"C'est très traumatisant à vivre" raconte Amélie qui a perdu son père du Covid

Le père d'Amélie est décédé de l'infection Covid-19 le 9 mai 2020. Il avait 60 ans. Les visites à l'hôpital jusqu'à la fin, les adieux dans des conditions sanitaires difficiles, les funérailles, la gestion du deuil… Amélie livre un poignant témoignage au Journal des Femmes.

"C'est très traumatisant à vivre" raconte Amélie qui a perdu son père du Covid
© Amélie et son papa - Droits Réservés Journal des Femmes

Depuis le début de l'épidémie Covid-19, plus de 50 000 personnes sont décédées de l'infection en France. Le père d'Amélie en fait partie. Il est décédé le 9 mai 2020 à l'âge de 60 ans. Les visites à l'hôpital, les adieux dans des conditions sanitaires difficiles, les funérailles, la gestion du deuil… Amélie livre un poignant témoignage pour le Journal des Femmes. 

Le Journal des Femmes : A quel moment votre papa a-t-il contracté la Covid 19 ? Avait-il une comorbidité ? Des antécédents médicaux ? 

Amélie : Il a commencé à avoir les premiers symptômes autour du 27 mars. Ma maman a appelé le SAMU le 4 avril et il est parti aux Urgences, puis en soins intensifs, puis à partir du 5 avril, il a été admis en réanimation. Mon père était diabétique, mais il ne devait pas se piquer et n'était pas dépendant à l'insuline. Il était en obésité mais ne présentait aucun antécédent médical. 

Le Journal des Femmes : Comment a-t-il su qu'il s'agissait de la Covid-19 ? 

Amélie : Il ne présentait pas trop de symptômes respiratoires au début. Il avait surtout une forte diarrhée et était très fatigué. Mon papa était assez hypocondriaque, donc au départ quand il a dit lui que c'était la Covid, même nous on ne l'a pas trop cru. On refusait d'y croire mais lui il l'a senti quasi-instantanément à cause de la fatigue surtout. Il n'était capable de rien faire, il était au lit et n'arrivait pas à en sortir. C'était un état de fatigue extrême. 

"Il n'arrivait pas à finir une phrase sans avoir besoin de reprendre son souffle"

Le Journal des Femmes : Comment la maladie a-t-elle évolué ? 

Amélie : Cela a été progressif dans le sens où au départ il n'avait pas de symptômes respiratoires et le 4 avril, il a commencé à être essoufflé. Le simple fait de parler l'essoufflait, il n'arrivait pas à finir une phrase sans avoir besoin de reprendre son souffle. C'est là qu'on s'est dit que ça devenait inquiétant. A ce moment-là, ma mère a appelé le SAMU. 

Le Journal des Femmes : Votre père a été admis en réanimation le 5 avril 2020. Avez-vous pu lui rendre visite ? 

Amélie : J'ai pu aller le voir deux fois. Au départ, il était hospitalisé à l'hôpital Beaujon à Clichy, il est resté une semaine là-bas. Pendant cette période, ma mère a pu aller le voir mais il était dans un coma artificiel profond pour pouvoir l'intuber. C'était exceptionnel que ma mère puisse le voir. Ensuite, il a été transféré à l'hôpital Bichat à Paris et là je suis allée le visiter avec ma mère et mes deux autres sœurs une fois. La deuxième fois c'était quand on nous a appelé pour nous dire de venir lui dire au revoir. 

Le Journal des Femmes : Sous quelles conditions pouviez-vous le voir ? 

"Je ne pouvais pas toucher mon papa à l'hôpital" 

Amélie : La première condition à laquelle il a fallu se plier était de devoir prendre rendez-vous alors que normalement quand un proche est à l'hôpital, vous pouvez y aller quand vous voulez sur les heures de visites. Ensuite, il fallait y aller avec un masque et changer ce masque très régulièrement, il fallait porter des gants, se désinfecter les mains au gel hydroalcoolique avant de mettre les gants. On avait une charlotte sur la tête, des lunettes pour protéger les yeux, un tablier sur le corps. Je ne pouvais pas toucher mon papa car il était toujours positif. La visite était limitée dans le temps puisque les médecins étaient là, on était entre guillemets "surveillées" même si ce n'était pas méchant de leur part. Il fallait qu'ils accueillent d'autres familles ensuite. On pouvait entrer par deux dans la chambre et on a pu avoir 20 à 30 minutes par duo. En plus de la difficulté rencontrée par rapport aux visites il y a aussi la difficulté d'avoir des nouvelles de mon papa.. On avait du mal à joindre quelqu'un à l'hôpital, on appelait chaque jour pour avoir des nouvelles mais on n'en avait que tardivement, vers 20h la plupart du temps, ce qui fait que nos journées étaient vraiment en suspens jusqu'à ce qu'on ait des nouvelles. Cela a duré pendant 5 semaines, c'est très traumatisant à vivre. 

Le Journal des Femmes : Est-il décédé à l'hôpital ? Comment vous l'a t-on annoncé ? 

Amélie : Mon père est décédé à l'hôpital. Au départ, on nous a préparé parce que mon père a eu une oxygénation par membrane extracorporelle (ECMO) pour pouvoir mieux respirer. Cette machine est très intrusive et les médecins ont décelé une bactérie à la suite de ce traitement. Cette bactérie a engendré une septicémie, qui a beaucoup fatigué le cœur de mon papa. Donc quelques jours avant son décès, les médecins nous ont dit que son cœur était très fatigué, qu'ils continuaient les soins car il avait une chance de survie, mais qu'il fallait qu'on comprenne que son cœur était très affaibli. C'était le jeudi ou le mercredi. On nous a appelé dans la nuit du vendredi au samedi pour nous annoncer qu'il fallait lui dire au revoir. 

