Témoignage de Sandrine, victime d'un burn out : "Je me sentais morte"

A 50 ans, Sandrine, responsable dans une grande banque, craque et est victime d'un burn out. Prise dans un terrible engrenage pendant plusieurs années, elle sombre dans la dépression... Avant de retrouver la force de s'en sortir. Signes annonciateurs, descente aux enfers, licenciement, chemin vers la reconstruction... Elle nous raconte.

Témoignage de Sandrine, victime d'un burn out : "Je me sentais morte"
© DR

Le burn out, ça peut arriver à tout le monde. Comme 36% des Français qui avouent avoir déjà fait un burn out selon l'enquête nationale "Parlons travail", Sandrine a été victime d'un burn out alors qu'elle occupait un poste à responsabilité dans une grande banque nationale. S'en est suivie une longue période de dépression et d'idées noires pendant laquelle elle a complètement perdu pied. Quels ont été les premiers signes annonciateurs ? Comment s'est-elle reconstruite après cette longue période de vide, d'angoisses et d'épuisement ? Elle nous raconte. 

Le Journal des Femmes : Racontez-nous votre burn out. Dans quoi travaillez-vous et dans quel contexte avez-vous craqué ?

Sandrine : A 50 ans et forte de 23 ans de carrière en management, j'occupe un poste à responsabilités dans une grande banque française. Je suis en charge de la conduite du changement dans une direction centrale et je mène une équipe. Je le sais : travailler dans une si grande entreprise demande énormément d'efforts. C'est extrêmement dur de se faire une place. Pour sortir du lot et se démarquer, il faut participer à des jeux politiques ou à des jeux de pouvoir. Mais ce n'est pas dans ma nature. Mes collaborateurs et mes pairs le savent et m'alertent. J'entends très souvent ce genre de phrase : "Attention, avec ce poste, tu vas prendre 10 ans en 2 ans" ou "Si un jour, tu ne sais plus qui tu es, que tu te sens inutile ou vidée, c'est normal. Ne considère pas que c'est de ta faute, c'est ce fonctionnement-là qui ne va pas". J'ai alors conscience qu'il y a quelque chose de malsain. Mais je reste concentrée sur mes objectifs, je m'en sors bien et je fais mes preuves.

Beaucoup cherche à faire sa place et à s'écraser. C'est la loi du plus fort !

Les choses se corsent lorsque trois ans plus tard, mon entité connaît une restructuration. Je me retrouve à un poste encore plus "important" sur le papier. Tout est de nouveau chamboulé. Encore une fois, je dois rapidement prendre mes marques et "faire mon trou". Les mois passent : beaucoup cherchent à faire leur place et à s'écraser. Et cette fois, je le vis plus mal, avec plus de difficultés. C'est la loi du plus fort ! Pendant un an, ma boss me harcèle. On me conseille de partir et de quitter mon poste. "C'est une tueuse !", "Elle aura ta peau", me répète-t-on à longueur de journée. Mais moi, je n'ai pas la force de partir, je ne veux pas quitter ce poste et laisser mon équipe en plan, ainsi que tous mes projets dans lesquels je me suis tant investie.

Je suis dans le déni et je n'ai pas conscience qu'il faut que je m'arrête avant que mon corps craque.

Toutefois, je suis de moins en moins capable d'entreprendre quoi que ce soit. Le stress me bouffe et me paralyse complètement. Ma concentration et ma mémoire sont totalement altérées. Je compense en travaillant plus, mais je suis de plus en plus fatiguée. J'entre dans un phénomène extrêmement pernicieux. Je suis dans le déni et je n'ai pas conscience qu'il faut que je m'arrête avant que mon corps craque. Lors d'un événement de plus, je comprends alors que quoi que je fasse, mon travail ne sera jamais à la hauteur. Et j'ai l'impression d'être un obstacle et un poids pour mon équipe. Je me sens exclue. Je tiens encore quelques jours et puis un matin, je vois dans le regard d'une de mes collaboratrices le même sentiment d'exclusion et je m'effondre sans pouvoir contenir le flot des larmes pendant plusieurs heures. Au service médical, je vide mon sac auprès de l'infirmière et de médecin du travail. En racontant tout, je sais que je suis complètement grillée dans cette entreprise. Je me sentais morte et je me dis que c'est la fin pour moi. 

