Comment (re)faire l'amour après une agression sexuelle ?

Les conséquences d'une agression sexuelle sur la santé physique et mentale sont considérables. La vie sexuelle est bouleversée par ce traumatisme. Comment (re)trouver du désir et du plaisir ? Et se réapproprier son corps ? Conseils.

Comment (re)faire l'amour après une agression sexuelle ?
© Photo d'illustration / NDABCREATIVITY - stock.adobe.com

L'agression sexuelle regroupe toute atteinte sexuelle, verbale ou physique, commise sans consentement, avec violence, contrainte, menace ou surprise. Il peut s'agir d'attouchements, d'exhibitionnisme, de harcèlement sexuel ou encore de retrait du préservatif sans consentement. Ce sont des délits punis par la loi. S'il y a pénétration, il s'agit d'un viol et c'est un crime. Un rapport sexuel forcé au sein d'un couple constitue aussi un viol. Selon l'enquête Cadre de vie et sécurité parue en 2021, chaque année, 200 000 personnes âgées de 18 à 75 ans sont victimes de violences sexuelles. Ces atteintes concernent davantage les femmes (77 %) et les jeunes de 18 à 29 ans (44 %). Les conséquences en termes de santé physique et mentale sont considérables. Elles varient d'une personne à l'autre et sont influencées par plusieurs facteurs dont l'âge, les caractéristiques de l'agression, la personnalité, les modalités de prise en charge et l'histoire personnelle de la victime. Les agressions sexuelles peuvent également impacter la vie sociale, professionnelle et familiale de la victime. Sans parler de la vie de couple et son intimité. Quelles sont les conséquences d'une agression sexuelle sur la sexualité future ? Comment (re) trouver du désir et du plaisir ? Comment se réapproprier son corps ? Comment communiquer avec son partenaire pour vivre une sexualité la plus épanouie possible ? Décryptage et conseils avec Carlotta Munier, sexothérapeute.

Quelles sont les conséquences physiques et psychologiques d'une agression sexuelle ?

► Parmi les répercussions sur la santé physique :

  • migraines
  • nausées
  • fatigue
  • perte d'appétit
  • douleurs gynécologiques (vaginisme, dyspareunie)

"On observe également des mycoses et infections urinaires à répétition comme pour empêcher l'accès aux parties intimes qui ont été agressées. L'agression sexuelle peut stoppe le développement psychosexuel si elle survient lorsque la victime de l'agression est encore jeune. On observe également parfois un raidissement du bassin, la femme rejette cette partie de son corps" explique Carlotta Munier. Chaque nouveau contact sexuel peut réactiver l'abus.

Entre 17 % et 65 % des femmes ayant vécu une agression sexuelle présentent des symptômes de stress post-traumatique

► Les séquelles psychologiques impactent le quotidien des victimes d'agression sexuelle : troubles de l'alimentation liés à la réaction de rejet vis-à-vis de ce corps qui a "séduit" l'agresseur, sommeil agité, comportements sexuels à risque avec des rapports sexuels non protégés, hypersexualité (enchaînement des expériences, par exemple Chemsex), abus de stupéfiants. Selon une étude publiée en 2009 dans la Bibliothèque Nationale de Médecine, entre 17% et 65% des femmes ayant vécu une agression sexuelle à l'âge adulte vont présenter les symptômes d'un état de stress post-traumatique parmi lesquels :

  • flash back et cauchemars
  • anxiété
  • angoisse
  • phobies 
  • dépression
  • isolement
  • culpabilité 

"Par ailleurs, la violence du choc produit un état de sidération chez la victime de l'évènement traumatisant pour qui la situation n'est pas "gérable" qui entraîne un état de dissociation et une mémoire traumatique" ajoute la sexothérapeute. 

Vers qui se tourner en cas d'agression sexuelle ? 

En cas d'agression sexuelle, il faut se rendre dans un commissariat de police pour porter plainte. "Le médecin légiste constatera l'agression" indique la spécialisteEnsuite, la prise en charge par un professionnel compétent, un sexothérapeute ou un psychologue formé, est primordiale. "Je vois mes patientes au moins 1 fois toutes les deux semaines, voire toutes les semaines. C'est important qu'elles disposent d'une présence régulière" souligne Carlotta Munier. "Je recommande d'aller parler avec d'autres femmes qui ont vécu la même chose, à travers des groupes de parole par exemple. Partager son expérience avec des femmes qui comprennent participe au soutien psychologique" ajoute la sexothérapeute.

Comment séparer l'agression sexuelle de la sexualité ?

Séparer l'agression sexuelle de sa sexualité risque de s'avérer difficile. "Il est important d'en parler pour se libérer, pour accueillir le fait qu'on a été victime d'une agression sexuelle et que l'on doit vivre avec" souligne Carlotta Munier. On peut se rendre chez un psychothérapeute et/ou un sexothérapeute formé dans l'accompagnement des personnes abusées ou traumatisées. Des méthodes pour désensibiliser le traumatisme comme l'EMDR, l'intégration du cycle de la vie (ICV) ou encore la Somatic Experiencing ont prouvé leur efficacité sur les traumatismes. "Il est important de resituer le drame dans la vie d'une personne, elle peut le raconter ou l'écrire mais le verbaliser est la première étape. La femme doit pouvoir dire et être entendue pour "se libérer" de l'évènement et le conscientiser. Une fois le drame "accepté", ce qui prend au moins 2 ans selon les personnes, on entre dans la restauration qui peut prendre au moins 4 ou 5 ans" développe la sexothérapeute.

