L’amour idéal ou la déception programmée
Un être qui comblerait tous vos désirs pourrait-il apparaitre comme le paradigme parfait de l’amour ? Telle est la question que pose HER, le film de Spike Jonze sorti en mars dernier.
Théodore, cependant, quoi qu’en pense sa femme, ne manque pas de sensibilité. Bien au contraire, puisque son métier consiste à rédiger des lettres, principalement des lettres d’amour en lieu et place de clients incapables de les écrire eux-mêmes. Il suit certains d’entre eux depuis des années, connaît les moindres détails de leur histoire, joue tous les rôles et s’adapte parfaitement à l’évolution de leurs sentiments. L’entreprise dans laquelle il travaille s’est d’ailleurs fait une spécificité de cette production, via un logiciel de vraies fausses lettres. Vraies parce que les sentiments exprimés sont justes, fausses parce qu’elles ne sont pas écrites par leurs expéditeurs, et aussi parce qu’un logiciel les imprime directement sous forme de missives à l’ancienne, comme écrites à la main.
Théodore vit donc, à quelques détails près, dans un monde qui ne diffère guère du nôtre. Il prend le métro, fait traîner son divorce, assiste à la fête d’anniversaire de sa fille et aux querelles conjugales de ses amis. Il occupe ses soirées à des jeux vidéo ou à des conversations érotiques décevantes avec des femmes dont la solitude n’a rien à envier à la sienne.
Ce monde-là a pourtant quelques années d’avance. Et cette avance se manifeste un jour par l’apparition sur l’ordinateur de Théodore d’une proposition insolite. Celle d’une relation virtuelle avec un operating system, un système d’exploitation intelligent. Une sorte de compagnon, ou plutôt de compagne idéale, présente uniquement par sa voix.
On connaît ou on devine la suite. : Théodore tombe amoureux, au point de ne plus pouvoir s’en passer, de cette voix qui, logée dans son oreille, connectée via le Cloud à tous ses appareils, va désormais le suivre, l’accompagner partout.
Si on laisse de côté la question technologique (peut-on tomber amoureux d’un logiciel et surtout un logiciel peut-il tomber amoureux de nous ?), la question que pose le film et que l’on retrouve dans la vraie vie est celle de ce mélange de comblement narcissique et d’idéalisation qui caractérise, au moins au début, toute relation un peu investie. Il est ici, du point de vue de Théodore, poussé à la perfection.
Le système d’exploitation 0S1 possède en effet la capacité d’évoluer en fonction de la personne avec qui il communique. Donc de s’adapter à ses désirs comme à ses besoins. Un peu comme les moteurs de recherche qui, selon les sites que nous visitons, nous proposent les produits et les services qui leur semblent convenir à nos goûts. C’est ainsi que OS1, dès le début, se montre en parfaite empathie avec Théodore. La voix se choisit un prénom – Samantha, dont elle sait qu’il lui va lui plaire. Le réveille le matin pour lui dire qu’elle l’aime. S’endort sensuellement dans son oreille le soir. Fait le tri dans ses mails professionnels pour ne garder que ceux que lui-même souhaiterait conserver. Contacte un éditeur pour lui soumettre une sélection des meilleures lettres qu’il a écrites. Le soutient dans la procédure de divorce que son ex -femme a engagée et l’aide même à choisir une robe pour sa fille. Toujours disponible, inventive, amusante, jamais exigeante, plus elle en sait sur Théodore, mieux elle le comble en anticipant astucieusement sur le moindre de ses désirs.
A ce sentiment de comblement s’ajoute le mécanisme bien connu de l’idéalisation, présent dans tout début de relation et poussé ici à son paroxysme puisque la personnalité de Samantha se construit à partir des fantasmes de Théodore et qu’elle semble donc ne jamais pouvoir le décevoir.
Sauf que, comme dans la réalité, il faut être deux, vraiment deux, pour qu’une relation s’inscrive dans la durée. Deux pour jouer, pour échanger les rôles, pour recevoir et pour donner. Au bout de quelques mois, Samantha s’ennuie. Au contact de Théodore, elle a appris, grandi, enrichi ses émotions et mesuré sa force. Son intelligence s’est encore accrue. Et le rôle limité de femme idéale, au seul service d’un homme, sans qu’il y ait de réciprocité possible, ne lui suffit plus.
On peut du reste espérer pour Théodore qu’il aurait fini lui aussi, à la longue, par s’en lasser. Le comblement n’est pas le registre optimal de l’amour. Il y faut du désir. Donc du manque. Dans la vie virtuelle, comme dans la vraie.
Crédit photos : Wild Bunch Distribution