Scandale du Vioxx : affaire, en France, décès, c'est quoi ?
Le Vioxx, médicament anti-inflammatoire prescrit en cas d'arthrose, a été retiré du marché mondial parce qu'il augmentait les risques cardiovasculaires. Ce retrait a donné lieu à un scandale visant son fabricant, le laboratoire Merck.
L'anti-inflammatoire Vioxx® prescrit en cas d'arthrose et de polyarthrite rhumatoïde entre 1999 et 2004 aux Etats-Unis (en France entre 2000 et 2004) a été retiré du marché mondial suite à la mise en évidence d'une augmentation d'un risque d'accidents cardiovasculaires notamment d'infarctus du myocarde et d'AVC. Ce retrait a fait l'objet d'un scandale touchant le laboratoire Merck qui le commercialisait. Selon un rapport du Congrès américain signé par le représentant de l'Etat de Californie Henry Waxman et repris dans le New England Journal of Medicine, Merck aurait dissimulé ses connaissances sur les effets secondaires cardiaques potentiellement mortels de ce traitement. Le laboratoire aurait également formé spécifiquement des représentants pharmaceutiques afin d'influencer les prescriptions des médecins.
C'est quoi le Vioxx et quelles étaient ses indications ?
Le Vioxx® (rofécoxib) est un médicament anti-inflammatoire non stéroïdien (AINS) de la famille des coxibs (inhibiteur sélectif de la cyclo-oxygénase-2) utilisé dans le traitement symptomatique de l'arthrose et de la polyarthrite rhumatoïde chez l'adulte, indiquait la Haute Autorité de Santé (HAS) en juin 2004. Il était disponible sur ordonnance et présentait l'avantage, selon son fabricant, d'avoir moins d'effets indésirables gastriques (brûlures, ulcères) et moins de saignements digestifs que les autres molécules utilisées dans les mêmes indications.
Pourquoi le Vioxx a-t-il été retiré du marché ?
Le laboratoire américain Merck retire le Vioxx du marché mondial en septembre 2004. "Cette décision intervient à la suite d'une analyse des résultats intermédiaires d'un essai clinique ayant mis en évidence un doublement du risque relatif d'événements cardiovasculaires (infarctus du myocarde et accidents vasculaires cérébraux) par rapport au placebo" indique l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) avant d'ajouter "que l'augmentation du risque n'est significative qu'au-delà de 18 mois de traitement continu, ce qui n'est le cas que d'un petit nombre de patients en France". Les médicaments de la famille des coxibs, dont le rofécoxib, ont fait l'objet d'un arbitrage européen, initié par la France en 2002. La réévaluation a confirmé une balance bénéfice/risque favorable de cette classe en avril 2004 tout en renforçant les mises en garde et précautions d'emploi pour limiter les effets indésirables gastro-intestinaux et cardiovasculaires à long terme. "L'hypothèse d'une élévation du risque cardiovasculaire avec les coxibs et plus particulièrement avec le rofécoxib a été évoquée à plusieurs reprises et la prudence recommandée chez les patients ayant des antécédents coronariens" précise l'ANSM.
Chronologie : commercialisation et retrait du Vioxx
► Le 20 mai 1999, l'agence américaine du médicament (FDA) donne son accord pour la mise sur le marché du médicament commercialisé par le laboratoire Merck & Co, le Vioxx. Cette autorisation est donnée en urgence, au bout de 6 mois contre une moyenne de 15 mois en général car le médicament est prôné comme étant moins agressif sur l'appareil digestif (moins d'ulcères et moins d'hémorragies intestinales. Il rapporte très vite beaucoup d'argent à Merck "dégageant jusqu'à 2,5 milliards de dollars de chiffre d'affaires par an" rapportent nos confrères des Echos.
► Dès avril 2000, le Vioxx est commercialisé en France après une autorisation de mise sur le marché européenne et avant même la validation de son remboursement par la Sécurité sociale française.
► 30 septembre 2004 : Merck est contraint de retirer le Vioxx du marché mondial à la suite d'un essai clinique montrant une hausse du risque d'accidents cardiovasculaires en cas de traitement continu d'au moins 18 mois.
► En novembre 2004 : des patients américains puis français portent plainte aux Etats-Unis contre le laboratoire Merck. D'autres patients d'Italie et du Royaume-Uni décident aussi de porter plainte.
► Le 19 août 2005, Merck est condamné pour "négligence" lors d'un premier procès en responsabilité civile intenté par la veuve d'un homme décédé après avoir pris le Vioxx. Merck doit verser 229 millions de dollars de "dommages punitifs" et 24 millions de dollars d'indemnités pour souffrance psychique et perte d'un compagnon à la veuve.
► En 2006, plus de 16 000 plaintes ont été déposées aux Etats-Unis. Merck a dû affronter une dizaine de procès ; il en remporte plus de la moitié.
► En 2007, Merck accepte un accord à l'amiable de 4.85 milliards de dollars (4.48 milliards d'euros) sans admettre sa culpabilité pour indemniser des plaignants aux Etats-Unis.
► En mars 2010, le laboratoire Merck commercialise sur le marché français un nouveau médicament anti-inflammatoire, l'Arcoxia®. Même type de médicament pour le même traitement de l'arthrose. Le médicament avait été refusé par la FDA aux Etats-Unis en 2007. L'Union européenne donne son autorisation de mise sur le marché en 2002. En mars 2010, la France autorise également sa commercialisation sur son territoire. La HAS qualifie le rapport bénéfices/risques rendu par Arcoxia® modéré dans l'arthrose en avril 2015. Le médicament est toujours commercialisé en France.
► En novembre 2010, Maître Jaubert, avocat des victimes françaises du Vioxx qui ont porté plainte auprès des tribunaux américains engage une procédure civile devant le Tribunal de Grande Instance (TGI) de Paris. Le 29 mars 2013, la demande est classée sans suite.
