"La méconnaissance du clitoris est collective" regrette le Dr Marie Chevalley
Etudiante en médecine, Marie Chevalley a réalisé qu'elle ne connaissait pas l'anatomie du clitoris. S'interrogeant sur ses lacunes, celle qui est aujourd'hui médecin généraliste a réalisé que le constat était le même pour l'ensemble de ses collègues, faute d'une formation solide à la fac. Que doit-on savoir sur cet organe mal-aimé ? Interview.
Etudiante en médecine, Marie Chevalley a un jour réalisé qu'elle ne connaissait pas l'anatomie du clitoris. S'interrogeant sur ses lacunes, celle qui est aujourd'hui médecin généraliste à Valence a réalisé que le constat était le même pour l'ensemble de ses collègues, faute d'une formation solide à la fac. Dans les manuels de médecine, idem, le clitoris reste un organe mal-aimé. La jeune médecin s'est alors lancée dans une enquête ambitieuse pour sa thèse soutenue en 2021 : "Etat des lieux des connaissances de l'anatomie et de la physiopathologie du clitoris chez les médecins en France". 1168 médecins ont répondu à ses questions, parmi lesquels près d'un sur deux ne connaissaient pas la taille moyenne d'un clitoris. Les résultats de cette enquête interroge sur la bonne prise en charge médicale des femmes et la transmission d'informations de la part des médecins. Rencontre avec Marie Chevalley, autrice du compte Instagram Clitodyssée.
Le Journal des Femmes : Vous avez effectué votre travail de recherche sur les connaissances des médecins sur le clitoris. Pourquoi ?
Marie Chevalley : J'ai réalisé que moi-même je ne connaissais pas cette anatomie quand j'en ai eu enfin connaissance via les réseaux sociaux et via mon intérêt pour les questions féministes. J'ai également mené une enquête auprès de mes collègues internes et j'ai réalisé que la méconnaissance était collective.
Vous expliquez que les ouvrages d'anatomie ne sont pas au clair avec l'anatomie du clitoris ?
"Pour le pénis, il y a beaucoup plus de pages."
Marie Chevalley : Oui. Faute d'un consensus des anatomistes sur ce qui fait partie ou non du clitoris, il est mal décrit, de manière beaucoup moins précise que le pénis. Dans les ouvrages de médecine, il y a un débat sur la classifications des corps spongieux notamment. Certains anatomistes ne les considèrent pas comme éléments du clitoris et les appellent bulbes du vestibule. En outre, l'organe est très rarement dessiné de manière isolée, souvent perdu dans une coupe anatomique plus générale. Pour le pénis, il y a beaucoup plus de pages, il est découpé en plusieurs parties et on voit bien comment il est situé dans le corps. Il est beaucoup plus décrit et de manière bien plus précise que le clitoris.
Le clitoris n'est pas toujours représenté dans les livres de médecine ?
Marie Chevalley : Ce n'était pas dans un manuel mais lors d'un stage en gynécologie, je suis tombée sur un schéma des organes reproducteurs de la femme. Puisque le clitoris n'en fait pas partie, -cela n'a en tout cas pas été prouvé jusqu'à maintenant-, il n'était donc tout simplement pas représenté sur ces schémas pourtant à destination des femmes et mis à disposition des patientes.
C'est parce qu'il ne fait pas partie des organes reproducteurs que le clitoris est si mal connu des médecins selon vous ?
Marie Chevalley : C'est sans doute l'une des explications. C'est un organe uniquement dédié au plaisir, il n'est donc pas étudié sur le plan de la physiopathologie, ce qui est dommageable. De même qu'il est dommageable que la sexualité féminine ne soit pas étudiée sous un autre angle que l'aspect reproductif, durant les études de médecine. Cela joue forcément en défaveur du clitoris.
A tel point que le clitoris n'est pas spécifiquement étudié durant les études de médecine ?
Marie Chevalley : Selon les réponses que j'ai obtenues, plus de 8 répondants sur 10 n'ont jamais eu de cours sur l'anatomie et la physiopathologie du clitoris, 70% des gynécologues. On en entend évidemment parler, mais il ne s'agit pas d'une formation anatomique précise.
Concrètement, quelles sont les lacunes des médecins en matière de clitoris ?
