"Il m'est arrivé de me réveiller dans un bois, sans pantalon, avec seulement un tee-shirt et une chaussure" (Yann, ex-adepte du chemsex)
Décupler les sensations, performances et plaisirs sexuels. Le chemsex relève de l'addiction donc de la maladie mais il est tabou. Quand sexe et drogues sont étroitement liés : témoignages de Yoann, Loïc et Yann, aujourd'hui abstinents et militants.
Yoann est artiste. L'histoire de cet auteur, comédien et metteur en scène avec les drogues et le sexe a commencé comme bien souvent, par curiosité. "Au début, l'interdit est excitant. Mais au fond de nous on sait très bien que c'est parce qu'il y a un truc qui ne va pas, moi ce truc c'était le vide et paradoxalement le trop plein, vivant à cette époque dans une relation qui était un peu compliquée, n'ayant pas cicatrisé certaines choses en amour. Je me suis marié pour oublier et effacer des blessures, comme un pansement" nous raconte-t-il. Yoann ressent encore mentalement les effets des drogues. "Ces sensations chimiques sont tellement intenses. On a l'impression qu'elles sont vraies et plus importantes que le reste, que la vie."
Mais l'attrait pour la nouveauté et l'interdit va rapidement céder la place à l'addiction. "Je sentais le danger de ce 'truc' qui me paraissait sur le moment 'magique' et paradisiaque, poursuit-il. Si c'était incroyablement bon sur le moment, j'ai compris très vite que c'était dangereux et que ça allait être compliqué."
Pour Loïc, infirmier et consultant en addiction au centre de santé "Checkpoint Genève", le parcours est sensiblement différent, car l'addiction est arrivée directement. Il en va de même pour sa pratique du "chems" (autre nom du "chemsex"). "L'évolution s'est faite comme cela : prise de substances liées au sexe puis utilisation du sexe pour légitimer la prise de substance et enfin consommation sexualisée ou la majeure partie du temps, seul. En parallèle de cela, ma vie sexuelle était inexistante sans produit", explique-t-il.
Yann a quant à lui découvert l'univers du chemsex jeune. "Dans ma jeunesse, je ne fumais pas et ne buvais que très peu d'alcool. Ma première expérience fut avec du GHB. C'était pour moi très désinhibiteur, pourtant je n'avais pas de problème avec ma sexualité. Avec, je me sentais plus libéré" confie l'auteur du livre "Ma vie en poudre". Le Docteur Alexandre Aslan, médecin sexologue à l'Hôpital Saint Louis et psychothérapeute-psychanalyste, reçoit en consultation de très jeunes patients encore dans l'apprentissage et la découverte de leur sexualité. Le chemsex fait déjà partie de leurs pratiques. Pour certains "il est possible de n'avoir jamais connu de relations sexuelles 'sobres'".
Après la découverte, l'addiction et le cercle vicieux
Cette addiction, Yoann comprend rapidement qu'il en souffre. "Un soir, après une représentation, alors que j'étais en train de vivre un des plus beaux rêves de ma carrière, chanter et danser sur scène dans un décor pailleté, je ne pensais qu'à une seule chose : ma soirée 'chems'", explique le comédien. Au programme, drogue gratuite, "décor poudré, sombre, ambiancé par un son répétitif, sans âme, sans personnalité, accompagné de garçons qui avaient une transpiration acide, costumés de harnais". Yoann a préféré le chems à la célébration de son talent.
Plus tard, la pratique et les soirées se multiplient. "A ce moment-là, je n'étais pas encore tombé dans le plus dur pour nous les chemesexeurs, 'Le Slam', le pire, j'avais vu des garçons le faire et 'jouer' comme on dit dans le jargon avec eux. Les 'Slameurs' c'étaient ceux qui s'injectent dans les veines cette poudre si précieuse à nos yeux la 3 MMC." Peu à peu, il découvre un monde bien loin de ce qu'il imaginait ou avait vécu jusqu'à présent. "Ce cliché des gays raffinés et distingués paraissait bien lointain après quelques rails de 3MMC suivi d'un shot de GHB. Je me souviens qu'au début des 'touzes', c'était génial, enfin pour 24 heures, peut-être 48, ou plus, si on a toujours de quoi consommer." Même s'il le déplore aujourd'hui, Yoann ne pouvait pas se passer des applications de rencontre en ligne, qui proposent des "plans chems" ainsi que des drogues.
"On voulait toujours plus"
"Une fois que les mecs 'open' arrivaient dans la soirée, nous jouions 25 minutes avec 'la nouveauté', puis on retournait scroller sur l'appli. On voulait toujours plus" décrit-il. "A chaque prise il faut prendre conscience que l'effet n'est pas réel et surtout, vous risquez de perdre la sensation réelle du désir, d'une vraie sensualité et sexualité." Pour Loïc, la dépendance est arrivée directement. Et pour cause, "les produits très forts utilisés, les rituels liés au sexe, le tout couplé à ma dépendance ont formé un cocktail explosif ! J'ai rapidement perdu la maîtrise de ma vie et dû faire face aux conséquences de l'addiction" confie-t-il. Comme l'explique Frédéric Buathier, infirmier au Centre de Soins, d'Accompagnement et de Prévention en Addictologie des Hospices Civils de Lyon, il existe plusieurs mécanismes liés au chemsex : "Généralement, la prise de produits a lieu dans un contexte ou un lieu festif, qui entraîne la relation sexuelle. A la fin de la soirée, il peut y avoir reprise de produit hors contexte, dans le seul but de combler le manque. C'est ce mécanisme qui entraîne l'addiction."