Concrètement, que se passe-t-il lorsqu'on fait un burn out ? Quels sont les signes d'alerte ?

Je tombe dans une dépression assez sévère et j'ai des idées noires.

Sandrine : Tout s'est fait de manière insidieuse, sans que je m'en rende vraiment compte. Ça commence par de gros problèmes de sommeil -je dors tout le temps- une perte d'appétit -je n'arrive plus à manger- et des pleurs, très souvent. Je tombe dans une dépression assez sévère et j'ai des idées noires. Je suis obligée d'être sous antidépresseurs. Je perds 7 kg en quelques semaines. Par ailleurs, j'ai tellement mal à la gorge que ça me réveille la nuit. Et ça c'est insupportable pour moi. En effet, ma voix est particulièrement importante dans mon métier car j'ai besoin de beaucoup parler et en plus, je chante du lyrique.

Lors de ma visite médicale annuelle, le médecin du travail me détecte de l'hypertension artérielle alors que j'ai toujours eu une tension impeccable. Juste avant une réunion avec ma N+1 et ma N+2, ma tension monte jusqu'à 18/11. C'est beaucoup trop ! L'infirmière du travail m'envoie immédiatement chez un cardiologue, qui me prescrit alors un traitement contre l'hypertension à prendre à vie. Mon médecin généraliste m'arrête. Finalement, le burn out a presque été une chance pour moi car il ne m'a pas laissé le choix pour que je m'arrête. Sans quoi, cet état de stress permanent aurait pu avoir des conséquences encore plus graves. 

Tout ce qui concerne mes enfants ne me touche plus. J'ai envie de mourir.

Le burn out a-t-il un impact sur votre famille ? Comment réagit-elle ?

Sandrine : Je me dévalorise en permanence, y compris devant ma famille. Le pire, c'est que tout ce qui concerne mes trois enfants, qui étaient ados à l'époque, ne me touche plus. Je suis impassible et je suis persuadée d'être une gêne pour eux. Ils me voient pleurer presque tous les jours. Ce sentiment, c'est terrible pour une mère. C'est pire pour moi que l'envie de mourir présente à chaque instant. Pour les préserver, je me dis même qu'il vaut mieux que je "parte". Je suis persuadée qu'ils se reconstruiront et que ce n'est pas grave de plus avoir de mère. Je suis incapable de passer à l'acte, mais j'y pense tous les jours. Heureusement, ma famille, mes amis et la plupart de mes collègues m'entourent ou se manifestent, même si je suis dans l'impossibilité de répondre à leur main tendue. 

C'est terrible car je suis licenciée au moment où je me sens de plus en plus légitime et confiante. 

Comment avez-vous rebondi ?

Sandrine : Au bout de 6 mois d'arrêt maladie, d'angoisses, de consultation chez le psy et de repos, je fais mon grand retour dans mon entreprise, trop tôt peut-être. Pour moi, c'est un nouveau départ, mais je suis immédiatement mise au placard. Émotionnellement, c'est dur car je n'arrive toujours pas à me concentrer et je me sens démunie. Mais même si j'ai nettement moins de responsabilités qu'avant, je m'investis et je retrouve une certaine sérénité au travail. Je me réjouis des petits victoires du quotidien, qui me paraissaient dérisoires auparavant. Malgré tout, je crois à ce nouvel envol. Malheureusement, cette sérénité et cet apaisement sont de courte durée : à peine un an après mon retour, je reçois une lettre de licenciement avec pour motif "insuffisance professionnelle". C'est terrible car je suis licenciée au moment où je me sens de plus en plus légitime et confiante. 

Personne n'est à l'abri d'un burn out !