Comment ne plus associer les hommes à l'agresseur ? 

"A la suite d'une agression dont l'auteur est un homme, il est possible que le partenaire masculin de la victime endosse le "statut" d'abuseur parce qu'il est un homme" note Carlotta Munier. Durant l'acte sexuel, des images peuvent faire effraction dans l'esprit. "L'accompagnement permet de progressivement rencontrer son partenaire pour qui il est, et prendre de la distance avec ce qu'il n'est pas. On va également s'intéresser à la relation de la femme avec les hommes de sa famille" indique la sexothérapeute.

Comment (re)trouver du désir après une agression sexuelle ?

Le désir peut venir d'abord dans la réconciliation avec soi et son corps. "Le désir sexuel est avant tout un désir de vie, que la femme doit retrouver. On aborde le désir à travers des discussions sur la sensualité, les caresses, les pratiques sexuelles" développe notre interlocutrice. "En parallèle, on va travailler sur son imaginaire érotique. La première clé est l'auto-érotisme, la femme doit se restaurer d'elle à elle, se réapproprier son corps" défend Carlotta Munier. Une fois le désir en solo retrouvé, elle pourra se pencher sur le désir à deux. "En couple, il est primordial que la relation soit suffisamment sécurisée et solide pour ne pas voir l'autre comme menaçant" préconise la sexothérapeute. Le livre Panser l'impensable de Fernande Amblard, qui décrit notamment les étapes que la personne abusée devra dépasser pour se retrouver, peut aider la femme dans son cheminement. "Chaque cas est singulier, des femmes mettent des années à retrouver du désir, d'autres moins et certaines ne le retrouvent pas" rappelle notre experte. 

Comment se réapproprier son corps après une agression sexuelle ?

Être accompagné pas à pas est nécessaire pour restaurer son intégrité physique, psychique et identitaire. L'agression sexuelle, notamment en cas de dissociation, sépare la victime de son corps. "Le travail thérapeutique s'applique à comprendre comment la personne se construit par rapport à cet évènement, comment elle peut s'accueillir à nouveau et retrouver sa propre valeur. L'agression sexuelle ôte toute dignité humaine à l'agressée. Elle est "objectisée" par l'agresseur, elle est devenue l'objet de l'autre" souligne la sexothérapeute. Elle doit reprendre son statut de sujet en apprenant à poser ses limites, à dire non. "Cela passe par des exercices pour rester dans son corps à travers des techniques d'ancrage, des méthodes de conscience corporelle" préconise Carlotta Munier. Pour les femmes qui manifestent un raidissement du bassin "la danse favorise le ressenti de son corps et lui réapprend à le mouvoir" suggère l'experte. "Des exercices avec un miroir ou la photographie réhabilitent l'image de soi. Parfois, le massage peut participer à restaurer la confiance en soi. Enfin, il est important de prendre soin de soi à travers une bonne hygiène de vie, alimentaire, de sommeil et traiter toute addiction à des stupéfiants s'il y en a une" recommande la sexothérapeute.

Comment (re)trouver du plaisir à faire l'amour après une agression sexuelle ?

Le plaisir ne disparait pas systématiquement après une agression sexuelle. Mais la femme doit avant tout s'écouter, dire ce qu'il lui plait. On va d'abord travailler sur l'auto-érotisme parce que réapprendre à connaître son corps et ainsi réapprendre à se donner du plaisir pourra aider la femme à ensuite guider ensuite son partenaire. Carlotta Munier propose des exercices à ses patientes via un protocole de caresse, des jeux et livres coquins. "Une thérapie n'est jamais linéaire, il y aura forcément des hauts et des bas. Accéder à des relations sexuelles qui ne soient ni désagréables ni douloureuses mais qui apportent du plaisir et du partage est déjà un grand pas" rappelle l'experte.

Comment communiquer avec son partenaire après l'agression ?

La relation formée avec son thérapeute, basée sur la confiance et l'intimité peut aider la femme à commencer à verbaliser et parler sexualité avec son partenaire. "Le partenaire doit être présent mais patient. Lors du rapport sexuel, il est invité à être attentif au rythme de la femme afin de s'ajuster, en effet la femme peut refuser tout type de rapport qui lui rappellerai l'agression" précise la sexothérapeute. La relation se tisse avec confiance, communication et authenticité pour peu à peu créer des conditions suffisamment sécures pour la femme qui a été abusée. "Il est important qu'ils parlent de leur sexualité respective, de leurs envies, leurs difficultés, leurs craintes afin de réduire tension et stress, faciliter l'intimité et cultiver l'érotisme à deux au quotidien" ajoute Carlotta Munier. Le partenaire devra être très attentif et attentionné aux réactions de l'autre, qu'elles soient formulées ou corporelles. Il existe des ouvrages qui peuvent participer à élargir l'imaginaire érotique :

- L'art de faire l'amour à une femme, Linda Lou Paget

- La collection Osez

Merci à Carlotta Munier, sexothérapeute, Directrice de l'Institut Français de Formation en Sexothérapie (IFFS) et auteure de Sexualité Féminine : Vers une intimité épanouie, publié aux éditions du Souffle d'or.

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