Dissociation mentale : symptômes, comment en sortir ?
La dissociation est un mécanisme de défense qui se traduit par une anesthésie émotionnelle. Elle est provoquée par un état de stress trop important. Quels sont les symptômes ? Comment en sortir ? Quelles différences avec la schizophrénie ? Réponses avec le Dr Muriel Salmona, psychiatre spécialisée dans les psychotraumatismes.
La dissociation mentale est un mécanisme de protection et de survie mis en place par le cerveau pour survivre un traumatisme psychique lié à un évènement violent. Ce phénomène est souvent décrit lors d'agressions et violences sexuelles. Quels sont les symptômes de la dissociation ? Comment en sortir ? Quelles différences avec la schizophrénie ? On fait le point avec Muriel Salmona, psychiatre spécialisée dans les psychotraumatismes.
Définition : qu'est-ce qu'un état dissociatif ?
"La dissociation est un état de déconnexion qui entraine une anesthésie émotionnelle. L'individu ne ressent plus ses émotions. Sa perception de soi, de son corps, de ses sensations et du monde extérieur est déformée. Un sentiment d'étrangeté accompagne cet état comme si on était extérieur à son corps et spectateur des violences. La non sensation de ses émotions prive également de la perception de la douleur car la douleur a une forte dimension émotionnelle et si les émotions attachées à la douleur ne sont plus, c'est comme une douleur sans alerte" indique le Dr Muriel Salmona, psychiatre spécialisée dans les psychotraumatismes. Le patient ressemble à un automate : il est comme indifférent à une situation, aussi terrible qu'elle soit. On distingue plusieurs stades de dissociation :
► La dissociation habituelle : on peut légèrement se déconnecter de la réalité pour se protéger au quotidien.
► La dissociation traumatique : elle ne vient pas de la volonté de la personne mais de son organisme qui met son fonctionnement émotionnel en pause pour la protéger.
Qu'est-ce qui provoque la dissociation ?
La dissociation est provoquée par un excès de stress lors d'une situation violente, d'un état de terreur qui cause un traumatisme. "Lors d'une situation "classique" de danger, une sorte d'alarme automatique (l'amygdale cérébrale) alerte le cerveau afin qu'il réagisse en et sécrète des hormones de stress (adrénaline et cortisol) pour permettre à l'organisme de faire face au danger. Or, un évènement traumatisant provoque un état de sidération tel que la personne n'est plus en capacité de réagir face à l'alarme de son organisme" développe le Dr Salmona. Les hormones de stress sont alors sécrétées à des niveaux qui représentent un risque vital pour l'individu. Pour préserver les fonctions vitales de l'organisme, un mécanisme de sauvegarde se déclenche dans le cerveau, telle une disjonction. Il va interrompre le circuit émotionnel afin de stopper la sécrétion des hormones de stress. C'est ce que l'on appelle la dissociation traumatique. La personne ne risque plus de mourir (arrêt cardiaque) à cause du stress extrême mais au prix d'atteintes cérébrales et des circuits émotionnels et de la mémoire et de ce qu'on appelle un psychotraumatisme qui peut s'installer dans la durée avec des conséquences sur la santé.
Quels sont les symptômes de la dissociation mentale ?
Lorsqu'une personne se retrouve face à un danger mais sans réaction émotionnelle appropriée "un sentiment d'étrangeté, de déconnexion et d'être un spectateur de l'évènement apparaissent. Ce processus de déconnexion se maintient tant que le danger est présent (tant que les violences s'exercent, tant que l'agresseur est présent etc). La personne reste privée d'une partie de ses capacités émotionnelles et de ses capacités de défense, poursuit la psychiatre. La mémoire est également impactée puisque l'interruption du circuit émotionnel touche aussi le système d'exploitation de la mémoire (l'hippocampe), avec notamment la fonction de repérage spatio-temporel. Ce que l'on appelle la mémoire traumatique qui va faire revivre à l'identique comme une machine à remonter le temps les situations traumatisantes aussitôt qu'un lien va les rappeler (lieu, contexte, odeur...)". On peut vérifier par IRM le fonctionnement de l'hippocampe.
Quelles sont les conséquences de la dissociation mentale ?
