'inverse, le formaldéhyde présent dans les vaccins en quantités infinitésimales dans le but d'inactiver certains micro-organismes, est sans danger pour la santé.
Il est absurde de vacciner les nourrissons contre l'hépatite B : Faux
Selon le Pr Joyeux, il ne serait pas utile de vacciner les bébés contre l'hépatite B car ils n'ont pas de risque d'être infectés (en dehors des cas où la mère est porteuse du virus). Rappelons que l'hépatite B est une infection sexuellement transmissible due au virus VHB, un virus hautement transmissible par voie sanguine ou sexuelle. Comme pour une hépatite C, elle peut être asymptomatique pendant plusieurs années avant d'évoluer vers des pathologies sévères (cirrhoses, cancer du foie). Alors, utile ou pas utile de vacciner les nourrissons à une période où le risque de contamination est très faible ? En premier lieu, "il faut savoir que lorsque le vaccin est administré très tôt, il est efficace longtemps, probablement à vie", nous explique Daniel Floret. "Par ailleurs, le début de l’adolescence est certes le meilleur moment pour vacciner contre l’hépatite B, mais à cette période, on sait qu’il est plus compliqué de vacciner les adolescents. Et pour cause : ils ne se préoccupent pas de leur santé et encore moins des vaccinations. Les parents n’y pensent pas non plus. Donc au final seulement 40 % des adolescents se font vacciner, ce qui veut dire que 60 % d’entre eux entrent dans une période de risque, sans protection !, déplore-t-il.
Un constat partagé par le Pr Marcellin, hépatologue à l'hôpital Beaujon, que nous avions interrogé dans un précédent dossier : "On sait bien que les comportements les plus à risque ont lieu vers l'adolescence, lorsque l'on débute sa vie sexuelle et que l'on est moins conscient des dangers. Il est donc important d'être déjà protégé à ce moment-là. En outre, lorsque l'on est vacciné dans l'enfance, aucun rappel n'est nécessaire, on bénéficie d'une protection à vie."
Le vaccin contre l'hépatite B provoque des SEP : Cela n'est pas démontré
Par ailleurs, bien que le vaccin contre l'hépatite B ait été accusé par le passé de provoquer des scléroses en plaques, ce que ne manque pas de rappeler le Pr Joyeux, il n'existe pas de lien scientifique établi, estiment les autorités de santé. Et le Pr Floret d'ajouter : "il n’existe aucun problème de tolérance et aucun cas de sclérose en plaques n’a jamais été décrit chez un bébé."
Le code de Santé Publique ne protège pas les enfants vaccinés avec un vaccin "recommandé" : Faux
Selon le Pr Joyeux, le code de Santé publique prévoit des indemnités en cas de préjudice causé par un vaccin, mais uniquement lorsque le vaccin est obligatoire. "Absolument pas !, s'étonne encore Daniel Floret. Dans le cadre d’une vaccination obligatoire la procédure est certes simplifiée. Mais en ayant recourt à une commission régionale d’indemnisation, on peut bénéficier d'indemnisations, même si cela prend davantage de temps et qu'il faut nommer des experts." En outre, Daniel Floret précise que lorsqu’il s’agit d’un effet secondaire reconnu, "le doute profite généralement à la victime". Rappelons que récemment des indemnisations record avaient été accordées à trois adolescents devenus narcoleptiques suite à une vaccination contre le virus de la grippe H1N1, un vaccin non obligatoire.
Les parents n'ont pas le choix de vacciner leurs enfants comme ils le souhaitent : Faux (mais le maintien de l'obligation vaccinale mérite un débat)
En résumé, le Pr Joyeux avance que les parents n'ont actuellement plus le choix : s'ils ne veulent pas faire l'objet de poursuites pénales pour non vaccination contre la diphtérie, le tétanos et la poliomyélite, ils doivent vacciner leur enfant avec le vaccin hexavalent Infanrix Hexa, "le seul qui ne souffre d'aucune pénurie".
En réalité, ce problème concerne surtout les 2 à 3 % de parents qui choisissent de ne faire que les vaccinations obligatoires (vaccin DTP). Et là, on est effectivement face à un paradoxe : aucun laboratoire ne propose de vaccin protégeant uniquement contre ces trois maladies, alors que par ailleurs, pour être inscrits à l’école (mais aussi à la crèche), les enfants doivent impérativement être vaccinés contre la diphtérie, le tétanos et la poliomyélite, sous peine de sanctions pénales. En effet, depuis 2008, le vaccin est proposé aux parents sous forme combinée, donc avec des vaccins non obligatoires. Le laboratoire Sanofi est toutefois dans la mesure de délivrer sur demande un vaccin DTP seul, mais uniquement pour des cas particuliers. Le kit DT-vax + imovax polio est en effet mis à la disposition des parents qui ne souhaitent pas vacciner leurs enfants avec des valences non obligatoires pour des raisons de convenance personnelle. Le médecin doit alors passer une commande au laboratoire Sanofi Pasteur MSD, qui livre le kit dans une pharmacie où les parents peuvent le retirer.
