"Ce qui se passe à l'hôpital est très grave" témoigne Charlotte, infirmière
Diplômée en mars 2020, Charlotte, 26 ans, débute sa carrière d'infirmière dans un grand hôpital parisien en même temps que l'épidémie de Covid fait ses premières victimes en France. Manque de personnel, de moyens, de reconnaissance... Aujourd'hui elle envisage de quitter l'AP-HP. Rencontre.
Diplômée en mars 2020, Charlotte, 26 ans, débute sa carrière d'infirmière dans un grand hôpital parisien en même temps que l'épidémie de Covid fait ses premières victimes en France. Manque de personnel, de moyens, de reconnaissance... Aujourd'hui elle envisage de quitter l'AP-HP. Rencontre.
Comment se sont passés vos premiers jours à l'hôpital alors que l'épidémie s'intensifiait d'heure en heure ?
Je devais prendre mon poste en maternité le 30 mars mais j'ai dû commencer au service de pneumologie le 21 mars. Je n'ai eu que des décès Covid. 6 morts en trois gardes, c'est beaucoup plus que ce que j'avais connu pendant mes études.
Vous avez témoigné dans le livre "Infirmières. Histoire &Combat" de Philippe Duley publié en septembre 2020. Ce livre a-t-il été un exutoire pour vous ?
Oui, ce livre m'a fait du bien. C'était une période compliquée, je venais d'être diplômée et je l'ai fêté avec personne. Le lendemain de mon diplôme, je me suis retrouvée dans un hôpital que je ne connaissais pas avec des gens que je ne connaissais pas, et qu'avec des malades Covid. Dehors, tout le monde était confiné, je faisais 90 minutes de transports au lieu de 20 minutes normalement pour aller travailler matin et soir comme il y avait moins de transports. Il n'y avait personne dans les rues. Et rien pour nous aider au travail, j'ai cru que j'allais devenir hystérique.
Qu'est-ce qui était le plus difficile à vivre à l'hôpital ?
On est censé avoir une continuité avec nos patients mais là, en mars 2020, tout était expérimental. On essayait un antibiotique puis le lendemain un autre et nos transmissions se résumaient à "Mr Untel, 58 ans, pas réanimable". Ils étaient quasiment tous pas réanimables. Quand ils se dégradaient, on les mettait sous un système ventilatoire délétère qui nous (soignants, ndlr) rendait à risque de Covid. A cette époque, je n'avais plus de goût, plus d'odorat donc j'avais le Covid sans le savoir en même temps que mes patients. Et puis quand on est jeune diplômée, on prend son travail, on a besoin d'un peu de rigueur et là c'était tellement anarchique. C'était très formateur, ça m'a beaucoup appris mais au dépend de la prise en charge des patients.
Je suis diplômée depuis un an et demi et j'ai envie de quitter l'AP-HP.
On a beaucoup parlé du manque de moyens des hôpitaux lors de la crise du Covid, est-ce que ça va mieux aujourd'hui ?
On a été légèrement augmenté donc ça nous a aidé. Mais l'épidémie de Covid n'a pas amélioré les choses. Ce qui se passe à l'hôpital est très grave. Je travaille à l'Assistance Publique et c'est dramatique. On a un manque de personnel énorme. Par exemple, aujourd'hui, il n'y avait pas de brancardiers, ce sont des aides-soignantes qui ont fait les brancardiers. On a des collègues en éviction parce qu'ils sont à risque de Covid et ils ne sont pas remplaçables, ceux qui ne veulent pas se faire vacciner et puis tous ceux sur qui on tire et qui s'arrêtent parce qu'ils n'en peuvent plus. Et puis il y a énormément de gens qui ont quitté l'hôpital parce qu'ils ont été dégoutés de ce qui s'est passé avec le Covid. En maternité, les trois quart des sages-femmes se mettent en libéral, elles ne veulent plus travailler à l'hôpital. Je suis diplômée depuis un an et demi et j'ai envie de quitter l'AP-HP.
A qui la faute ? Aux directions des établissements ou au gouvernement ?
On a un vrai manque de reconnaissance de notre direction mais aussi de l'Etat. C'est l'Etat qui nous laisse comme ça. C'est bien beau de nous avoir augmenté, mais avec trois ans d'études, je ne gagne pas si bien que ça par rapport à ce que je fais. On est juste passé au-dessus de 2000 euros.
"On met en danger nos patients"
C'est du sacrifice. Je savais dans quoi je me lançais mais c'est un effet boule de neige. Quand il manque du personnel, il y a une mise en danger des patients et ça nous mine le moral alors on a encore moins envie de se sacrifier. On met en danger nos patients et nous aussi car on peut perdre notre diplôme s'il se passe quoique ce soit.
Il y a déjà eu de nombreuses grèves de soignants pour dénoncer ces conditions de travail, que faire de plus ?
Le seul moyen de se faire entendre c'est que les patients portent plainte mais ça ne change rien, tout le monde est sur la défensive. A force on est heurté et, on n'a plus envie de rien.
Merci à Charlotte pour son témoignage. Propos recueillis le 27 septembre 2021.