La dissociation traumatique fait que les personnes peuvent paraître indifférentes et très tolérantes face aux situations de stress, de violences et aux douleurs. Elles perdent leur capacité de défense et sont très vulnérables face aux violences et en subissent souvent à répétition. "Le fait d'être privé de ses émotions est douloureux, une mère ne pourra pas ressentir l'amour qu'elle porte pour ses enfants par exemple, de même en cas de décès d'un proche une personne ne ressentira pas de tristesse n'arrivera pas à pleurer. Les personnes dissociées se sentent vides, comme mortes à l'intérieur d'elles-mêmes" souligne le Dr Salmona. Elles suscitent très peu d'empathie car les personnes qui sont en contact avec elles ne ressentent pas d'émotion face à elles. Elles seront difficilement crues quand elles témoigneront des violences subies car semblant trop détachées et indifférentes.
Pendant des années, les personnes dissociées peuvent ne plus se souvenir des violences
La dissociation s'accompagne de troubles de la mémoire, d'une mémoire traumatique qui fait que tout ce qui s'est passé pendant l'évènement traumatique reste bloqué, n'est pas intégré, ni analysé et revient hanter la personne, mais l'anesthésie émotionnelle fait que les réminiscences, flashbacks de cette mémoire traumatique ne sont pas accompagnés de terreur ou d'angoisse, elles se sentiront juste anormales d'avoir de telles images dans la tête. La dissociation traumatique peut également s'accompagner d'une amnésie traumatique dissociative, pendant parfois des années les personnes dissociées peuvent ne plus se souvenir des violences, tant qu'elles restent en danger et en contact avec l'agresseur.
Traitement : peut-on et comment guérir d'une dissociation ?
La dissociation s'arrête dès lors que la personne est protégée (enfant placé, femme qui quitte son mari violent, individu sauvé après une agression etc). L'état de stress extrême se stoppe et la personne retrouve ses émotions. "A ce moment, elle va revivre l'évènement à l'identique pour qu'il soit enfin intégré à la mémoire et non plus bloqué par le cerveau. Cela peut provoquer des attaques de panique, des troubles du comportement, de l'angoisse, des cauchemars... d'où l'importance d'être pris en charge" soutient le Dr Salmona. Celle-ci est efficace si elle passe par 3 stratégies :
► La mise hors de danger, mettre la victime en sécurité.
► L'information : donner des outils de compréhension (éducation thérapeutique) à la victime et ses proches.
► Le traitement par thérapie ou psychothérapie spécialisée pour soigner la mémoire traumatique et permettre à la personne d'intégrer l'évènement (l'analyser, le comprendre, différencier ce qui appartient à la victime et à l'agresseur) afin qu'elle puisse redéfinir son identité et retrouver l'estime de soi. Des antalgiques et bétabloquants pourront aider à faire diminuer l'état de stress. En l'absence de prise en charge, les personnes resteront soit dissociées et en danger, soit à devoir survivre à une mémoire traumatique intolérable qu'elles devront gérer comme elles peuvent avec des stratégies de survie coûteuses et handicapantes :
► Des stratégies d'évitement : j'évite certaines situations, certains endroits, je contrôle tout mon univers pour le réduire au maximum ce qui engendre un repli sur soi.
►Des stratégies de conduites à risque dissociantes : se mettre en danger (alcool, drogues, scarifications etc) pour refaire disjoncter le cerveau et être à nouveau anesthésié et ne plus ressentir l'horreur la mémoire traumatique.
Ne pas avoir accès à des informations sur les psychotraumatismes et à des soins spécialisés est une perte de chance avec des risques de troubles anxieux généralisés, de dépression et de suicide, et des conséquences lourdes sur sa santé physique (troubles cardio-vasculaires, immunitaires, etc.) |
Est-ce que l'hypnose peut guérir la dissociation ?
L'hypnose peut participer au traitement, si elle est complémentaire à une psychothérapie spécialisée pour traiter la mémoire traumatique réalisée par un professionnel.
Quelle différence avec la schizophrénie ?
La schizophrénie est une maladie mentale alors que la dissociation est un mécanisme de défense du cerveau face à une situation traumatisante.
Merci au Dr Muriel Salmona, psychiatre spécialisée dans la prise en charge des évènements traumatiques.