L'inquiétude grandit face à l'épidémie de chikungunya
L'épidémie de chikungunya s'intensifie dans les Antilles et menace la France métropolitaine. Le docteur Harold Noël, épidémiologiste à l'Institut de veille sanitaire (InVS) explique comment les autorités s'organisent pour freiner l'épidémie.
La Guadeloupe et la Martinique connaissent actuellement une épidémie de chikungunya sans précédent et comme prévu, l'épidémie progresse très vite. Et avec la période estivale, les vacanciers de retour des Antilles pourraient ramener le virus en métropole. Dans les 18 départements français où le moustique vecteur du chikungunya est présent, on s'organise donc pour y faire face. Explication du docteur Harold Noël, épidémiologiste à l'Institut de veille sanitaire (InVS).
Quelle est la situation actuellement dans les Antilles Françaises ?
Dr Harold Noël : Comme nous l'attendions, l'intensification de la transmission du virus est confirmée. Selon le dernier bulletin épidémiologique, on dénombre actuellement 35 000 cas de chikungunya en Martinique et autant en Guadeloupe. Soit 6 600 cas de plus en Guadeloupe et 3360 cas de plus en Martinique, en une semaine seulement. C'est donc très important puisque ce niveau épidémique n'a jamais été atteint depuis le début de l'épidémie. On pense de plus que cela va s'accélérer car la saison des pluies arrive. En effet, l'association pluie et chaleur facilite la multiplication des moustiques ainsi que la transmission du virus. Les autorités de santé présentes sur place sont donc très vigilantes et s'y préparent. On discute même d'un passage à un niveau supplémentaire d'alerte en Guadeloupe.
Si l'alerte épidémique est déclenchée, quels seront les outils pour y faire face ?
Les autorités mettront en place des campagnes de communication vis-à-vis des populations locales, à savoir des messages de prévention : éviter de quitter son domicile au crépuscule et à l'aube quand les moustiques sortent, se protéger des moustiques et utiliser des répulsifs, supprimer les zones d'eaux stagnantes où les moustiques peuvent se multiplier, etc. L'offre de soins est aussi en train de s'organiser pour faire face à l'épidémie. Mais le plus important, c'est vraiment de responsabiliser les gens. En effet, la plupart des zones d'eaux stagnantes, dans lesquelles se multiplient les moustiques et où l'on trouve les larves, se situent au sein des maisons, dans les jardins, dans les gouttières, etc. C'est donc de la responsabilité de chacun de s'en occuper et c'est un point sur lequel on insiste beaucoup. Il faut savoir qu'une telle épidémie a des répercussions sanitaires, sociales mais aussi économiques. Toute la région peut se retrouver "grippée", voire paralysée à cause de ce virus. C'est pour cette raison qu'on veut limiter sa transmission à défaut de pouvoir l'arrêter.
Et en France métropolitaine ? La situation est-elle vraiment inquiétante ?
Oui, c'est indéniable même si c'est sans commune mesure avec ce qu'il se passe dans les territoires français d'Amérique où la transmission est intense. Il suffit de comparer la situation à l'année dernière où nous avions eu seulement 2 cas de chikungunya en France métropolitaine. Cette année, selon les derniers chiffres de l'InVS, 150 cas suspects ont été signalés en France métropolitaine depuis début mai, dont environ la moitié effectivement dus au virus du chikungunya (53 cas) ou de la dengue (18 cas). Nous avons également 2 cas confirmés de co-infections aux deux virus. Je précise que tous ces cas sont des personnes qui ont déclenché des symptômes (fièvre, douleurs) à leur retour d'une zone où circule le chikungunya. Il n'y a donc toujours pas de cas autochtones pour l'instant. Mais ça peut démarrer très vite.
Quelles sont les conditions pour que l'épidémie démarre et comment réagirait-on ?
Il suffirait qu'un moustique tigre pique une personne infestée et contagieuse à son retour des Antilles, puis qu'il aille piquer une autre personne de son entourage. A ce moment-là une action de lutte anti-vectorielle serait mise en place afin de contrôler le risque de transmission du virus. Concrètement, il s'agira dans un premier temps de mener de vraies enquêtes entomologiques : interroger les personnes susceptibles d'être en contact avec la personne infestée pendant la période où celle-ci était contagieuse (soit entre 1 jour avant l'apparition de la fièvre et 7 jours après) dans un rayon de 200 m où le moustique a pu se déplacer. Puis de mener des opérations insecticides contre les moustiques dans toutes les zones à risque. Si on prend de telles mesures c'est parce que la transmission des virus du chikungunya et de la dengue est explosive.
Quelles sont les personnes les plus vulnérables ?
Les personnes avec des antécédents médicaux ou des maladies chroniques par exemple sont les plus fragiles et il est évident que le chikungunya peut aggraver leur état de santé, voire provoquer leur décès indirectement. Par ailleurs, les personnes aux âges extrêmes de la vie, personnes âgées et nouveau-nés, doivent aussi être surveillées attentivement. De même que les femmes enceintes : si elles se font piquer pendant la grossesse, elles peuvent transmettre le virus au moment de l'accouchement. Les cas de chikungunya néo-natal sont très douloureux pour le bébé et peuvent provoquer des atteintes neurologiques. Pour l'instant, les formes graves de chikungunya sont rares [13 décès ont été dénombrés depuis le début de l'épidémie] mais il est évident que statistiquement, plus on aura de cas, plus on aura de formes graves.