Marie Chevalley : La connaissance est partielle, concernant la taille -moins d'un répondant sur deux connaît sa taille (il mesure entre 8 et 12 cm)– et concernant ses différents éléments anatomiques –le gland est lui bien connu, beaucoup moins les piliers, les bulbes et le corps notamment. Par contre, le plus grand nombre sait que le clitoris est un organe impliqué dans l'orgasme, avec une fonction érogène. La formation médicale est tellement lacunaire, que les principales sources d'informations pour les médecins qui en ont besoin sont les sources grand public*, non médicales. Sauf pour les gynécologues qui eux savent sans doute où trouver les sources médicales.
On apprend dans votre thèse qu'il s'agit d'informations finalement assez peu recherchées ?
Marie Chevalley : 57,4 % des médecins m'ont répondu qu'ils n'avaient jamais recherché d'information sur l'anatomie et la physiopathologie du clitoris. Selon les réponses obtenues, si les médecins n'effectuent pas de recherches c'est qu'ils n'en ressentent pas le besoin et n'ont pas conscience de ne pas connaître cette partie de l'anatomie.
Vous décrivez dans votre travail "un déficit de connaissance du clitoris par rapport au pénis", quel problème cela pose-t-il pour la prise en charge des femmes ?
Marie Chevalley : Le problème concerne surtout l'information que les professionnels de santé vont transmettre. Concernant les plaintes sexuelles de nos patientes, au vu des lacunes concernant la connaissance du clitoris, quelles capacités ont les médecins à y répondre (54,5 % ont déjà rencontré une plainte sexuelle féminine, ndlr) ? Et du point de vue de la recherche, on aurait tout à gagner à établir ne serait-ce que la taille réelle du clitoris. Ce n'est toujours pas le cas, car il n'y a pas suffisamment d'études. Aussi, comment les atteintes de telle ou telle autre partie du clitoris peuvent impacter la santé sexuelle des femmes ? Là encore, on ne sait pas. Il faut davantage de recherches et de connaissances sur ce sujet !
Quelle responsabilité ont les médecins selon vous ?
Marie Chevalley : Le médecin ne doit évidemment pas être la seule source d'information pour la femme concernant sa sexualité et son anatomie. Je crois toutefois que notre rôle est d'expliquer l'anatomie. Quand je reçois des jeunes femmes pour une demande de contraception par exemple, je trouve important de leur montrer une coupe anatomique où figure également le clitoris et expliquer comment cela fonctionne.
Il est primordial de savoir comment fonctionne son corps pour savoir l'utiliser au mieux.
Si cette information est manquante, cela peut être un raté pour les femmes qui consultent même s'il y a beaucoup d'informations sur les réseaux sociaux. Les professionnels restent des références dans lesquelles on a confiance. Et il est primordial de savoir comment fonctionne son corps pour savoir l'utiliser au mieux, se l'approprier et le comprendre. C'est comme cela qu'on devient actrice de sa santé.
Que faudrait-il améliorer ?
Marie Chevalley : Indéniablement, développer la recherche sur l'anatomie, trouver un consensus et savoir précisément comment la variabilité de l'anatomie peut impacter la santé sexuelle des femmes. Une mise à jour complète et consensuelle des sources médicales et une formation systématique sur le clitoris, universitaire et pendant l'internat, me semble nécessaire.
Vous évoquez la création d'un référentiel des pathologies du clitoris ?
Marie Chevalley : Oui ! Même s'il s'agit de pathologies assez rares, ce serait un support utile pour les gynécologues, les sexologues mais aussi les médecins généralistes, cela nous manque vraiment. Il y a plus de sources non-médicales que médicales, c'est tout de même dérangeant ! Les comptes Instagram sont de précieuses sources d'information pour les femmes mais ne sont pas des sources appropriées pour des médecins, la médecine doit prendre ce sujet à bras le corps. Les professionnelles doivent pouvoir compter sur des sources complètes et précises qui s'adressent à eux.
Merci à Marie Chevalley, médecin généraliste. Interview réalisée le 16 mars 2022.
*Site web grand public : 54,3 % - Littérature grand public : 42, 7% - Médias : 30,4 % - RS : 26 % Seulement 37 ,4 % pour la littérature médicale et 39,2 % pour des sites web de professionnels de santé.