Victime d'endométriose : "Je subissais les douleurs, la colère est venue après"
Atteinte d’endométriose depuis son adolescence, ce n’est que des années plus tard, à l’occasion d’un diagnostic établi presque par hasard, que Blandine entend pour la première fois le mot "endométriose". S’en suit un parcours médical laborieux. Récit.
Une femme sur dix serait touchée par l'endométriose en France. Même si une campagne d'information a été lancée à l'occasion de la semaine européenne de lutte contre la pathologie, elle demeure méconnue, tant par le grand public que par le corps médical. Résultat, des années d'attente, mais surtout de douleurs pour les femmes qui en souffrent, le plus souvent en silence : il faut en moyenne 7 ans avant de poser un diagnostic.
Première douleurs à l'adolescence. "Les douleurs sont apparues vers 14-15 ans, se souvient Blandine. Elles ne coïncidaient pas forcément avec les périodes des règles. En revanche, elles étaient toujours vives et soudaines, et m'anéantissaient. Parfois je tombais même dans les pommes !" Mais à l'époque, la jeune fille ne s'inquiète pas particulièrement. Et, comme beaucoup de jeunes filles touchées par l'endométriose, elle laisse traîner, malgré les douleurs qui s'intensifient un peu plus avec les années. Des douleurs liées aux cellules de l'endomètre (cellules qui tapissent l'utérus), qui provoquent, en fonction des fluctuations hormonales, des réactions inflammatoires dans des zones inhabituelles du corps, parfois jusque dans le tube digestif.
Et puis, des années plus tard, arrive le diagnostic, presque par hasard. On est en octobre 2006 et Blandine a 25 ans. Elle vient de commencer à enseigner les arts plastiques depuis seulement un mois. "D'autres symptômes étaient apparus, comme des cystites et des problèmes intestinaux. Mais surtout, les douleurs étaient devenues insupportables", se souvient-elle. A tel point, que la jeune femme est hospitalisée. Après avoir passé une échographie qui ne décèle rien, les médecins craignant une appendicite décident de l'opérer. L'opération qui aurait dû être une banale intervention, durera toute la journée. "A l'intérieur, tout était collé ! Les médecins m'ont dit plus tard que l'endométriose avait fini par enflammer l'appendice et sans doute provoquer la crise. Cette appendicite au final, c'était presque une chance, puisque c'est comme ça que j'ai enfin pu être diagnostiquée. Pour la première fois, j'ai entendu ce mot : endométriose. Un mot qui m'était complètement inconnu."
"Je me disais que j'allais guérir". S'en suit une longue convalescence d'un mois et demi. Puis la jeune femme suis un traitement de 3 mois de décapeptyl. Un mot compliqué qui signifie en fait "ménopause artificielle" et qui permet de stopper la sécrétion des hormones et donc de diminuer les douleurs. Les conséquences ? Des bouffées de chaleur et une prise de poids… Mais surtout, il y a ces phrases que prononcent rapidement les médecins de Blandine : " ils m'ont dit qu'il fallait que je pense tout de suite à faire un enfant. Mon endométriose était déjà très avancée et elle risquait d'avoir des conséquences sur ma fertilité. Ça met la pression ! Surtout à 25 ans, quand on est en couple depuis quelques mois seulement. Mais en même temps, j'étais encore relativement naïve et confiante. Je me disais que j'allais guérir, je ne réalisais pas vraiment."
Mais non. Les douleurs ne passent pas et il faut de nouveau opérer. Et puis, en 2009, après des examens qui révèlent une fois de plus des kystes sur l'ovaire gauche, les médecins sont catégoriques : si elle veut un enfant, Blandine doit passer par la fécondation in vitro. "A l'époque, je me disais qu'il fallait essayer et qu'il n'y avait pas de raison que ça ne marche pas. Je n'étais pas vraiment consciente des impacts de l'endométriose sur ma vie. J'étais relativement sereine, même si j'avais quand même cette petite inquiétude dans un coin de ma tête." Et à juste titre. La stimulation ovarienne ne donne pas de résultats, malgré deux tentatives. "Début 2010, j'ai dit Stop. Cette période a été très difficile psychologiquement car je ne voyais pas de solution. J'étais au bout du rouleau."
Blandine est alors orientée vers un centre de référence à l'hôpital Jeanne de Flandre à Lille. Là, elle bénéficie d'une meilleure prise en charge. "Les médecins connaissaient davantage ma pathologie et le suivi était bien plus adapté. Rapidement, ils m'ont expliqué que les FIV précédentes avaient eu un impact négatif sur mon endométriose. Mes ovaires étaient abîmés, ainsi que mon utérus et mes trompes." Une intervention compliquée et lourde est à nouveau programmée en 2010. "J'ai perdu une trompe. Mon côlon commençait même à être attaqué. Est-ce qu'à ce moment-là je ressens de la colère ? Même pas. Je subissais."
