"Je suis asexuelle et ce n'est pas un trouble psychologique" (Emily, 47 ans)

"Faire l'amour m'ennuyait et tenait de la corvée."

"Je suis asexuelle et ce n'est pas un trouble psychologique" (Emily, 47 ans)
© Photo d'illustration/123RF

Je me suis toujours posé la question de ma libido, enfin, de mon manque de libido. Je n'ai jamais été particulièrement attirée par le sexe. Faire l'amour m'ennuyait et tenait de la corvée. Je ne peux pas dire que je n'avais pas de plaisir car il m'arrivait d'en avoir. Mais simplement le sexe est quelque chose auquel je ne pense jamais. J'ai eu deux relations longues. Jamais je n'initiais un rapport sexuel et il n'était pas rare que je repousse les sollicitations de mes partenaires. J'avais instauré un rythme d'environ une fois par mois parce que je pensais que maintenir une certaine fréquence était une condition à la bonne santé de notre couple. Je ne peux pas vraiment dire que je me forçais car je croyais à l'époque qu'en faisant l'amour, j'allais découvrir des choses, que j'allais apprendre à aimer ça, que j'allais m'épanouir. Je me répétais du proverbe que mon père disait souvent "L'appétit vient en mangeant". Mais rien n'est jamais venu.

Si mes partenaires ont toujours respecté mon absence de désir, celle-ci me rendait malheureuse - pas pour moi mais pour eux car je voyais bien qu'ils n'étaient pas épanouis dans notre relation. Cette situation m'a même amenée à suggérer à mon dernier compagnon et père de mon fils d'avoir une relation avec une autre femme ce à quoi il s'est toujours refusé. Il pensait que j'avais un problème et que je devais faire en sorte d'y remédier. Quand je parlais de ce manque de désir sexuel à des amies, elles me disaient que je n'avais pas trouvé le bon partenaire, que je n'étais pas vraiment amoureuse, que j'étais trop tendue. Mais non. J'aimais réellement mes compagnons, j'étais bien avec eux et je n'avais pas la moindre envie de les quitter.

Et puis, il y a une dizaine d'années, je suis tombée sur un article de blog américain qui parlait d'asexualité. De nombreuses personnes témoignaient et je me suis totalement reconnue dans leurs propos. J'étais comme elles, je n'étais pas seule et surtout, je n'avais pas de problème. Mieux : je n'étais pas un problème. J'ai continué de lire sur le sujet. Cela m'a permis de m'affirmer en tant que femme asexuelle. Ce cheminement a été extrêmement libérateur.

"Être désirable, être désirée… Tout cela n'a plus aucune importance pour moi"

Aujourd'hui, je suis séparée du père de mon fils - nous nous disputions beaucoup depuis que nous étions devenus parents et l'amour n'était plus là. Après notre rupture, j'ai essayé de faire quelques rencontres mais c'était, je le reconnais volontiers, uniquement pour flatter mon ego, pour me prouver que j'étais capable de plaire. Je n'y ai trouvé aucun intérêt. Désormais, je n'ai plus envie de ça. Je me sens affranchie des rapports de séduction. Être désirable, être désirée… Tout cela n'a plus aucune importance pour moi. Il n'y plus d'ambiguïté. Je me sens apaisée et je suis très à l'aise avec l'idée qu'il n'y aura plus de relations amoureuses et sexuelles dans ma vie.

Si depuis quelques années on parle davantage d'asexualité et que c'est une orientation sexuelle qui est de plus en plus normalisée, il y a encore beaucoup de gens qui pensent que cette absence de désir est au mieux une bizarrerie temporaire, au pire que c'est un trouble psychologique. Lorsque j'en ai parlé à ma mère - le sexe n'a jamais été tabou dans ma famille, elle n'a pas compris, elle m'a répondu que d'était sans doute une phase, que ça allait passer. Même lorsque j'en parle avec ma psychiatre, je vois bien dans son regard que, pour elle, l'asexualité n'existe pas, qu'elle pense que c'est lié à un problème, à un traumatisme psychologique qu'elle essaie en vain de débusquer. À tous ces gens qui cherchent des explications, je répondrais que peu importe. L'essentiel est que je vis très bien ma situation. Elle ne me crée pas d'anxiété, ne me rend pas malheureuse, bien au contraire. Les seules personnes qui ne sont pas à l'aise avec ma sexualité, ce sont les autres. J'investis d'autres types de relations comme l'amitié et cela me convient à merveille.

Si j'ai un message à faire passer, c'est que, selon moi, la société met une pression énorme sur les gens en matière de sexualité. Il y a une véritable injonction à aimer le sexe. Celui-ci est vu comme central dès l'adolescence. Les gens en parlent beaucoup, tout le temps. Et ceux et celles qui n'aiment pas particulièrement ça sont vus comme anormaux. J'aimerais pouvoir transmettre à mon fils l'idée que le sexe n'est pas forcément le centre de la vie, que ce peut être un intérêt fort, un intérêt faible selon les personnes, selon leurs envies, selon le moment de leur vie… En somme, qu'il existe tout un spectre de sexualités. Je crois que si tout le monde pouvait raisonner ainsi, il y a aurait moins de pression, moins de frustration, et peut-être moins de colère.