Mais peut-être que la solution serait de lever l'obligation vaccinale au DTP ? C'est en tout cas, ce que préconisait récemment le Haut Conseil de la Santé Publique dans un rapport : "le maintien ou non de l’obligation vaccinale en population générale relève d’un choix sociétal méritant un débat que les autorités doivent d’organiser."
Quand les vaccins seront-ils disponibles ?
L'Agence du médicament prévoit des tensions d'approvisionnement sur l'ensemble de l'année 2015, avec possibilité de ruptures de stock ponctuelles. Et un retour à la normale à la fin de l'année 2015.
En attendant, les signatures à la pétition se multiplient à vue d'oeil. "Avec de tels arguments populistes, cela ne m’étonne pas, malheureusement...", déplore le Président du Comité technique des vaccinations.
Reste qu'il y a une vraie inquiétude autour de cette pénurie. Dans un contexte de méfiance envers les vaccins, est-ce que cela peut avoir des conséquences sur la couverture vaccinale ? "Il est trop tôt pour le dire, selon Daniel Floret. Jusqu’à présent on n'a jamais eu de problème avec les vaccins des nourrissons, seuls le vaccin contre la grippe et celui contre le papillomavirus ont vu leur couverture vaccinale diminuer jusqu'à présent." Mais selon lui, le problème n'est pas là. "Le plus inquiétant, c'est que si 10 % des Français refusent la vaccination de leurs nourrissons [soit ceux qui refusent habituellement le vaccin contre l'hépatite B], alors on risque de voir réapparaître des pathologies que l'on croyait parfaitement contrôlées, comme les méningites à haemophilus, la coqueluche ou encore la diphtérie."
Le Pr Joyeux n'est pas crédible, voire dangereux : Vrai.
Rappelons que ce retraité en cancérologie n’est en aucun cas spécialiste des vaccins. Bien qu’il soit assez visible dans les médias depuis plusieurs années, et auteur de nombreux livres abordant des thématiques variées, ce médecin a une attitude peu professionnelle. "On ne joue pas avec des sujets aussi importants que la vaccination, on n'attise pas les craintes", a d'ailleurs déclaré Marisol Touraine à propos de cette pétition, soulignant que la "responsabilité" d'un médecin "c'est de rassurer, d'expliquer, et non pas d'inquiéter et de faire peur". Sur le fond, les informations du Pr Joyeux, relayées sur Internet ou à l’occasion de conférences publiques, sont globalement très imprécises scientifiquement, voire dangereuses. Par exemple, on peut lire sur son site Internet : "Les nourrissons allaités par la maman héritent de l’immunité maternelle qui les protège jusqu’à l’âge de 9 mois environ." En réalité, un bébé allaité n'est nullement protégé contre toutes les maladies évitables par vaccination. Et bien évidemment, même les bébés allaités au sein doivent être vaccinés. Pire, le médecin ne cache pas sa position anti-vaccinale : "Pour ce qui me concerne tant que je suis en bonne santé, grâce à l’alimentation et à une saine activité physique, il n’est pas question de me faire vacciner. Je préfère l’ENERGIE VITALE que me procurent les amis des abeilles." Sans commentaire.
Au-delà de ces approximations et erreurs médicales, les prises de position du Pr Joyeux dépassent largement sa fonction puisqu’il évoque régulièrement ses idées en matière de sexualité et d’éducation. En tant que Président de l’association Familles de France (entre 2000 et 2013), il n'a cessé de prendre des positions très conservatrices, notamment comme partenaire de la Manif pour tous. Il est ainsi opposé à la pilule contraceptive et à l'avortement. L'association Act Up a par ailleurs dénoncé en 1994 des conférences sur le sida, jugées homophobes. Enfin, Henri Joyeux a perdu un procès en diffamation contre Le Figaro en 2006. Le quotidien avait évoqué le lien entre ses écrits et les thèses proches de certaines sectes, comme l'instinctothérapie et le crudivorisme (manger cru). Aujourd'hui, le Pr Joyeux dirige un Institut pour la protection de la santé naturelle basé à Bruxelles.
A la lecture d'un tel CV, impossible de prendre au sérieux la pétition du Pr Joyeux. Et en même temps, le nombre de signatures continue d'augmenter, pointant un réel besoin d'information. Selon Daniel Floret, il est "dommage" que les autorités de santé ne montent pas au créneau pour démonter les arguments. "Il me semble que cela devrait être leur rôle…"