Je me retrouve donc sans emploi, mais je prends les choses avec philosophie. J'ai envie de changer de vie et de me réorienter pour aider les gens victimes de burn out à se reconstruire. Je décide alors de créer ma propre entreprise, avec une associée Sylvie. Ensemble, on aide les gens à reconnaître les symptômes typiques d'un épuisement professionnel, à le prévenir, à rebondir et à tout faire pour éviter de rechuter. On travaille également en amont en aidant des jeunes à bien choisir leur voie. Malgré tout, je fais très attention à ne pas me servir de la reconstruction des autres pour me reconstruire moi-même, car ça ne serait ni très éthique ni sain.

C'est essentiel aussi de travailler avec les entreprises. Elles ont tout à gagner à réellement investir ce sujet. Malheureusement, la plupart des entreprises traitent le sujet superficiellement (ndlr : le seul poste qui existe, c'est Responsable de la Qualité de Vie au Travail) et c'est dommage car ça pourrait permettre de prévenir les burn out, qui sont aujourd'hui des véritables problèmes sociétaux. Il y a des gens, après un burn out, pour qui les mots "travail" ou "entreprise" sont associés au dégoût. Leur entourage aussi est touché. En outre, leur nombre grossit. Cela a forcément des impacts systémiques, sociaux, politiques... Il faut savoir que personne n'est à l'abri d'un burn out et que le temps de reconstruction est souvent très long. Heureusement maintenant, on en parle de plus en plus. Et tout n'est pas noir : il y a certaines entreprises qui comprennent que leur management, même involontairement, peut aboutir à des burn out et qui sont prêtes à faire des efforts pour les éviter. Je suis persuadée que c'est par la convergence des intérêts et la coresponsabilité autour de ce qui est la raison d'être d'une entreprise et de ce qui fait sens pour un homme ou une femme que, non seulement il y aura une vraie prévention, mais un développement respectueux et durable, des collaborateurs, des clients et de la société.

Je sais qu'il y a encore du chemin à faire.

Comment vous sentez-vous aujourd'hui ?

Sandrine : Aujourd'hui, je suis épanouie dans mon activité, mais je me questionne toujours sur l'après. J'ai toujours été figée dans un poste, figée dans une entreprise, figée dans un statut. Aujourd'hui, plus rien n'est figé dans ma vie. Grâce à mon entreprise, je veux apporter ma pierre à l'édifice : me servir de mon expérience pour aider les autres à mieux comprendre, à mieux anticiper et à rebondir plus vite. C'est d'ailleurs pour cela que je suis très motivée par la recherche. Mais je sais aussi qu'il y a encore du chemin à faire. En revanche, le jour où je sens que je n'ai plus grand chose à apporter, j'espère avoir le courage et la force de l'accepter et de passer à autre chose. Maintenant, je pense être capable de faire n'importe quel métier du moment qu'il m'épanouit et qu'il me fasse vivre des moments forts. Je n'ai désormais plus de statut à défendre....

Les signes annonciateurs d'un burn out

© InterEditions
  • Vous êtes plus facilement fatigué(e) et vous vous sentez épuisé(e), même après une période de repos, weekends ou vacances.
  • Vous n'arrivez plus à vous concentrer : votre mémoire est de plus en plus défaillante et votre efficacité au travail est réduite.
  • Vous dormez mal, peu ou au contraire, énormément.
  • Vous résistez de moins en moins à la pression et vous êtes angoissé(e) à l'idée de ne plus être aussi performant(e) et vous vous sentez dévalorisé(e).
  • Votre travail commence à déborder sur votre vie privée, familiale et sociale.
  • Vous avez la boule au ventre avant d'aller au travail.

Ces signes caractéristiques du burn out sont issus du livre Assurer après après un burn out : mon guide de santé physique et mentale, de Catherine Borie et Karine Di Fusco, InterEditions (Dunod). Bougez, mangez, respirez, sentez, pensez, méditez, kiffez : les 7 techniques pour prendre soin de soi après un burn out et ne pas rechuter.