Le Journal des Femmes : Avez-vous pu le voir à ce moment-là une dernière fois ? Sous quelles conditions ?

Amélie : La nuit du vendredi au samedi vers 2 heures du matin, l'hôpital nous a appelés pour nous dire de venir le voir car son cœur était en train de s'arrêter. On s'est rendu à l'hôpital Bichat avec ma mère et mes sœurs. Toujours habillées de la tête aux pieds, gantées, masquées. On est arrivées à temps, il nous a attendu. C'est une bonne chose qu'on ait pu lui dire au revoir, on a pu l'accompagner. On était toutes les quatre autour de mon père, je me suis levée, je lui ai caressé les cheveux et je lui ai dit "Papa tu peux partir" et c'est à ce moment-là que les machines ont bipé pour signaler que le cœur s'arrêtait. On est une famille très soudée, je sais que mon père se battait pour rester avec nous. J'ai ce sentiment de me dire que je l'ai soulagé en un sens et qu'il s'est senti accompagné. 

Il y a comme un goût d'inachevé parce que si on avait su, on lui aurait peut-être dit au revoir d'une autre manière. 

Le Journal des Femmes : Qu'avez-vous fait après le décès ? 

 

Amélie : C'est par la suite que ça a été plus compliqué à gérer. Quand les machines ont bipé, on nous a demandé de sortir de la chambre pour qu'ils puissent retirer l'intubation et qu'on puisse se recueillir auprès de lui sans toutes ces machines. Pour qu'on puisse l'avoir lui, vraiment. On est revenu dans la chambre après et on nous a dit qu'ils allaient l'emmener dans la chambre mortuaire et qu'on pourrait l'y revoir pour faire une veillée du corps. Il était 4 ou 5 heures du matin quand ils l'ont emmené. Nous sommes rentrées chez nous et on est revenu à Bichat vers 9-10h pour le revoir. A ce moment-là, on nous apprend que ce n'est pas possible, étant donné qu'il était positif à la Covid-19. Une fois qu'ils avaient fermé le sac, ils ne pouvaient pas le rouvrir pour se protéger eux-mêmes. On comprend, on ne souhaite à personne d'être infecté, mais c'est vrai qu'on ne nous avait pas averti, on nous avait dit qu'on pourrait le revoir. Il y a comme un goût d'inachevé parce que si on avait su, on lui aurait peut-être dit au revoir d'une autre manière. 

Le Journal des Femmes : Comment se sont déroulées les funérailles ? Combien de personnes ont pu y assister ? 

Amélie : On était dix aux funérailles. Il s'est passé une semaine et demi voire deux semaines avant qu'on puisse procéder à l'incinération. Lors du rendez-vous aux pompes funèbres, on ne nous a proposé que l'incinération. Mais c'était le souhait de mon père, du coup on ne s'est pas battu à ce sujet. On a déjà vécu des décès dans la famille et pendant les funérailles, on avait la levée du corps avec le cercueil ouvert, on pouvait dire un dernier au revoir au défunt. Mais ça n'a pas été possible car mon papa avait la Covid-19. A cause de cela, ma grande sœur se demande toujours si c'est bien mon père qui est dedans. En ne pouvant pas le voir, en ne pouvant pas le réaliser, elle n'arrive pas à faire son deuil derrière. En ce qui me concerne, j'aurais aussi aimé pouvoir le voir une dernière fois, mais je me suis dit "on n'a pas le choix c'est comme ça". Ma sœur a vraiment vécu cela comme une injustice. 

Le Journal des Femmes : Où en êtes-vous aujourd'hui par rapport au deuil ? Avez-vous été accompagné par un ou une professionnelle ? 

Amélie : Quand on a fait les visites à mon papa, une psychologue était sur place. Une dame très gentille, qui s'est proposée par la suite de nous suivre. Ma mère a refusé le suivi psychologique, ma grande sœur de 33 ans est suivie par cette femme, moi j'ai eu un début de suivi mais je n'étais pas très à l'aise. Et ma petite sœur de 26 ans a eu besoin d'un suivi psychiatrique. Je suis encore dans le déni. j'ai du mal à réaliser que mon papa est parti. Je ne suis qu'au début de mon deuil car je n'ai pas encore accepté la perte. Ça fait 6 mois et je suis bloquée dans cette phase-là. Je sais que mon père n'est plus là, je sais que je ne le reverrai plus, je sais tout ça. Mais je refuse encore de me dire que pour le reste de ma vie je ne le verrai plus. C'est quelque chose que je n'ai pas réalisé. Le vrai deuil commence au moment où on le réalise. 

Le Journal des Femmes : Quel message aimeriez-vous faire passer aux personnes également en deuil qui ont subi (ou subissent encore) la même chose que vous ? 

  

Amélie : Il y a un message très important que j'aimerais faire passer. Ce qui nous marque le plus, c'est le fait d'avoir besoin de se justifier auprès des complotistes, des personnes qui n'y croient pas, qui pensent que ce n'est qu'une petite grippe, qui refusent de faire attention. J'ai un sentiment de colère parce qu'on a double peine : on a perdu un proche et en plus on a le sentiment de devoir se justifier auprès de ces gens-là. Mon père faisait très attention, il était prudent et l'a quand même eu et en est mort. Alors qu'on voit des gens qui ne l'ont pas, qui font n'importe quoi. On ressent beaucoup d'injustice et de colère. Ces sentiments n'aident pas à faire le deuil. Ce que je pourrais conseiller aux personnes qui vivent un deuil lié à la Covid, c'est de se détacher de ce sentiment de colère, de ne pas faire attention aux complotistes. Il faut se concentrer sur notre douleur, notre famille et notre défunt. 

Merci à Amélie pour son témoignage. Propos recueillis le 1er décembre 2020.