"Se sont ajoutées les poudres et les nuits d'excès. Je n'arrivais plus à pratiquer le sexe sans produit."
Pour Yann, la prise de GHB a rapidement fait place à d'autres produits "festifs". "Se sont ajoutées les poudres et rapidement les nuits d'excès. L'addiction s'est imposée à ce moment-là. Je n'arrivais plus à pratiquer le sexe sans produit." Dans le cabinet du Dr. Aslan, certains patients addicts et inquiets des risques partagent leur "crainte de se retrouver bloqué dans un certain type de sexualité où prédomine une grande excitation, une sexualité plus 'hard'", explique-t-il.
La perte de contrôle totale : "7 jours d'affilée, 7 jours de plaisirs destructeurs"
Ce qui aurait pu faire sombrer Yoann est aussi ce qui l'a sauvé. Une semaine avant une réunion de travail avec un comédien dont il mettait le spectacle en scène, il était en soirée chems. "Ce soir-là il y avait mon 'slameur'. Tout est allé vite. 7 jours d'affilée, 7 jours de plaisirs destructeurs." Lorsque le comédien le retrouve, Yoann peine à dissimuler ses excès. "J'étais à X grammes, blanc, les yeux cernés, les pupilles dilatées, tremblant Je me suis effondré et j'ai soulevé les manches de ma chemise, maculée de sang car mes bras étaient dans un sale état. En montrant les marques de toutes ces piqûres qu'on m'avait faites durant ces sept jours, j'ai vu dans le regard du comédien, une peine que je n'oublierai jamais." La vie de Yann aurait pu prendre fin lors d'une perte totale de connaissance. "Il m'est arrivé de me réveiller dans un bois, avec uniquement comme vêtements : un tee-shirt et une chaussure. Sans pantalon, ni clés de voiture. J'ai perdu connaissance sans aucun souvenir de ce qui s'était passé", se souvient-il.
Prévention, information et formation sont nécessaires
Proches, professionnels, abstinents, il existe un consensus autour de la pratique du chemsex : lever un tabou à travers les témoignages, informer les publics aux risques liés et former davantage les professionnels de santé à la prise en charge des personnes souffrant d'addictions liées au chemsex. "Pourquoi pas des campagnes d'informations au même titre que celles pour la prévention des risques liés à l'alcool ?" suggère Frédéric Buathier. Un avis partagé par le psychiatre Laurent Karila : "Il faut faire de vraies campagnes ciblées et répétées de prévention, point où la France ne brille pas trop !".
"Pourquoi pas des campagnes d'informations au même titre que celles pour l'alcool ?"
La libération de la parole est ainsi primordiale, insiste le Dr. Aslan. "Pour beaucoup d'usagers de Chemsex, même si au tout début de la consommation apparaissent une impression de grande liberté, de désinhibition, et de maximisation de sa sexualité, l'évolution de la consommation est souvent envahissante sur la liberté et l'autonomie de vie en général, et de la vie sexuelle en particulier, avec des conséquences négatives sur leur vie personnelle, affective, familiale et professionnelle : lorsque c'est le cas, il ne faut pas hésiter à consulter", conseille-t-il. Loïc souhaite éviter la stigmatisation : "S'il n'existe pas de consommations sans risque, il m'apparaît important de rappeler que la majeure partie des situations de chemsex est non problématique. Cela veut dire que la plupart des usager.e.x.s sont en capacité de réduire les risques et les dommages liés à la prise de substances." Pour lui, il faut "continuer de sonner l'alerte auprès des publics non avertis sur l'usage de produits, notamment les plus jeunes. La prohibition n'a jamais rien apporté à la question de l'usage de substances".
Réapprendre à s'aimer
Yoann, aujourd'hui abstinent et ayant suivi 2 cures de désintoxication, réapprend à s'aimer et aimer. Il conseille le dialogue, l'ouverture aux proches et professionnels de santé, notamment via les associations. Convaincu aussi que la répression n'est pas une solution, il évoque une consommation aussi maîtrisée que possible. "Si vous vous slamez, utilisez du matériel stérilisé, propre et ne faites confiance qu'à vous." Yann, lui, a souhaité écrire un livre sur sa sortie de l'accoutumance pour "aider les personnes qui vivent ce que j'ai vécu, (...), transmettre les clés qui m'ont aidé à m'en échapper" en apportant un témoignage "optimiste, ce qui manque aujourd'hui".
Merci à Yann, Loïc et Yoann pour leurs témoignages et aux médecins experts pour leurs collaborations.