► En décembre 2011 : Merck plaide coupable d'avoir enfreint la loi sur les aliments, les médicaments et les cosmétiques (FDCA) pour avoir introduit un médicament mal étiqueté, le Vioxx. Il doit payer 628, 3 millions de dollars.
► En 2012 : le ministère de la Justice américain condamne Merck pour marketing illégal du Vioxx. Un juge impose une amende de près de 322 millions de dollars.
► En 2016 : un Français s'estimant victime du Vioxx a déposé une plainte pénale contre X pour "délits d'entrave à la justice" au TGI de Paris. L'association d'aide aux victimes d'accidents des médicaments (AAAVAM) s'est constituée partie civile.
Pourquoi Merck a fait l'objet d'un scandale pour le Vioxx ?
Le laboratoire Merck est accusé d'avoir pris connaissance des effets secondaires potentiellement mortels avant sa commercialisation en 1999. La FDA disposait dès juin 2000 des résultats de l'étude clinique Vigor (Vioxx Gastro Intestinal Outcome Research) réalisé par Merck, qui montrait le risque cardiovasculaire engendré par le Vioxx. "L'étude VIGOR a montré que les patients ayant reçu du Vioxx (rofécoxib) avaient quatre fois plus d'infarctus du myocarde que ceux ayant reçu du naproxène" dénonce le représentant de l'Etat de Californie Henry Waxman dans un rapport publié en 2005. Après l'étude Vigor, la FDA et le laboratoire Merck se sont réunis pour discuter des effets secondaires cardiaques. "Merck a fait valoir que l'augmentation significative du taux d'infarctus du myocarde (qu'une analyse plus approfondie avait déterminé comme étant une multiplication par cinq) s'expliquait par un effet positif du naproxène, et non par un risque inhérent au Vioxx" poursuit Henry Waxman.
"Nos résultats indiquent que le rofécoxib aurait dû être retiré plusieurs années plus tôt"
La FDA a fait modifier la notice du médicament mais sans demander d'études complémentaires de sécurité. "Merck a en outre demandé à ses représentants de montrer aux médecins qui ont demandé si le rofécoxib provoquait un infarctus du myocarde une brochure intitulée "La carte cardiovasculaire" [...] qui ne comprenait aucune donnée de l'étude VIGOR" peut-on encore lire dans l'article. Les études cliniques financées par Merck faisaient état de conclusions plus favorables pour la commercialisation du Vioxx. David Graham, directeur adjoint du service de la FDA chargé d'évaluer l'innocuité des médicaments, a affirmé lors d'une audition devant une commission du Sénat que ses supérieurs "avaient fait pression sur lui, voire l'avaient menacé, pour qu'il modifie les conclusions et recommandations" de son rapport montrant que le Vioxx augmentait fortement les risques cardiaques et de décès, peut-on lire dans Les Echos en novembre 2004. En décembre 2004, une méta-analyse suisse parue dans The Lancet rassemblant 18 essais contrôlés randomisés et 11 études observationnelles conclut que "l'effet cardioprotecteur du naproxène est faible et n'aurait pas pu expliquer les résultats de l'essai Vigor". "Nos résultats indiquent que le rofécoxib aurait dû être retiré plusieurs années plus tôt" ont estimé les auteurs. Une nouvelle étude relayée dans The Lancet en février 2005 par David Graham montre que "sur les 2 302 029 personnes suivies (âgés de 18 à 84 ans traités par Vioxx entre le 1er janvier 1999 et le 31 décembre 2001, ndlr), 8143 cas de maladies coronariennes graves sont survenus, dont 2210 (27,1 %) ont été mortelles". Les chercheurs ont conclu à l'augmentation du risque cardiovasculaire durant l'utilisation du traitement par Vioxx. Le laboratoire Merck était donc au courant des effets secondaires cardiovasculaires.
Combien de décès ont été rapportés à cause du Vioxx ?
"La FDA évoque entre 88 000 et 139 000 crises cardiaques, dont 30% à 40% probablement mortelles. Soit entre 26400 et 55600 morts potentiels" relatent les auteurs du livre "Effets secondaires : le scandale français" paru en 2016. Officiellement, aucun décès n'a été confirmé en lien avec la prise du Vioxx en France. "Statistiquement, si je prends les chiffres les plus pessimistes des Etats-Unis, rapportés à la France, on devrait avoir au moins 5 000 personnes pouvant prétendre à une indemnisation et autour de 2 000 décès" a indiqué Maître Didier Jaubert à nos confrères du Parisien le 1er avril 2016. De son côté, Georges-Alexandre Imbert, président de l'Association d'aide aux victimes des accidents des médicaments (Aaavam) a estimé dans l'ouvrage : "Il y a eu des morts à cause du produit, mais les autorités françaises refusent de le reconnaitre. Nous avons collecté 250 décès français."
Sources :
- "Effets secondaires : le scandale français", Maître Antoine Béguin, Jean-Christope Brisard, Dr Irène Frachon, 2016.
- Les leçons du Vioxx — Innocuité et ventes des médicaments, New England Journal of Medicine, 23 juin 2005
- Risque d'infarctus aigu du myocarde et de mort cardiaque subite chez les patients traités par anti-inflammatoires non stéroïdiens sélectifs et non sélectifs de la cyclo-oxygénase 2 : étude cas-témoin nichée, The Lancet, Février 2005
-Vioxx (rofécoxib) Questions et réponses, FDA, 2004
- Le retrait du Vioxx, Sénat
- Avis Commission sur le Vioxx, HAS, 16 juin 2004
- Retrait mondial de la spécialité Vioxx, ANSM, 30 septembre 2004