Médecin traitant avant 16 ans : "Nous sommes inquiets pour le suivi médical des enfants"
La loi de santé publique présentée jeudi prévoit d'obliger les parents à déclarer un médecin traitant pour leur enfant. Une mesure qui met en colère les pédiatres. Précisions du Dr Nathalie Gelbert, pédiatre.
Jusqu'à présent, seuls les plus de 16 ans avaient pour obligation de choisir un médecin traitant dans le cadre du parcours de soin. Le projet de loi santé, dévoilé hier par Marisol Touraine, ministre de la Santé, prévoit de l'élargir aux enfants. Mais cette idée est loin de faire l'unanimité, tant du côté des parents que du côté des médecins. Les pédiatres sont en effet opposés à ce projet de loi : ils appellent les parents à réagir et lancent une pétition en ligne.
Le Dr Nathalie Gelbert, pédiatre à Chambéry est présidente de l'Association française de pédiatrie ambulatoire (AFPA). Elle nous explique pourquoi cette mesure va à l'encontre de l'intérêt de l'enfant.
Nathalie Gelbert : Nous ne comprenons pas où est l'intérêt pour la santé de l'enfant dans cette mesure. Dans tous les cas, que le parent choisisse le pédiatre ou le généraliste, cela va figer le suivi médical de l'enfant. J'ajoute que nous sommes très déçus par une politique de santé, qui selon nous n'est pas assez ambitieuse. Cela fait 20 ans que les professionnels de santé réclament un parcours de santé spécifique pour l'enfant. Or nous n'avons pas été associés aux discussions préliminaires et la ministre ne nous a pas fait participer à l'élaboration de ce projet.
C'est en revanche très bien que la loi favorise la prévention chez les enfants, dès l'école. Il est en effet fondamental de leur inculquer certains gestes de base, tels que ceux pour éviter la transmission microbienne.
Cette mesure intervient alors que les pédiatres et les généralistes sont déjà débordés...
Oui, actuellement les pédiatres Français ne sont pas suffisamment nombreux pour suivre tous les enfants. Rappelons que dans 80 % des pays européens, les enfants sont suivis par les pédiatres jusqu'à leurs 6 ans. D'un autre côté, les généralistes commencent eux aussi à faire face à une pénurie et doivent absorber une clientèle de plus en plus âgée en raison du vieillissement de la population. La situation étant déjà compliquée, ce n'est pas le moment d'empêcher les parents de naviguer du pédiatre au généraliste en fonction des besoins de leurs enfants.
Vous craignez aussi que le fossé se creuse encore davantage entre pédiatres et généralistes ?
En France, ce n'est pas dans la culture des médecins généralistes d'adresser les enfants aux pédiatres alors qu'il faudrait justement encourager cela et que cela commençait justement à se mettre en place : selon une récente enquête, 60 % des pédiatres font déjà du suivi conjoint avec le généraliste. Ce qu'il faut encourager, ce sont les liens et la communication entre pédiatres et généralistes, dont les rôles sont complémentaires. Mais la mesure annoncée va à l'encontre de cela : elle va aggraver et entraver la communication entre les deux professions...
Selon la Ministre cette mesure est censée améliorer le suivi de l'enfant ? Qu'en pensent les pédiatres ?
Il n'y a aucun avantage pour la santé de l'enfant. Au contraire : rien n'encourage les généralistes à adresser les enfants vers le pédiatre pour les cas complexes. On perdra donc en rapidité de diagnostic et de traitement. Et puis, dans les zones où il y a moins de pédiatres, les parents qui aujourd'hui amènent une fois par an leur enfant en consultation, ne vont pas être encouragés à continuer à le faire. Et si c'est le pédiatre qui est choisi, il sera monopolisé pour effectuer toutes les consultations, des plus banales aux plus lourdes. Il aura donc moins de temps à libérer pour les consultations qui demandent un avis de spécialiste, par exemple lorsque les enfants sont envoyés par l'hôpital (suivi de prématurés, suivi post-chirurgical, etc.).
Le médecin spécialiste de l'enfant, c'est le pédiatre. Les généralistes ne sont pas formés pour repérer certains troubles spécifiques, dont les symptômes apparaissent progressivement au cours de son développement.