Témoignage. "J'ai découvert que j'étais autiste Asperger à 29 ans"
"J'ai subi le mot "autisme" comme une insulte pendant toute ma scolarité."
Aodren grandit dans les années 1990, une période où les critères de diagnostic ne sont pas les mêmes qu'aujourd'hui. Il erre de médecins en médecins alors même que les premiers signes de l'autisme se déclarent lorsqu'il est bébé. "On m'a raconté que je ne supportais pas qu'une personne autre que mes parents me touche ou me regarde. Cela provoquait immédiatement des pleurs" nous explique-t-il. Ces pleurs cachent en réalité une angoisse de séparation. Cette angoisse perdure à son entrée en crèche : "Au moment d'y aller, il y avait toujours des pleurs et encore des pleurs."
Certaines sensations sont décuplées chez lui. À 4 ans, il part en courant après que son père ait démarré la moto : "Le bruit était une source de souffrance, c'est comme si cela me surchargeait le cerveau." Il est aussi très sensible au toucher. Un jour même, il ne ressent plus le chaud et le froid. "Je me suis mis à prendre des bains à 45 ou 50°C tranquillement. Je ressortais tout rouge." Aodren est un enfant très anxieux. Il fait des crises d'angoisse et développe des tics de nervosité. "Quand je suis nerveux, je bouge dans tous les sens et je fronce les sourcils." Il souffre aussi de problèmes de sommeil. "Je me couchais à 21h30 mais je ne m'endormais pas avant une heure du matin. Je ne pouvais pas m'empêcher de gamberger et je finissais très fatigué."
"J'ai eu des idées noires parce que je n'arrivais pas à m'intégrer à la société"
Ses différences sont responsables de difficultés et souffrances pendant sa scolarité. Comme certains enfants autistes, il devient ambidextre. "J'ai commencé à écrire de la main gauche alors que j'écrivais très bien de la main droite. En changeant de main, je n'arrivais plus à me faire relire. L'entrée en CE1 a été catastrophique, c'est à partir de ce moment-là que j'ai commencé à voir un psychologue." Le psychologue lui recommande une hospitalisation pour passer des bilans orthophoniques et psychomoteurs. Les diagnostics de dysgraphie et de dyslexie sont posés, il commence des séances d'orthophonie.
Aodren souffre par ailleurs de tremblements discrets qui interpellent les professionnels de santé. Il passe plusieurs examens au cours de sa primaire en vue de diagnostiquer un éventuel trouble du spectre de l'autisme "mais j'arrivais à communiquer et à marcher droit donc à l'époque je n'entrais pas dans les critères de l'autisme". Les examens sont éprouvants : "J'ai fait des crises d'angoisse dans les IRM à cause du bruit de la machine. Mon père a dû entrer avec moi dans un IRM pendant plus de 3 heures pour me rassurer." Les examens se répètent tous les 6 mois et les diagnostics finissent par se contredire. "On commençait à être complètement perdu parce qu'on ne savait pas ce que j'avais."
"Mes professeurs me disaient : "Tu n'y arriveras jamais si tu ne te fais pas passer pour un handicapé""
Les relations avec ses camarades sont compliquées, il souffre d'isolement : "Quand je faisais du foot, je n'arrivais pas à m'intégrer au groupe. Je restais toujours à distance parce que j'avais besoin d'avoir une bulle de sécurité. Je finissais par faire des pâtés de sable à côté du terrain. Il y avait un enfant qui faisait des pâtés de sable avec moi. Je le sais car mon père me l'a dit mais j'étais tellement dans ma bulle que je ne l'ai pas remarqué." Pire encore, il est victime de harcèlement scolaire. "Jusqu'en 6e, l'école se passait plutôt bien, j'avais même les félicitations par encouragements mais le problème venait du harcèlement pendant les pauses, parce que j'étais un enfant qui restait seul. Je ne voulais pas me mélanger aux autres, j'avais peur." Aodren n'en parle pas à ses parents. "Je me disais qu'ils finiraient par se lasser un jour, mais ça ne s'est pas arrêté." Subir ce harcèlement affecte sa santé mentale. "J'ai eu des idées noires parce que je n'arrivais pas à m'intégrer à la société."
Le jeune homme valide un CAP et obtient son baccalauréat avec succès malgré les crises d'angoisse associées au passage des épreuves. "Mes professeurs et maîtres de stage essayaient de me dissuader de valider un diplôme. J'entendais des phrases comme : "Tu n'y arriveras jamais si tu ne te fais pas passer pour un handicapé". Cette fois-ci j'en ai parlé à mes parents, qui m'ont soutenu." En 2016, sa sœur rencontre une personne atteinte d'autisme dit "Asperger" et reconnait beaucoup d'Aodren en lui. "Mais à ce moment-là je ne voulais plus entendre le mot "autiste" parce que je l'ai subi comme une insulte pendant toute ma scolarité." C'est en 2018 qu'il a le courage de refaire des examens, toujours en quête d'un diagnostic.
Cette période dure 6 mois, ponctuée de bilans onéreux. Après des séances avec un psychologue, des bilans de cognition mathématique, de mémoire, des séances d'ergothérapie ou encore des bilans cardiaques, le diagnostic "Asperger" tombe enfin, Aodren à 29 ans. Aujourd'hui, avec l'écriture d'un livre qui retrace son histoire et ce témoignage, le jeune homme veut faire passer un message de tolérance : "Nous n'avons pas le droit d'harceler les autres. Il faut s'accepter tel que l'on est, et surtout accepter les autres."
Merci à Aodren Charoy, auteur de "Un asperger chez les neurotypiques" aux éditions Vérone.