Bouillottes et poches de glace. Malgré les conséquences, cette fois-ci le chirurgien qui opère Blandine est spécialiste de l'endométriose. "Les médecins sont mal formés en raison d'un déficit d'enseignement de l'endométriose dans les facultés de médecine", avait expliqué au JournaldesFemmes.com le Dr Eric Sauvanet, Chef de service de Chirurgie Gynécologique du Groupe hospitalier Paris Saint-Joseph, lors d'un précédent dossier sur l'endométriose. La prise en charge varie donc d'un hôpital à l'autre. Autre problème, lié à la méconnaissance de la pathologie : à l'exception de rares centres spécialisés, la prise en charge globale est généralement absente. "On ne m'a jamais proposé de me rapprocher d'associations, il n'existe aucune brochure pour expliquer ce qu'est l'endométriose. Quant à la prise en charge de la douleur, elle était quasi inexistante. Je me suis débrouillée seule avec des poches de glace et des bouillottes !" Pourtant, la souffrance est là. "C'était tout le temps. Sans répit. Ou alors j'étais dopée par la codéine. Ou comme prise au piège parce qu'angoissée à l'idée que les douleurs reviennent. On tourne en rond dans cette souffrance. Il y a une période où la douleur était telle que je faisais des crises la nuit, jusqu'à en être tétanisée. J'ai même fait appel à une sorte de magnétiseur pour gérer mon angoisse."
Après une nouvelle tentative de FIV "moins classique", c'est un nouvel échec. Mais la jeune femme ne baisse pas les bras : elle pense déjà aux démarches d'adoption qu'elle a menée en parallèle, au cas où. En février 2013, nouveaux examens. "Ils étaient catastrophiques : j'avais des lésions sur l'utérus, des kystes sur les deux ovaires… Là c'était trop. J'ai supplié les médecins de m'opérer. Je voulais qu'ils retirent tout. J'étais à bout et cela aurait pu mal finir."
L'hystérectomie : la fin du calvaire. Finalement, après 7 années de douleurs, entrecoupées de traitements et d'interventions chirurgicales lourdes, Blandine subit une hystérectomie et une ovarectomie gauche. "Enfin j'ai pu passer à autre chose et en finir avec ce long parcours médical. Ça m'a soulagée et je l'ai vécu comme une délivrance. C'est à ce moment-là, pendant ma convalescence, que j'ai décidé d'écrire un livre. Pour faire le bilan de toutes ces années. Pour tourner la page, mais aussi pour les autres, pour l'entourage des malades. Pour expliquer ce qu'est cette maladie, souvent mal comprise - parce qu'invisible - et donc source d'isolement. Je me suis aussi tournée vers les groupes discussion, comme celui de LilyH, chose que je n'avais pas fait lorsque j'étais malade. Les choses commençaient alors à bouger et j'ai réalisé que d'autres femmes vivaient la même chose que moi. Cette colère dont vous me parliez tout à l'heure, je l'ai ressentie à ce moment-là !"
Depuis 3 ans, l'endométriose est plus médiatisée. "C'est tant mieux, les choses bougent. J'espère que cela va aider à améliorer le diagnostic. Car plus elle est prise tôt, mieux l'endométriose se soigne, c'est important de le dire ! Sans doute que si j'avais été diagnostiquée plus tôt, je n'aurais pas vécu tout cela." Il faut savoir par exemple que l'endométriose ne rend pas forcément infertile. En outre, l'infertilité qui découle de l'endométriose n'est pas toujours définitive. Bien diagnostiquées et traitées, un grand nombre de patientes atteintes pourront être enceintes.
Aujourd'hui, Blandine assure qu'elle va bien, malgré les difficultés d'être ménopausée aussi jeune. Et surtout, il y a une bonne nouvelle au bout de son long parcours : à 35 ans, elle est désormais happée par un nouveau rôle… Celui de maman d'une petite fille de 18 mois qu'elle a adoptée en 2014.
(Propos recueillis en mars 2016)
- Blandine Bulté est l'auteur de "Une EndométrioVie", aux éditions Le Manuscrit.
- Plus d'informations sur la semaine européenne de prévention et d'information sur l'endométriose, qui se déroule du 6 au 12 mars 2018 sur le site endofrance.org. Voir